« La littérature consiste à voir le monde dans une goutte d’eau ».
Un grand livre ? Je ne saurais pas dire, pour cela il faut bien au moins un siècle pour que ce que Malraux appelle la métamorphose puisse jouer. Bref, faire le tri entre ce qui se publie, avec ou sans succès, et la littérature. Prenez STENDHAL par exemple.
Certes un bon livre, et très bon même.
Pour moi, j'ai été séduit -- troublé -- par cette manière, mine de rien, de tirer de la banalité du quotidien quelque chose qui pourrait s'appeler le destin; quelque chose qui n'a rien à voir avec le côté romantique que chacun se fait de la notion. Le narrateur d'une des nouvelles vérifie la définition : « Terme désignant l'expérience selon laquelle bien des choses arrivent à l'homme ou qui se passent dans le monde et l'histoire ne résultent pas de la volonté ou d'actes humains mais sont imposées " de l'extérieur ". » Définition qui, tout compte fait, décrit mieux que tout, en tout cas, mieux que je ne pourrais le faire, les treize nouvelles du recueil.
Témoin : l'ours qui, soudain, surgit des ramures en bicyclette transformant le séjour d'un écrivain dans la campagne estonienne, et ce qui aurait pu être une banale histoire de chasse, en rêve éveillé.
Témoin : le fait de donner son numéro de portable à un inconnu.
Pierre DESHUSSES, du Monde, énonce très bien l'art de SCHULZE :
« Qu’ils se passent en Allemagne, en Hongrie, au Caire ou à New York, ces récits s’attachent à cerner ce qui toujours échappe, le point de rupture qui est en même temps angle de soudure : "Quelque chose s’est passé, mais tu n’arrives pas à savoir quoi, tu ne peux pas le saisir, tu ne peux même pas le voir, mais c’est là", dit un personnage de la nouvelle "Une nuit chez Boris".J'ai assez envie de découvrir les trois autres titres publiées en français de SCHULZE. En attendant, comme mon carnet de lecture demeure assez chargé, je m'empresse de vous le recommander. Comme rien ne vous oblige à me croire, prenez au moins le temps (oui, il faut toujours prendre le temps...) d'écouter une entrevue avec l'auteur dans l'émission de France Culture Les affinités électives.
» Cette réflexion sur le destin et la catastrophe au sens littéral du terme est doublée d’une réflexion sur la littérature et son rapport à la réalité. Ingo Schulze jubile à mêler parfois auteur et narrateur, sans que l’on sache toujours qui est qui. "Je vais malgré tout m’efforcer de parler de moi et de cette propension qu’a la vie d’imiter la littérature", écrit-il dans le dernier récit. Mais cette mise en scène est tellement virtuose qu’on l’oublie pour ne garder que des instants de bonheur. »
Attention à la goutte d'eau : c'est tout un monde !
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