Jean-Claude MICHÉA, L'empire du moindre mal --Essai sur la civilisation libérale, Climats Flammarion, Paris, 2007 (211 pages).
Voici un livre qui, je le crains, ne sera que peu lu. Les citoyens, s'il en reste, n'ont plus d'yeux que pour le spectacle, qu'il soit télévisuel ou de soi, et la presse, pour l'essentiel, n'est plus que le bras séculier de l'empire marchand. Nous vivons dans ce monde que Tocqueville a prévu, il est là. Michéa, avec un recul très intelligent, le décortique, l'analyse et pense à demain. Le libéralisme : un itinéraire.
Qui suis-je pour parler de ce livre ? Personne, un vague quiconque, un chacun anonyme, comme beaucoup d'entre nous qui fréquentent Internet; mais qui est inquiet du monde et de ne pas comprendre le discours, omniprésent, du tout-à-l'économie. Et ne se résout pas à n'être qu'un individu et non plus un citoyen. Mondialisation, globalisation, notre religion est, nous dit-on et redit-on partout, faite. Voire !
Or ce livre-ci permet de comprendre (il y en a d'autres, certes, mais ne divaguons pas). Et de prendre position.
Pas seulement utile, mais essentiel.
Il est usuel de faire remonter le libéralisme aux Lumières, mais Michéa, lui, en place l'origine aux guerres de religion qui ont déchiré l'Europe aux XVIe et XVIIe siècles : il a bien fallu trouver un moyen de mette fin à ces guerres « civiles » de tous contre tous, où chacun ayant Dieu dans son camp, il fallait purger le monde de l'autre, incarnation du mal. Des « politiques » -- ainsi nommait-on ces premiers pragmatiques -- ont donc imaginé de séparer politique et économie de la morale de façon à « privatiser » la religion. L'État n'aurait donc plus qu'à faciliter les échanges, et à canaliser les intérêts de chacuns. Bref, à défaut de convertir chacun à la vraie et unique religion, le moindre mal était de faire des affaires... Le Marché et le Droit règleront tout.
Depuis, le libéralisme a si bien fait qu'il est devenu comme un religion, et s'impose désormais à chacun, gauche et droite confondues. Il en serait même arrivé à un point, selon l'auteur, où il pourrait succomber à sa propre logique, instaurant à nouveau une guerre de tous contre tous, mais aussi la guerre de chacun contre soi. Le paroxisme de l'individualisme étant atteint-- chacun est égal à l'autre, chacun se vaut -- comment désormais pacifier les rapports entre les individus ? C'est ce qu'explique l'auteur, explication qui devrait en surprendre plusieurs et leur dessiller les yeux sur le monde, politique et économique confondus.
Le style de Michéa est simple et direct, ses arguments sont présentés avec clarté, les points nécessitants de plus ample développements, ou plus techniques, étant placés à la fin des chapitres.
Je le redis, une lecture non seulement utile, mais nécessaire.
Dans la foulée, je recommande aussi :
Christopher LASH, La culture du narcissisme et Le seul et vrai paradis, Champs Flammarion.
Olivier REY, Une folle solitude : le fantasme de l'homme auto-construit, Seuil
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