Stéphane AUDEGUY, L'enfant du carnaval, Gallimard : L'un et l'autre, Paris, octobre 2009 (135 pages).
Voici l'un des deux livres, toujours dans la belle collection L'un et l'autre, qui m'ont conduit jusqu'à la veille de Noël, période de l'année qui, à première vue, propice à la lecture, mais en réalité remplie d'une frénésie, marchande pour l'essentiel, qui absorbe temps et énergie.
L'enfant du carnaval raconte l'histoire, je n'ose écrire biographie, d'un fantôme : PIGAUT-LEBRUN (prénoms : Charles Antoine Guillaume) qui vécut de 1753 à 1835 et qui fut un temps célèbre comme dramaturge, romancier et essayiste. Un temps, car sa place se trouve reléguée aux banquettes arrières de la postérité littéraire, lui qu'admiraient FLAUBERT et quelques autres écrivains de conséquence du XIXe, comme en font foi les quelques lignes que lui consacrent -- encore -- les dictionnaires. Et sa disparition des librairies. Stéphane AUDEGUY qui, avec Fils unique, nous avait donné une vie de l'autre ROUSSEAU, François, autre beau fantôme historique. Le titre est celui d'un des romans les plus populaires de PIGAULT-LEBRUN, un des rares qu'on puisse encore trouver.
Il se dégage de ce livre une douce mélancolie : « la disparition d'un auteur, avec armes et bagages, a de quoi laisser rêveur; la rêverie n'étant pas, on le sait, le plus mauvais moyen de se promener dans les jardins du XVIIIe siècle; et singulièrement dans ses allées les moins fréquentées. » Il y a la matière à réflexion sur ce qui reste et ce qui passe, la postérité, et surtout sur les voies mystérieuses de celle-ci; ce que MALRAUX appelait, pour les Beaux-Arts, la métamorphose. Pourquoi, en effet, un auteur, célèbre de son vivant et longtemps après sa mort physique disparait-il à nouveau, et pour de bon, assez brutalement ? Pourquoi tel, à peine reconnu de quelques happy few de son vivant surgira-t-il en pleine gloire cent ans plus tard ? Et pourquoi si la littérature exaltait Hubert AQUIN ou Marie-Claire BLAIS, l'histoire ne préférerait pas, comme document de la vie d'ici au siècle dernier, la prose académique des demoiselles BOMBARDIER, BROUILLET ou LABERGE ?
« PIGAULT-LEBRUN est l'un de ces vieillards des Lettres que tout le monde ou presque néglige. J'aime sa voix éraillée mais joyeuse, où passe encore un peu de cette folie française [...]; dans ce qu'aujourd'hui certains jugent, dans leur vocabulaire hésitant entre HEGEL et l'automobile, dépassé, on peut voir l'un des possibles du monde et de la littérature qui, après avoir connu son heure, en attend une autre. Et peut-être ne viendra-t-elle pas. »
Je vous souhaite de vouloir vous promener dans ce beau jardin, et vous laisse sur une phrase qui m'a laissé songeur :
« Toute écriture suppose une politesse, quelque geste machinal signalant que, pendant un instant au moins, on fera passer l'autre avant soi. Alors nous prononçons ces mots que nous n'écoutons plus : après vous. »
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