Patrick MODIANO, La petite Bijou, Gallimard, Paris, 2001 (154 pages).
Un peu las des prêches du roman Noon Moon, et souhaitant un peu de légèreté, dans la prose, sinon le sujet, j'ai décidé de reprendre le « cycle MODIANO » entrepris l'automne dernier, avant la publication de L'horizon, et interrompu par les travaux dans mon appartement. Voici d'ailleurs mon commentaire de 2001.
Nous sommes en 1967. La dame dans la cinquantaine porte un manteau jaune quand elle passe à la station Châtelet et que vous, Thérèse Cardères, que l'on appelait quand vous aviez sept ans " la Petite Bijou ", l'apercevez, dans la foule. Jaune, mais la couleur comme fanée.
Vous la suivez, c'est si facile de suivre quelqu'un dans le métro à Paris, dans la foule. Car il s'agit peut-être de votre mère, que vous croyiez morte. Il n'y a pas si longtemps, une douzaine d'années peut-être, bref : toute une vie.
Elle habite, près de Vincennes, une banlieue pauvre et triste, s'arrête au café le temps d'un kir, on la surnomme " Trompe-la-mort ", autrefois on la surnommait " la Boche " quelle ironie pour vous qui la croyiez morte au Maroc. Il y a si longtemps, une douzaine d'années peut-être. Il est loin le temps du Bois de Boulogne de votre enfance, le grand appartement vide de la rue de Malakoff et puis le petit chien, un caniche noir, qui s'y est perdu quand elle l'a promené.
« Un chien. Un caniche noir. Dès le début, il a dormi dans ma chambre. Ma mère ne s'occupait jamais de lui, et d'ailleurs, quand j'y pense aujourd'hui, elle aurait été incapable de s'occuper d'un chien, pas plus que d'un enfant. [...] Dans ma chambre j'avais peur d'éteindre la lumière. J'avais perdu l'habitude d'être seule, la nuit, depuis que ce chien dormait avec moi. [...] Ce jour-là, ma mère est allée à une soirée et je me souviens encore de la robe qu'elle portait avant de partir. Une robe bleue avec un voile. Cette robe est longtemps revenue dans mes cauchemars et toujours un squelette la portait. [...] J'ai laissé la lumière toute la nuit et les autres nuits. La peur ne m'a plus quittée. Je me disais qu'après le chien viendrait mon tour. » (pp. 113, 115-6).
En 1967, seule à Paris, à presque vingt ans, vivant de petits travaux à mi-temps, vous voilà confrontée à un passé dérobé, que vous pensiez enterré au Maroc.
Dérobé, ce passé ? Alors que vous vivez dans le même hôtel, près de la place Blanche où votre mère a vécu un temps, avant d'être connue sous le nom de comtesse Sonia O'Dauyé, elle qui s'appelait Sonia ou Suzanne Cardères, et maintenant Mme Boré. Cet hôtel se trouve d'ailleurs dans la même rue qu'un club de nuit, Le Néant, où elle aurait dansé, votre mère, dans une revue obscure, avant de disparaître ?
D'autres personnages évanescents, les Valadier, Véra et Michel et leur petite fille - oui, une petite fille en dissimule une autre, toujours le passé qui revient comme si... -, la grande maison vide au 70 du boulevard Maurice-Barrès, qui longe le Bois de Boulogne.
Dans le Paris de votre dépression, un regard se pose sur vous ; sans rien vous demander en retour, quelqu'un vous aide, vous écoute, s'inquiète de votre santé et met sa main douce sur votre front pour que vous dormiez, là ,sur votre lit, du côté de l'ombre. Pourtant, ces médicaments qu'on vous a procurés vous les avalez un soir, vous la Petite Bijou, pour vous défaire de ce passé obsédant et toujours élusif, mais vous vous réveillerez néanmoins, parce que, tout compte fait, le caniche noir ne s'est sans doute pas perdu.
Il y a les lieux chez Modiano, un Paris sans couleur sur quoi tranche le jaune d'un manteau usé, mais il aussi le temps, le détail d'une époque : les biscuits Lefèvre-Utile, les annuaires du téléphone, le pneumatique, le métro, le Réseau ; un voyage dans le temps (celui de ma jeunesse, rappelez-vous gens d'ici l'Exposition universelle de 1967).
C'est ainsi, votre malheur finira bien par finir, mais, pour nous, pas le plaisir de lire et de relire votre histoire, la Petite Bijou.
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