« Un de mes moteurs d'inspiration, c'est la provocation. » Une chance que ce courriel de l'auteur, cité dans le programme de la « pièce » Rouge Gueule d'Étienne Lepage présentée à l'Espace Go, nous renseigne sur son intention, encore que l'objet de cette provocation demeure incertain. Chose certaine, pour moi et mes compagnons, il n'a provoqué qu'un ennui certain, et pour le reste de l'audience quelques gloussements. Pour une provocation, c'est donc raté. Témoin : le bon public montréalais, si prompt d'habitude à bondir de son siège les projecteurs à peine éteints, n'y est allé samedi que d'une demi-ovation. Rassurez-vous bonnes gens, le sang ne coulera pas dans et devant le théâtre : il n'y aura pas une nouvelle bataille d'Hernani rue Saint-Laurent.
Les personnages, petits cols blancs et femmes sapées et entalonnées rue Laurier (genre), nous présentent un catalogue de leurs fantasmes de petits bourgeois bien blancs et bien urbains. On souffre pour les comédiens qui passent de la vocifération au râle en s'agitant beaucoup devant nous pour essayer de les incarner : comment le pourraient-ils ? Ils n'ont rien à dire. Il y a longtemps que le recours à un langage ordurier ou au tout-à-l'égout sexuel ne choque plus – exception faite sans doute de Mlle Bombardier – en cette époque où, comme l'a signalé naguère, Michel Foucault, le sexe est partout affiché. Ce n'est pas la répétition à l'infini du mot « sodomie » ou de l'expression « fuck you » qui va provoquer la mort de la société de consommation. Si, encore, il y avait passage à l'acte, il y aurait-là une esquisse de provocation ! Mais non : tout cela n'est que « paroles, paroles », comme dans la chanson de Dalida (autre grande provocatrice, c'est bien connu…).
S'agissant de provocateurs, n'est pas Baudelaire ou Rimbaud qui veut, mais, pour moi, je provoquerais bien l'auteur à visiter, par exemple, Céline, expert ès provocations s'il en est, et à inventer une langue au lieu de nous ressasser ces petites injures et vulgarités et de se draper dans une pseudo marginalité toute adolescente. Il aurait pu, ainsi, créer une œuvre. Sans doute est-il plus facile pour lui de solliciter la gloire médiatique en singeant le mimétisme ambiant – à l'évidence, au vu de la critique, il a réussi – que d'écrire.
J'espère bien, sans grande illusion, provoquer sa réflexion, mais en conclusion, samedi, ce ne fut pas le Grand Soir, tout juste une bien petite soirée.
4 commentaires:
Rien à voir avec Rouge Gueule.
Puisque vous êtes retraité et que vous avez probablement du temps, je vous invite à visionner le documentaire "Last Train Home", qui traite de la migration interne de 310 MILLIONS de Chinois pour la fête du nouvel an.
Le réalisateur a passé 3 ans à tourner. On suit la même famille - père et mère travaillent à 2,500 km du village où vivent leur fille ado et son petit frère, sous la gouverne de la grand-mère. En ville, c’est du travail 12 à 14h par jour, 7 jours/7, 11 mois par année.
Le film est long et ennuyeux. Mais ciel, les vies que ces gens-là vivent pour que l'Occident consomme des tonnes de vêtements. On ne peut s’empêcher de penser que si les travailleurs étaient payés LE DOUBLE pour chaque pièce qu'ils produisent, le prix ici changerait à peine. Un jour, ça va faire BOUM!!! là-bas.
p.s. moi j'étais grippée, je ne suis pas allée travailler, je suis allée au ciné avec ma fille grippée aussi, ça ne nous a pas aidé à faire notre journée, mais les kilomètres de gens en file pendant 5 jours pour prendre le train, it grows on you...
Bonjour Hapax (c'est votre nom ?),
Je suis bien déçu que vous n'ayez pas apprécié Rouge Gueule (dont je suis l'auteur), et malheureusement, je ne peux pas y faire grand chose. Par contre, permettez-moi de discuter certaines de vos assertions.
Quand vous dites que mes personnages n'ont rien à dire, je pense que vous n'avez peut-être pas tout à fait tord. Leur objectif n'est pas tellement de parler pour dire quelque chose, mais bien de parler pour parler. Ils ont un besoin de dire, mais justement, pas grand chose à dire. Alors ils tournent autour du pot, à la recherche d'un son, à la recherche d'une musique, ils s'écoutent, se créent, se défoulent. C'est un peu (permettez-le-moi) ce que vous faites, avec votre blogue. Vous ne dites pas grand chose non plus, mais pourtant, votre entreprise est pleine de sens, ou du moins, elle vous habite assez pour que vous la poursuiviez. Et comprenez-moi bien, je ne pense pas qu'il faut toujours parler pour dire des choses importantes ou intelligentes. Je pense même que la plupart de ce que nous disons cache un désir sous-terrain de toucher, de se défouler, de jouir, de blesser, même. Sous des avalanches de mots, de bien simples et bien humbles destinées (comme celles de ces petits cols blancs et femmes sapées du Plateau, qui se terrent sous des tonnes de vêtements coûteux).
