vendredi 22 décembre 2006
Radio
Je songe notamment à l'émission Jeux d'épreuves, sur France Culture, dont on trouvera la page à l'adresse suivante :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/
emissions/jeux_epreuves/
D'un clic, on peut la télécharger dans son ordinateur, et la savourer à loisir.
Écoutez, par exemple, l'émission du 9 décembre dernier, où il est question de Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure ? de Robert Lalonde.
Preuve qu'il est possible de parler de culture à la radio...
jeudi 21 décembre 2006
En passant
Sous la direction d'Alain FIENKELKRAUT, Ce que peut la littérature, Stock/Panama, Paris, 2006 (299 pages)
Dans le chapitre Conversation sur Le premier homme d'Albert Camus :
Gide, dans Les faux-Monnayeurs, avait fait dire à Bernard Profitendieu : « Ne pas savoir qui est son père, c'est ça qui guérit de la peur de lui ressembler. »À méditer à l'heure où l'on aime à déplorer la disparition de la figure du père dans notre société ?
mercredi 20 décembre 2006
La puissance d'exister
Michel ONFRAY, La puissance d'exister, Grasset, Paris, 2006 (230 pages)
Le fil qui me conduit d'un livre à l'autre semblera aléatoire,mais ce n'est qu'une apparence. Ainsi, à la lecture du recueil de nouvelles de Sylvain TRUDEL, j'ai été frappé par son anticléricalisme virulent. Lequel, mais c'est un autre débat, est monnaie courante au Québec. De même que par sa non moins virulente critique de la petite bourgeoisie et de toutes ses valeurs.
Pendant ce temps, j'avais à l'esprit la revendication athée de Michel ONFRAY, philosophe que je fréquente depuis une quinzaine d'années, et dont le nouvel ouvrage n'était pas encore arrivé chez mon libraire (les livres, comme chacun sait, voyagent mieux par bateau, ils savent se laisser désirer) et qui, l'étant finalement, m'a permis de mettre le doigt sur ce qui m'agaçait dans la gesticulation de TRUDEL : son nihilisme.
Dieu sait -- sans jeu de mots, ou peut-être, si -- que le nihilisme se porte bien : il donne au Trissotin des gazettes et autres médias une stature d'autorité, lui permettant de singer la posture cynique et, par effet de mimétisme, verra tout un chacun, pontifier dans les salons au rythmes de perpétuels « y'a qu'à... », s'agissant de l'intégration, de la tolérance, des femmes, des gays, des libéraux, des conservateurs, bref sur tout sujet tenant la vedette plus des vingt-quatre heures télé règlementaires, répétant, au fond, les mêmes lieux-communs.
Le propos d'ONFRAY, et son projet, sont tout autres, et il est clair qu'il ne se fait pas foule d'amis dans le paysage bien-pensant (des deux bords, étonnamment). Il invite à faire table rase de l'héritage judéo-chrétien, lequel continue, sous des oripeaux séculiers, à hanter notre pensée. Et de l'encombrer :
« Avec des vocabulaires différents, dans des formules et formulations séparées, avec des acteurs se croyant adversaires, on a toujours préféré les mêmes valeurs : honorer son père et sa mère, se dévouer pour la patrie, laisser à autrui une place cardinale -- amour du prochain ou fraternité --, fonder une famille hétérosexuelle (...). Cette épistémé mérite qu'on la connaisse, l'analyse, la décortique et la dépasse. »Bref, il nous invite à une indispensable déchristianisation pour établir, grâce à un athéisme postchrétien un véritable hédonisme.
Étrange fil de lectures en effet : de la dépression, La fatigue d'être soi, constatée par Alain EHRENGERG, dans une société où l'individu est jeté contre l'individu, avant d'être jeté tout simplement, comme tout objet de consommation au cynisme négatif du nouvelliste TRUDEL, qui, pour autant, ne manque pas de style ni de souffle, pour en revenir à une façon autre de penser le monde, et de le vivre avec ONFRAY.
Me suivrez-vous ?
mercredi 6 décembre 2006
Mélancolie - dépression
Il est vrai que la seule mention de cette maladie entraîne généralement un « tu ne m'as jamais semblé aussi en forme » ou encore « on a tous nos moments ». Nous faudrait-il arborer un stigmate telle la calvitie du cancéreux ou l'émaciation du sidatique ? Comme si sans image la souffrance n'était qu'imaginaire.
