« Il a fallu attendre notre siècle pour que l'illusion provenant du pathos de la nouveauté produise ses conséquences les plus graves. Tout d'abord, elle a permis à cet assemblage de théories modernes de l'éducation, qui viennent du centre de l'Europe et consistent en un étonnant salmigondis de choses sensées et d'absurdités, de révolutionner de fond en comble tout le système d'éducation, sous la bannière du progrès de l'éducation.
Sous l'influence de la psychologie moderne et des doctrines pragmatiques, la pédagogie est devenue une science de l'enseignement en général, au point de s'affranchir complètement de la matière à enseigner. Est professeur, pensait-on, celui qui est capable d'enseigner... n'importe quoi. [...] Au cours des récentes décennies, cela a conduit à négliger complètement la formation des professeurs dans leur propre discipline, surtout dans les écoles secondaires. Puisque le professeur n'a pas besoin de connaître sa propre discipline, il arrive fréquemment qu'il en sait à peine plus que ses élèves. En conséquence, cela ne veut pas seulement dire que les élèves doivent se tirer d'affaire par leurs propres moyens, mais que désormais l'on tarit la source la plus légitime de l'autorité du professeur, qui, quoi que l'on en pense, est encore celui qui en sait le plus et qui est le plus compétent. Ainsi le professeur non autoritaire, qui, comptant que l'autorité que lui confère sa compétence, voudrait s'abstenir de toute méthode de coercition, ne peut plus exister.
Les méthodes modernes d'éducation ont effectivement essayé de mettre en pratique cette absurdité qui consiste à traiter les enfants comme une minorité opprimée qui a besoin de se libérer. L'autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut que signifier une chose : que les adultes refusent d'assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les enfants.
Le conservatisme, pris au sens de conservation, est l'essence même de l'éducation, qui a toujours tâche d'entourer et de protéger quelque chose - l'enfant contre le monde, le monde contre l'enfant.
C'est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit être conservatrice : elle doit protéger cette nouveauté et l'introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux.
Le rôle de l'école est d'apprendre aux enfants ce qu'est le monde, et non pas leur inculquer l'art de vivre. Étant donné que le monde est vieux, toujours plus vieux qu'eux, le fait d'apprendre est inévitablement tourné vers le passé, sans tenir compte de la proportion de notre vie qui sera consacrée au présent. »
J'ai mis en évidence quelques passages...
Hannah ARENDT, La crise de l'éducation in La crise de la culture, Gallimard Folio. Édition originale : 1961.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire