mercredi 13 avril 2011

Essai sur la jalousie -- L'enfer proustien





Nicolas GRIMALDI, Essai sur la jalousie -- L'enfer proustien, PUF, Paris, septembre 2010 (163 pages).

Cinq cents messages m'avertit la page d'accueil de Blogspot. Déjà ? Moi qui me reproche constamment mon manque de discipline, de ne pas écrire à chaque jour, de ne pas assez lire, moi dont les heures ne sont pas assujetties au travail, mais qui les dissipe en occupations aussi futiles qu'inutiles. Cinq cents, la machine ne peut se tromper. Voici donc le cinq cent-unième.

Le MALRAUX est depuis une dizaine de jours ouvert à la même page, barrée de son signet, en diagonale, comme un évangile oublié. L'homme précaire et la littérature attendra encore un peu. Trop de livres sont arrivés en même temps à la bibliothèque, et de forts volumes, qu'avec la meilleure volonté je ne pourrai finir. Un rhume de printemps est passé là-dessus et cent paresses aussi. C'est donc du côté de PROUST, comme toujours, que je me suis rendu avec ce bref essai sur la jalousie.

Qu'en ferez-vous, vous qui n'avez pas franchi les premières cent pages de la Recherche ? Eh bien ! ces petites mais denses cent soixante-trois pages pourraient, filons la métaphore alimentaire, constituer une agréable mise en bouche, comme on dit maintenant en restauration; et la révélation qu'avec le Temps la Jalousie est, bien plus que l'Amour, le sujet capitalissime de l’œuvre de PROUST.

GRIMALDI analyse la thèse de PROUST que loin de découler de l'amour, la jalousie est un sentiment qui le précède; mieux, qui est essentiel à la naissance de celui-ci. Il suit deux des personnages du roman, Swann et le Narrateur, le premier avec Odette, le second avec Albertine. Deux femmes pour qui ils ont, à prime abord, du désir certes, mais qui ne les intéressent pas vraiment, qui ne sont même pas de leur genre. Pourtant, ils donneront chacun tête première dans les filets de la jalousie quand, après leur avoir cédé, ils découvriront que, contrairement à leurs prétentions, elles ne sont que mensonge et fabulation. D'où une angoisse qui engendrant le soupçon aboutira à la jalousie et à sa souffrance.

La jalousie souffrance, la jalousie maladie, la jalousie incurable, car la mort de l'autre ne l'éteint pas, mais au contraire la maintient ardente, car, c'est le cas du Narrateur, le soupçon sur les infidélités d'Albertine et sa double vie vient, rétroactivement, troubler le souvenir de leur liaison.

La jalousie n'a aucun rapport à la réalité, elle est inventée et vécue comme une fiction, elle est comme un jeu pour le jaloux, à laquelle il feint de croire d'autant mieux qu'en fait on n'y croit pas : elle est « une scénographie de l'imaginaire ». Témoin, la petite fille qui pleure parce que sa poupée est malade, tristesse réellement sentie, même si elle sait que sa poupée n'est pas plus malade qu'elle n'est un enfant.

Les historiens (on ne les lit pas assez) nous enseignent que « l'amour » est une invention bien récente. Une idéologie. Et la jalousie, la mère de cette idéologie. Voilà donc une bien instructive lecture, qui nous en apprend plus sur nous -- n'avons nous jamais été jaloux, amoureux -- que tous les manuels de psychologie et, surtout, tous ces livres qui nous promettent le bonheur avec l'autre. Il ne s'agit peut-être pas de perdre ses illusions, mais d'apprendre à jouer... Bonne lecture.
« On arrive, sous forme de soupçons, à absorber journellement à doses énormes cette même idée qu'on est trompé, de laquelle une quantité très faible pourrait être mortelle, inoculée par la piqûre d'une parole déchirante. C'est sans doute pour cela, et par un dérivé de l'instinct de conservation, que le même jaloux n'hésite pas à formuler des soupçons atroces à propos de faits innocents, à condition, devant la première preuve, de se refuser à l'évidence. »
Marcel PROUST, La prisonnière.

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