J'ai dû mettre fin à ma vie professionnelle à cause de cette maladie, me faudra-t-il en outre exhiber la corde du pendu ou les lacérations du suicidé ?
Cette phrase même illustre l'omniprésent déni : ce n'est pas moi qui ai mis fin à ma carrière, c'est la maladie qui m'y contraint.
Repentir (novembre 2010) : si c'est la maladie qui a été la cause de mon départ prématuré à la retraite, en ai-je été sa victime : sujet ou objet ? Vaste débat.
Trilogie mélancolique
Le récent décès de William Styron, auteur notamment, en 1979, du roman Le choix de Sophie, dont l'adaptation cinématographique aura contribué à la renommée de Muriel Streep, m'a rappelé ce court récit de la grave dépression qu'il aura connue au milieu des années 80.
Bref et poignant récit que je recommande vivement à qui vit avec cette maladie, ou connaît quelqu'un qui en souffre.
Pour moi, il constitue, en quelque sorte, le troisième ouvrage d'une trilogie littéraire composée de l'essai d'Alain Ehrengerg, La fatigue d'être soi, et du recueil de nouvelles de Sylvain Trudel, La mer de la Tranquilité, que je suis en train de commenter.
Sur un mode plus léger, je me souviens du récit de Pierre Daninos, un peu oublié maintenant, sic transit gloria mundi, et à peu près introuvable, Le trente-sixième dessous.
mardi 5 décembre 2006
La mer de la Tranquillité -- premières impressions
Le lecteur de ce blogue croira, au vu de la liste de mes lectures, que je flotte continument dans les eaux profondes du 36e dessous, et le recueil de Sylvain TRUDEL risque de ne pas infirmer cette opinion.
Pas que les neuf nouvelles qui le composent soient déprimantes, mais je suis persuadé qu'on ne le priera pas à une lecture dans quelque festival de dilatateurs patentés de la rate. Si on y sourit, ce n'est pas comme sous le pinceau de Léonard, mais sous le burin de Dürer, dans un rictus.
Je pensais : « Mettre une cravate à un pendu, c'est épouvantable... »
On y entend le Quatuor pour la fin des temps, c'est tout dire, et on s'y promène dans les marges, ce qui nous vaut un défilé de noms savoureux : L'ìle aux fesses, l'Abord-à-Plouffe, loin des centres-ville et, pour l'essentiel, dans ces zones bâtardes, mi-résidentielles, mi-industrielles que sont les banlieues. Là où végète, dans l'aliénation la plus sombre, la petite bourgeoisie de toutes les médiocrités et de tous les compromis.
Que les protagonistes -- je vois mal qu'on puisse les qualifier de héros -- soient déprimés, suicidaires, ou encore en mal d'évasion ou de salut, ou bien à la recherche de la mort heureuse -- grâce soit rendue à sainte Barbe --, on ne saurait s'en étonner. Ils sont pauvres par refus de ce monde étriqué :
« Se contenter de ne pas être mort, est-ce vivre ? »
Le lecture de ce recueil est, paradoxalement, réjouissante en ces temps de superficialité et de tout-à-l'humour. Et l'auteur rend fort bien les douloureux moirés de la mélancolie -- ancien nom de la dépression -- dans une langue aux couleurs sombres. Et je mets quiconque au défi, lui offrant une petite bière, de le lire sans le dictionnaire ouvrir :
en syriaque
cependant que
au zénith d'une priapée
je trempais mon biscuit
dans l'Occident aux flaveurs lupulines.
L'heure fuit, et je me dérobe. À demain, lecteur.
dimanche 3 décembre 2006
Des gens que vent emporte
Patrick MODIANO, Un pedigree, Gallimard, Paris, 2005 (122 pages)
Lors de mon prochain passage à Paris je ferai certainement un crochet par le quai de Conti, attiré cette fois moins par l’Institut et la splendeur baroque du Collège des Quatre-Nations que par une adresse anonyme, le 15, où a vécu, à deux pas des Immortels, Patrick Modiano. L’histoire ira-t-elle jusqu’à apposer sur la façade une de ces plaques du genre « Ici vécut… » ajoutant ainsi un mémento en dur à la renommée littéraire de l’auteur ?
