Laure MURAT, La loi du genre : Une histoire culturelle du « troisième sexe », Fayard, Paris, 2006 (460 pages)« Troisième sexe : celui qui déshonore les deux autres. » Alfred DELVAU, Dictionnaire de la langue verte, 1866
I
Cet exergue en dit beaucoup. Le lecteur de ce blog se rapportera à la quatrième de couverture que j'ai citée il y a quelques jours pour le programme de cet essai extrêmement documenté et instructif, et d'une lecture toujours agréable.
L'essai couvre pour l'essentiel les XIXe et XXe siècles, mais vise plus particulièrement la période allant de 1835 à 1939 en France et en Allemagne, pays qui s'opposent non seulement sur le plan politique mais aussi sur celui des idées et où la perception des
moeurs de l'autre constitue une arme idéologique dans cet affrontement. L'Angleterre fournira aussi quelques exemples intéressants.
C'est en effet entre ces deux dates que le troisième sexe a été inventé et, de ce fait, s'est inventé en tant que sujet. Tout d'abord, aura été nommé « ce sexe qui n'a pas encore de nom », dont Alfred DOUGLAS, l'amant funeste d'Oscar Wilde, aura dit qu'il est « l'Amour qui n'ose pas dire son nom ni révéler son âme ».
De
tante à
pédéraste des rapports de police de Paris -- textes amplement cités et tous savoureux -- avec les problèmes grammaticaux qui découlent du croisement des genres :
il est tante..., jusqu'à
homosexuel qui finit par supplanter de multiples concurrents, mais engendre
hétérosexuel, car il faut bien nommer ce qui n'est pas l'exception, le troisième sexe aura obligé les deux autres à se penser.
Le sujet sera soustrait au domaine de la justice pour entrer dans le domaine de la médecine, oscillera entre vice et condition, alimentant le débat entre l'inné et l'acquis. L'essai s'appuie sur les archives de la police de Paris, sur les ouvrages de médecine et de psychatrie tout aussi bien que sur les oeuvres romanesques, dont les citations abondent et illustrent fort bien l'évolution du regard de la majorité sur la minorité, ainsi que celui de la minorité sur elle-même.
II
Le rêve que je trouve le plus fascinant est celui d'une société androgyne ou sans genre (et non pas sans sexe), dans laquelle l'anatomie sexuelle serait sans rapport avec ce que l'on est, ce que l'on fait et avec qui on fait l'amour. Gayle RUBIN, de son essai The Traffic In Women (1975)
L'essai comporte sept chapitres s'articulant chacuns sur un thème où Laure Murat développe les différents aspects « du genre », que ce soit la tante telle que la voit le policier, la notion d'inversion ou la théorie du troisième sexe, le tribadisme, la théorie du sexe intermédiaire, et le fait que les rapports entre personne de même sexe sont considérés comme un mal qui vient d'ailleurs.
Un des chapitres, selon moi, le plus intéressant est celui portant sur la littérature et, plus spécifiquement sur Gide, Proust et Colette dans leurs rapports avec la question homosexuelle, ou plutôt, dans la façon dont ils la vivent et dont il en font une clé et grille de lecture. J'ai trouvé particulièrement instructif, et nouveau, l'analyse de la Recherche du Temps perdu, oeuvre marquée du sceau de l'inversion du genre par rapport au sexe, vice héréditaire de la « race maudite ».
L'ouvrage se referme sur un chapitre,
La femme en culotte, qui traite du rôle de ce vêtement et de la bicyclette dans l'émancipation de la femme depuis 1880 en passant par la Grande guerre pour en arriver aux mouvements de femmes... en mouvement de la seconde moitié du XXe siècle.
En conclusion, je recommande la lecture de cet essai à quiconque voudra se pénétrer d'un regard neuf, tant comme sujet que comme objet, sur la question du genre qu'on dit mauvais. Mais le lecteur se rendra surtout compte combien la question relève de l'idéologie et comment chaque époque construit un discours sur tout ce qui lui pose problème.