Je pense par contre que vous faites erreur en pensant que mon objectif était de provoquer en utilisant un langage ordurier, et ici, j'ai un certain regret face à la campagne de marketing qui a sorti hors de son contexte cette citation sur la provocation. Rouge Gueule ne cherche pas à provoquer. Rouge Gueule cherche à séduire. Tout, de l'affiche jusqu'aux costumes en passant par les personnages, tout est engageant. La violence et le sexe ne sont pas utilisés pour écraser le spectateur, mais bien pour le flatter. Il est entraîné, ici et là, dans diverses petites perversions quotidiennes, qui sont peut-être les siennes, il s'amuse, il rit des personnages, de leur situation, de leur ridicule, puis, de temps en temps, il ne sait plus s'il devrait rire, il se reconnaît, peut-être, un samedi matin, pris dans le traffic sur le pont Jacques-Cartier, ou dans sa douche, en train de dire les pires obsénités, juste pour le plaisir de se les entendre dire... Ou alors un personnage engageant l'a mené trop loin, jusque dans le meurtre, la mauvaise volonté abjecte, la perversion dangereuse. Rouge Gueule tente de jouer avec la limite où les pulsions "perverses" acceptables versent dans l'inacceptable. Si Rouge Gueule provoque, c'est en nous faisant complice de ce qui peut potentiellement détruire le tissu social.
(Suite au prochain commentaire)
(suite)
En ce sens, c'est essentiel que Rouge Gueule reste dans la parole. C'est voulu, autrement, il n'y aurait pas d'ambiguïté, pas moyen de se demander si c'est correct ou non. Si on passait à l'acte, on se dirait sans hésiter : "C'est grave, cette personne doit régler ses problèmes ou être arrêtée", et il n'y aurait aucune réflexion, aucun doute (ou, pour essayer de récupérer ma citation, aucune provocation). Comme tout reste dans le discours, c'est beaucoup plus difficile de juger. Dans le même ordre d'idée, c'était voulu également la manière dont les personnages parlent toujours à un interlocuteurs ambigü (le public ? lui-même ? quelqu'un dans la pièce à côté ?), voulu que les personnages reviennent tous deux fois, et que ce qu'ils disent la deuxième fois n'éclaire en rien ce qu'ils ont dit la première fois (comme si je prenais deux instantannés de vous à deux moments complètement différents, et qu'ensuite je les montrais à des inconnus, pour qu'ils essaient de désigner lequel vous représente le mieux - aucun, évidemment), dans le but de créer une sorte de dissolution entre les mots et les actes, nous laissant imaginer le pire, ou le mieux. Et, à la suite de Foucault dont le travail a toujours été une inspiration pour moi, le discours séparé de l'action permet justement que sans cesse, avec les mots, soient chariés une infinité de codes, de performativités (permettant à deux adolescentes, par exemple, de se saluer en se disant Fuck you, ou à un jeune homme de vivre une tendre passion pour l'anus de sa voisine). Cette vulgarité de façade laisse pressentir des personnages naïfs et sincères, et c'est cette inversion (signifier "je t'aime" en disant "fuck you") qui est riche et troublante (à mon sens), surtout dans un univers où justement, on ne peut plus provoquer avec de la vulgarité et de la violence. Pour dire autrement, j'ai tenté de charmer avec du vulgaire.
C'est gentil de me "provoquer" à aller lire Céline. C'est, lui aussi, un de mes maîtres à penser. Loin de moi la prétention de me hisser à ses côtés, ou de me prétendre Rimbaud ou Beaudelaire, mais je pense tout de même que, malgré qu'elle ne vous ait pas touchée, Rouge Gueule est une langue recherchée, musicale, rythmée de manière toute particulière, qui cherche à rabattre le signifié vulgaire qui la compose sur le signifiant, sur sa matière, de manière à créer un nouveau sens. J'ose croire que ce n'est pas faire le singe.
Vous serez d'ailleurs déçu d'apprendre que la pièce a suscité beaucoup d'intérêt, chez les gens du milieu comme chez les non-initiés, chez les jeunes comme chez les moins jeunes, et je pense que vous seriez très prétentieux si vous pensiez être le seul à l'avoir vraiment comprise.
Et laissez-moi à mon tour espérer provoquer votre réflexion : La pièce ne vous a pas touché, et je m'en excuse. Mais je trouve déplorable la manière superficielle avec laquelle vous la jugez, superficialité dont pourtant vous m'accusez. Si ce n'est pas parce qu'on connaît Céline qu'on peut écrire comme lui, ce n'est pas non plus parce qu'on l'a lu qu'on l'a compris.
En espérant que vos illusions vous reviennent.
Étienne Lepage
Je suis tout à fait d'accord avec votre perception et votre appréciation de la pièce. Malgré les argumentations de l'auteur, et toute sa bonne volonté à vouloir nous transmettre une certaine vision, cela a été fait très maladroitement. J'ai trouvé le tout, disons... ennuyant... et j'avais une impression de déjà vu. Après les 2 - 3 premiers tableaux, on est déjà lassé du ton, du vocabulaire choisi. Pourtant, j'avais un préjugé très favorable dès le début de la pièce. J'aurais aimé être secouée, bouleversée mais je n'ai trouvé, ni la personne qui m'accompagnait, aucun écho qui me touche ou me trouble.
Dommage.
Par contre, très beau décor.
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