Modiano nous présente cette fois père et mère dans un récit dont la sécheresse pourrait déconcerter le lecteur qui n’est pas habitué à le fréquenter, et qui n’y discernerait pas l’obsédante question, adressée autant à l’un qu’à l’autre, de savoir pourquoi « sans nostalgie mais d’une voix précipitée ». Pourquoi une Flamande d’Anvers rencontra, en ces années troubles, à Paris, un certain Modiano, Albert, Rodolphe, issu d’une famille juive de Toscane établie dans l’Empire ottoman.
De cette question primordiale découlent plusieurs autres que le lecteur trouvera au fil des pages et qui, pour peu qu’il les fasse siennes, car c’est là l’objet essentiel de l’œuvre d’art, justifient le besoin d’écrire, le besoin de créer, en un mot, le besoin d’être. Comme si, par ce travail archéologique sur soi, par l’établissement de son pedigree, Modiano s’arrachait à lui-même, tout en se demandant si l’évocation de ces années mortes en valait la peine, la genèse de sa propre écriture et de son œuvre.
Le père est nommé, pas la mère. Peut-être parce qu’elle vit encore? Une simple recherche dans Internet nous révèle son nom d’actrice, Louisa C., et sa vie de rôles secondaires, pour l’essentiel à la télé, jusque dans les années 80. Ironie : il existe une autre Louisa C., également actrice, Américaine celle-là, et née en 1977. On peut contacter son agent… L’omission du nom est sans doute révélatrice de la relation entre la mère et le fils. Il est deux fois question de chiens; la première, évoque celui donné à la mère et qui, négligé, se jeta par la fenêtre; la seconde, dans le passage suivant, très dur : « Parfois, comme un chien sans pedigree et qui a été un peu trop livré à lui-même, j’éprouve la tentation puérile d’écrire noir sur blanc et en détail ce qu’elle m’a fait subir, à cause de sa dureté et de son inconséquence. ». On notera que c’est une des plus longues phrases du livre…
J’ai aussi été bouleversé par ces soudains passages au « vous », interpellations du lecteur certes, mais autant de moments où le « je » de l’auteur s’interrompt dans le récit comme pour constater la fusion de ce qui fut et de ce qui est advenu, sorte de Temps retrouvé, dans une angoisse obsédante : « Et de menus événements se succèdent et glissent sur vous sans y laisser beaucoup de traces. Vous avez l’impression de ne pas pouvoir vivre encore votre vraie vie, et d’être un passager clandestin. ».
Une seule réponse possible à toutes ces questions : écrire. « Il était temps ».
Valides invalides
Alain EHRENBERG, La fatigue d’être soi – Dépression et société, Odile Jacob Poches nº27, Paris, 2000 (414 pages)
Il y a toujours de l’inconnu dans la promenade que constitue la lecture. Ainsi, j’ai eu à la lecture des deux derniers ouvrages de Pascal Quignard[1] l’impression d’avancer dans une plaine aride sous un soleil brûlant, ayant oublié de faire provision d’eau et cherchant en vain un peu d’ombre. J’y reviendrai. Mais, en cours de route, pour filer la métaphore, je me suis rappelé – il y a sans doute un lien plus ou moins inconscient de cause à effet – l’essai qui fait maintenant l’objet de mon propos et qui sommeillait dans une pile d’ouvrages reçus au temps de ma gloire radiophonique (et ô combien révolue).
La dépression serait le mal du siècle – « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » – qu’on soigne à coup de pilules. C’est ce que laisse croire la lecture des gazettes qui s’émeuvent désormais devant la surconsommation par tout un chacun des antidépresseurs que, naguère encore, elles appelaient, vantant leurs mérites, les « aspirines de l’esprit ». Le fait que l’auteur soit un sociologue apporte un éclairage intéressant et son érudition dissipe les lieux communs ressassés en trois paragraphes ou huit minutes.
Côté mental, on remontera aux Lumières, lesquelles auront soustrait le fou à l’emprise du démon, pour en faire un homme, la folie devenant une pathologie de la liberté. Le XIXe siècle se penchera sur sur les différentes « facettes du malheur intime », la situation devenant de plus en plus complexe, alors que deux figures importantes, Pierre Janet et Sigmund Freud, jeteront les bases de ce qui allait alimenter jusqu’à aujourd’hui un vif débat scientifique.
