Robert DARNTON, Apologie du livre - Demain, aujourd'hui, hier, Gallimard, Paris, janvier 2011 (218 pages); The Case for Books: Past, Present and Future, traduit de l'anglais (É.U.) par Jean-François SENÉ.Je poursuis avec ce recueil d'articles et de cours essais de Robert DARNTON, historien et un des fondateurs du projet
gutemberg-e, mon voyage dans les livres sur les livres entrepris avec le
Dans le palais des livres de Roger GRENIER il y a maintenant quelques semaines. Où il est question du livre en tant qu'objet, son histoire et son avenir, et aussi de l'utilisation qu'on en fait et que, sans doute, on en fera.
Un reproche : les textes de l'édition américaine ont été remaniés et condensés, sans doute pour éviter les redites -- il en subsiste quand même un certain nombre --, mais on sent néanmoins les coutures. Je suggérerais donc au lecteur de ne pas lire l'ouvrage d'une seule traite. Il n'y a en effet aucun inconvénient à prendre son temps et à réfléchir sur le propos de l'auteur, lequel n'est pas, par ailleurs, traité d'une façon trop technique ni trop érudite.
Le chapitre qui m'a, ainsi, beaucoup intéressé porte sur l'évolution de la pratique de la lecture. En particulier celle qui consistait, pour le lecteur, à reproduire des passages et à les commenter. Pratique fort répandue du XVIe au XVIIIe siècle, et tombée en désuétude depuis; mais qui pourrait peut-être renaître, notamment sur les blogs.
Fort utiles aussi les articles sur la numérisation des livres des bibliothèques, où l'auteur s'interroge sur l'éventuelle mainmise d'entreprises privées, telles Google -- laquelle occupe une position quasi-monopolistique dans le domaine -- sur l'accès aux livres. Prenons garde que pour celle-ci les bibliothèques sont moins des temples du d'avoir que des actifs potentiels à exploiter. Commercialiser les collections numérisées sans se soucier de prévoir le libre accès à tous ferait d'Internet un instrument de privatisation d'un savoir qui appartient à la sphère publique. Pourra-t-on encore citer Thomas JEFFERSON : «
Je considère la diffusion des Lumières et de l'éducation comme le meilleur moyen d'améliorer la condition, de promouvoir la vertu et d'assurer le bonheur des hommes » si l'accès aux « Lumières » est entre les mains d'un monopole ?
S'agissant du progrès, que certains se plaisent à croire inéluctable, l'auteur rappelle, dans des passages qui donnent froid dans le dos, comment des collections entières ont été dispersées ou même détruites par des bibliothécaires qui voyaient dans le transfert de celles-ci sur microfilm la seule façon de les préserver tout en économisant de l'espace.
Il convient d'envisager l'électronique non pas comme une rivale du support physique, mais comme une possibilité supplémentaire d'accéder au savoir. Mais, comme souvent, on peut redouter les effets pervers du « tout à l'économie ». Si, par malheur, l'électronique devait
tuer le livre, notre monde risquerait un effroyable appauvrissement culturel : il suffit de lire le chapitre sur l'édition des œuvres de SHAEKESPEARE pour s'en convaincre.
Voici, en conclusion, la table des matières, dont vous apprécierez sans doute, justement, le côté XVIIIe siècle :
La lecture et ses mystères : Où l'on découvrira à l'ère du zapping numérique l'importance voilà quelques siècles des recueils de citations qui permettaient aux lecteurs de mettre en forme la matière du monde
Que nous apprend sur demain l'histoire du livre : Où l'on découvre pourquoi une réflexion sur l'avenir du numérique passe par la connaissance des circuits du livre dans le passé
Le paysage de l'information et l'instabilité des textes : Où le lecteur découvre, d'Internet à hier, combien et comment les processus de transmissions modifient les textes mêmes --
Un excursus pour les fans de Google : Shakespeare ou la nécessité démontrée de conserver plus d'un exemplaire d'un livre --
Où le lecteur conclura de l'excursus que le rôle des bibliothèques devient essentiel à l'ère du numérique
L'avenir des bibliothèques : Où l'on se demandera ce qui pourrait être une République numérique des Lettres
Google et l'avenir du livre
De la différence entre des bibliothèques et Google
Mort du livre ou mort du papier : Où le lecteur comprend, à la suite de l'historien, mais un peu tard, que le papier n'est pas entièrement remplaçable par le papier
Sur les prophéties annonçant la mort du livre : L'avenir est-il aux journaux sans nouvelles, aux revues sans pages et aux bibliothèques sans murs ?
Voir aussi l'article du 7 mai 2011 :
Citation.
Présentation de l'éditeur
« Voici venu le temps des petits prophètes. Ils susurrent que le papier est voué à disparaître, ils se réjouissent de la mort du livre, qui les dispense, croient-ils, d'en lire, ils clament l'avènement du tout-numérique et de sa révolution. Mais l'univers des prophéties est loin de notre monde réel. Robert Darnton met en parallèle les moyens électroniques de communication avec la puissance libérée par Gutenberg voilà plus de cinq siècles, il en mesure les effets anthropologiques sur la lecture, il aune les avantages mutuels qui lient bibliothèques et Internet, il examine enfin nombre de problèmes d'ordre pratique, c'est-à-dire culturels - par exemple, pourquoi maintenir les acquisitions de livres imprimés tout en accroissant la place faite au numérique, support désormais privilégié par les jeunes générations ? Comment légitimer les monographies numériques aux yeux des conservateurs pour qui un livre ne peut exister que sous forme imprimée ? Par quel paradoxe la bibliothèque, en apparence la plus archaïque des institutions, est-elle, du fait de sa position au cœur du monde du savoir, l'intermédiaire idéal entre les modes de communication imprimés et numériques ? Chemin faisant, le lecteur découvre comment le livre met en forme la matière du monde, combien les processus de transmission modifient les textes mêmes, pourquoi le papier n'est pas entièrement remplaçable par le fichier numérique. que Shakespeare prouve la nécessité de conserver plus d'un exemplaire d'un livre, et ce que serait une République numérique des Lettres. »