Jugez en : Et nunc manet in te : « Désormais c'est en toi qu'elle demeure » ou encore « Et maintenant elle survit en toi ». Comme le dit Gide lui-même dans son Journal : « Sans doute "l'admirable concision du latin" laisse-t-elle "l'explicitation inévitable du français loin en arrière" ». Cette phrase, superbe, Gide l'a empruntée à Virgile pour en faire le titre de son In memoriam pour son épouse Madeleine. Et, en quelque sorte, de faire de ce bref texte le complément à Si le grain ne meurt. La phrase m'est venue à l'esprit quand, après avoir appris de son médecin, qu'elle était morte, j'ai vu, sur l'immense lit d’hôpital, la frêle dépouille de celle qui est ma mère. C'était la première fois que j'étais face à ce qui est notre inévitable fin : le cadavre. J'ai presque aussitôt compris, dans les larmes qui m'aveuglaient, l'importance de cette petite phrase : je devenais le gardien de ma mère, sa vie devenait la mienne -- comme le dit crûment la maxime juridique : le mort saisit le vif. Saisi je le fus pleinement. Par la vue, je viens de le dire. Par le symbole bien davantage. Et je sus alors, d'une certitude absolue, que la mort ne gagnerait pas, que le chagrin ne durerait qu'un temps, parce que ma mère ne serait jamais une absence puisque désormais et pour toujours, moi vivant, elle est mon présent.
Un peu plus tard, je suis revenu au texte de Gide :
« J'ai beaucoup pensé à elle, ce soir; sans d'abord me souvenir qu'elle était morte. Tout à coup je me suis dit : mais elle n'est plus là; et l'intérêt que je prenais à vivre cette minute a fait défaut soudain; il me semblait que, l'éclairage intérieur brusquement éteint, ma vie perdait sa transparence. Tout me devenait indifférent, à quoi je ne pourrais plus la faire participer. »
André Gide, sur la mort de Madeleine, Carnet gris, in Notice de Et nunc manet in te, Souvenirs et voyages, Bibliothèque de la Pléiade - Gallimard, Paris, 2001.
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