Côté social, l’auteur pose que, particulièrement depuis la Seconde Guerre mondiale, la reconfiguration du tissu social a entraîné une modification de la perception que l’on a de soi dans la société mais aussi, et c’est là le point crucial, un bouleversement de celle que l’on a de soi par rapport à soi. « La dépression… est la pathologie d’une société où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline mais sur la responsabilité et l’initiative ». En bref, l’individu étant propriétaire de sa vie doit aller au bout de soi : ne valorise-t-on pas à outrance l’initiative individuelle, « l’entreprenariat », le dépassement dans le sport ou l’exercice ? Dès lors quiconque peine à fonctionner dans ce nouveau système de valeurs se sentira « insuffisant ».
Et l’intéressé dans tout ça ? La dépression est-elle une maladie ou un état; en d’autres termes, a-t-on une dépression, comme on pourrait avoir un rhume, ou bien est-on déprimé, comme on pourrait être aveugle ou sourd ? La dépression se soigne-t-elle ou peut-elle être guérie ? Est-elle une cause ou bien encore un effet ? Faut-il s’occuper du corps avant tout – de l’hypnose à la chimiothérapie, en passant par les redoutables, mais semble-t-il efficaces, électrochocs ? Ou vise-t-on en priorité l’esprit – la psychanalyse et toutes les thérapies qui ont fait florès depuis Freud ? La dépression est-elle un signal d’alarme que notre organisme nous donne et que nous ignorons nous abandonnant à de dangereuses dépendances comme l’alcool, la drogue, le jeu, voire Internet ? Les antidépresseurs sont-ils des médicaments qui permettent au « valide invalide » de mieux fonctionner en société tout en s’oubliant un peu, ou bien des drogues qui le placent sous une pernicieuse dépendance ?
Autant de questions abordées au fil de ces trois cents pages (il y a une bonne centaine de pages de notes à la fin du livre) avec clarté et de façon tout à fait accessible et pour lesquelles il n’y a pas de réponse définitive : rien de ce qui touche l’homme n’étant simple et chaque position appelant aussitôt un avis contraire, sans parler de l’éternel conflit entre l’Europe continentale et les États Unis.
À mon avis, cette étude sur « l’individu insuffisant », doublée d’un aperçu historique de la dépression et de ses traitements, dans un monde où celui-ci est sommé d’agir, de s’adapter continument au changement et d’être responsable devrait constituer une lecture obligatoire pour tout généraliste, mais aussi pour les politiques. On nous épargnerait ainsi bien des âneries…
Extrait
« De l’introuvable sujet de la dépression à la nostalgie du sujet perdu de l’addiction, de la passion d’être soi à l’esclavage à l’égard de soi, nous avons effectué un “voyage au bout de l’envers”. En 1800, la question de la personne pathologique apparaît avec le pôle folie-délire. En 1900, elle se transforme avec les dilemmes de la culpabilité, dilemmes qui déchirent l’homme rendu nerveux par ses tentatives de s’affranchir. En l’an 2000, les pathologies de la personne sont celles de la responsabilité d’un individu qui s’est affranchi des repères de la loi des pères et des anciens systèmes d’obéissance ou de conformité à des règles extérieures. La dépression et l’addiction sont comme l’avers et l’envers de l’individu souverain, de l’homme qui croit être l’auteur de sa propre vie alors qu’il en reste “le sujet au double sens su mot : l’acteur et le patient”. »
Peep Show de Marie Brassard
Les grands vins, et même de moins grands, ont presque tous leur second cru, ce qui permet aux consommateurs de se procurer un produit quand les premiers sont inabordables. À la scène, la nébuleuse Robert Lepage a engendré Marie Brassard.
Je demeure, pour ma part, étonné de la réception par la critique montréalaise de Peep Show, millésime 2006 de Marie Brassard, qui poursuit sur la lancée de Jimmy, créature de rêve et de La noirceur. Quoi ? Le propos, difficile de parler d'argument, est mince : variations circulaires sur le conte du Petit chaperon rouge et ses avatars contemporains de tous sexes et de toutes orientations. Il en résulte une suite de clichés et de lieux communs donnée sur tous les tons par une voix-machine. Le rendu de la relation homosexuelle est l'exemple le plus frappant ; on se croirait dans un sketch de bout de l'an produit naguère par la Grand Jaune. S'ennuie-t-on autant au théâtre dans le 514 ?