Edith WHARTON, Chez les heureux du monde, traduit de l’anglais (É.-U.) par Charles du BOS, préface de Frédéric VITOUX, Gallimard – L’imaginaire n° 417, Paris, 1981 (423 pages). Titre original : The House of Mirth, 1905; aussi disponible en livre de poche.
Il n’est pas inutile de noter la
précision du traducteur – la traduction n’est
pas récente, mais coule comme rivière de diamants – sur le titre original qui
fait allusion au texte de l’Ecclésiaste : « The
hearth of the wise is in the house of mourning; but the heart of fools is in
the house of mirth. » ce qui se traduirait comme il suit : « Le cœur du
sage est dans la maison du deuil; mais le cœur des insensés est dans la maison
de liesse ». On se fera sa propre idée dès lors sur le titre retenu...
Un mot sur l’auteur :
frivole et mondaine, la fleur de l’élite de la Nouvelle Angleterre, et
indépendante, a-t-on à la même époque, comme on lui en a tenu rigueur, reproché
à Gide, à Proust et à tant d’autres de n’avoir pas à gagner leur pain quotidien
? Il faut dire que tels de ses contemporains, dont Henry James, ont pu échanger
quelques œillades latérales à la mention de celle qui obtenait un succès
certain dans l’exercice du si mâle métier d’écrire, au lieu de se réserver, avec
les personnes du sexe, au bridge et autres bonnes œuvres de la société. C’est
ainsi que, par une perverse métonymie, les traits de la personne en sont venus
à qualifier les romans.
Comme certains
s’imaginent en Nouvelle France que Mlle B*** prend place dans la littérature du
fait qu’on achète, encore et toujours, le fruit de sa plume trempée à l’eau bénite
alors qu’il est clair que ses œuvres ne feront jamais d’elle qu’une livreuse –
productrice de livres – et non un écrivain, beaucoup croient qu’Edith Wharton n’a qu’un talent de riche et d’oisive et, qu’en conséquence, on peut ignorer,
sinon mépriser, son œuvre et se contenter d’en apprécier le canevas une fois
celui-ci transfiguré grâce au savoir-faire des metteurs en scène qui ont eu la
bonté de sauver tel ou tel roman de l’oubli. Ceux-là se trompent.
Ceux qui, en revanche,
entreront, pour quatre cents pages, chez les heureux du monde, y découvriront
un monde où le blanc des ombrelles sur le vert des boulingrins fait illusion comme
la surface plane d’une eau profonde cache le courant violent des profondeurs.
Miss Lily Bart sera la victime impuissante d’une machine, qu’elle a lancée par
un tout petit mensonge dès les premières pages du livre, qui la rejettera bien
loin de la prestigieuse Fifth Avenue.
N’est-ce pas l’ombre
inquiétante du Père Goriot qui assombrit le tableau peint par l’auteur dans de
tendres tons pastels – un sang d’aquarelle aurait écrit Sagan – où les rires
des protagonistes dissimulent – ah ! la dissimulation des puissants – les
tremblements funestes qui menacent Miss Bart ? Elle, si fragile, naïve et
intègre, qui n’a ni argent de famille «... le seul moyen de ne pas penser à
l’argent, c’est d’en avoir beaucoup », ni mari fortuné.
Le lecteur sera porté
par un style tout de finesse et d’esprit, on rit beaucoup dans ce roman
tragique, dont on lira un exemple dans le portrait de l’agent principal de la
chute de Miss Bart, Mrs. George Dorset qui monte dans le train, page 50, « ...
diffusant autour d’elle ce sentiment d’exaspération générale que crée assez
souvent une jolie femme en voyage. Elle était plus petite et plus mince que
Lily Bart, avec une flexibilité agitée, – comme si elle avait pu se contracter
et passer à travers une bague, pareille aux draperies sinueuses dont elle
aimait à se parer. Sa petite figure pâle semblait n’être que la monture de deux
yeux sombres et agrandis, dont le regard visionnaire contrastait curieusement
avec son ton et ses gestes très décidés, – en sorte que, selon la remarque d’un
de ses amis, elle avait l’air d’un esprit désincarné qui occuperait beaucoup
d’espace ».
Lecteur, fréquente un
moment ces heureux du monde : ils sont étonnants et effrayants, au sens
classique de ces termes.
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