Commencer l'été , c'est à dire la saison des reprises, par un livre qui parle de la chute, bizarre, vous avez dit bizarre. C'est comme commencer un livre par la fin. En l'espèce, qui veut la fin veut les moyens, or la fin de ce billet est de vous parler de la chute. Me donnant les moyens de ma fin, je vous parlerai d'aplomb de la verticale à vous qui me lisez à l'horizontale, je ne parle pas de position – encore que – mais de mouvement oculaire, car, comme chacun sait, le français se lit de gauche à droite, nous ne sommes pas au Japon et ne pratiquons pas le boustrophédon.
Bref. La lecture du récent opus de SENGES m'a donné envie de revenir sinon au point de départ, du moins un peu en arrière.
Le voyage implique le trajet, fût-il virtuel. Aussi les Essais fragiles de Pierre SENGES – justement publié aux éditions Verticales – nous invite à délaisser l'horizontalité et à prendre un peu de hauteur, afin de considérer, bien d'aplomb, la verticalité qui, de haut en bas, nous attire, humains, vers la terre, dissipant au vol, si j'ose dire, l'imposture de tous les tête-en-l'air qui, écervelés, rêvent de s'y envoyer…
« Les hommes et les femmes qui, depuis Icare jusqu'à la Grande Guerre, n'ont pas cessé de tomber, parfois à plusieurs reprises, ne cherchaient pas à connaître l'ivresse du vol, ni déjouer ses mystères, mais testaient la gravitation, et tombaient pour de bon, parce qu'ils le voulaient bien. »
Une brève histoire des Chutes à vol d'oiseau, où la verticale s'oppose à l'horizontale, en une époque toute consacrée à l'élévation et à la gravité. Depuis les archaïques Icare et Tarpéiens jusqu'à l'Âge d'or, évidemment à Paris, les années folles de la Tour (dite d'Eiffel) – la Belle Époque – de 1889 à 1913. Année de l'interdiction des « expérimentations » où, l'Histoire elle-même se fait grave, un certain Einstein mettait à mal la théorie de la gravitation par sa théorie d'un espace courbe et d'un temps relatif ; allait suivre la Grande Guerre, tout en horizontale, avec sa « ligne bleue des Vosges » et ses funestes tranchées. Exeunt les hommes d'aplomb.
« Les Essais fragiles parlent d'hommes d'aplomb, ou à verse, ou à pic – aussi : de vertigineux, de précipités, d'abîmés : tous ces noms désignant selon les époques et les circonstances les hommes et les femmes qui ont voulu faire de la physique à pieds joints, sur le tas, conjuguant la théorie et l'épreuve. »
Un vrai-faux essai, à la fois réellement érudit et résolument absurde dans son implacable logique. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Qu'importe, nous sommes en littérature. Pourtant, rien de linéaire dans ce style qui nous mène, semant des notes au bas des pages comme Petit Poucet, de parenthèses en tirets et d'incises en deux points vers l'inéluctable point de chute.
Je qualifierais le style de « Langue en joue », traduisant littéralement l'expression anglaise « tongue in cheek ». C'est que Pierre SENGES la possède bien sa langue, le malin, et son sujet, et nous possède de même avec un je-sais-quoi de perversité ludique.
Pour mémoire, je rappellerai que ce jeune écrivain est attiré par ce qui finit. Veuves au maquillage, son premier roman, racontait notamment un suicide amoureux par amputations minuscules, Ruines-de-Rome, le deuxième, une apocalypses inversée où un jardinier adventice semait, comme l'auteur ses noms de plantes, la fin du monde, subrepticement, en cultivant la nature. Pas à un oxymore près, admettons. Il y aurait de l'Alceste en ce Grenoblois que je n'en serais pas surpris, et quelque violence rentrée à l'égard de son semblable, qui le pousse à souhaiter, littérature aidant, la fin de celui-ci – Grenoble n'est-elle pas la ville de France la plus analysée ?
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