Vous ne me croirez pas.
Même si paraphrasant Sacha Guitry sur Mozart je disais que le silence qui suit Quignard est encore du Quignard ? Vous ne me croirez pas, il y a trop de bruit autour de nous, alors que chez Quignard les mots sont arrachés au silence tout en contribuant à celui-ci; il y a de la musique : mer, vent, oiseaux, violoncelle, mais pas de bruit. Vous ne me croirez pas, même si je vous dis que je n'ai jamais vu la Bretagne mieux qu'avec les mots de Quignard. Vous ne me croirez pas, parce que ce roman n'est pas divertissant : au lieu qu'il vous arrache au quotidien, il vous laisse face à vous même et vous redonne le temps -- délicieux voyage ! Qui comprend, pour vrai, le rôle qu'il obtient, même le premier; et le film de sa vie ? Le croiriez vous ? Oui, Quignard est inutile en ce qu'il ne vous changera pas les idées, mais utile en ce qu'il vous mènera, pour peu que vous vous abandonniez à suivre Claire -- nom ô combien révélateur -- à l'origine. Sa musique -- « polyphonie » dit la présentation, et lisez l'extrait d'entrevue accordée au Nouvel Observateur -- est faite de l'élimination du superflu « ornements inutiles »; et surtout de toute tentative de psychologie : vous écoutez les personnages, en tirez votre propre conclusion, pas de manipulation. C'est ainsi que le livre vous appartient : me croirez-vous ?
La présentation de l'éditeur résume bien « l'histoire », je me dispenserai de tout ajout. Le thème ? L'un et l'autre, sous deux versions, côté amour -- une femme et un homme, et aussi un homme et un homme --, côté solidarité, une sœur et son frère.
Côté amour, Claire et Simon, lui marié à une autre, puis mort; Paul, le frère de Claire, dit :
« Elle errait encore dans le monde après son amour, regardant de loin son amour comme si tout était fini depuis longtemps. Claire était devenue Simon et était devenue le lieu. Elle était partout chez elle, elle était comme le commencement dans l'origine.
Elle appartenait à quelqu'un d'autre.
Elle appartenait au lieu. »
Côté solidarité, Marie-Claire et Paul (il l'a toujours appelée ainsi, ce qu'elle déteste); Jean, l'amant de Paul, dit :
« Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse. C'était un lien sans origine dans la mesure où aucun prétexte, aucun événement, à aucun moment, ne l'avait décidé ainsi.
De l'autre ils acceptaient tout, même ce qu'ils ne comprenaient pas.
Ils ne se souciaient pas de chercher des motifs. S'épauler leur suffisait. Même, ils admettaient plus spontanément les caprices de l'autre que leurs propres lubies. »
Tout compte fait, la solidarité, fut-elle mystérieuse, ne vaut-elle pas mieux que ce qu'on appelle l'amour, et dont on se passionne à s'aveugler continûment et incessamment ?
Un roman essentiel.
Vous n'êtes pas obligé de me croire. Moi, j'ai déjà relu Quignard.
* * *
Pascal Quignard : « Mais je suis tous les jours au piano - un clavier Roland. J'y joue ce que j'appelle mes concentrés, et qui sont des sacrilèges. Je réunis en effet les plus beaux passages de certains trios ou quatuors de Bach, Mozart ou d'autres, j'en fais tomber les ornements inutiles, je les simplifie à l'extrême, et j'interprète ainsi, pour moi seul, des sonates très brèves et merveilleuses. Mes chats n'aiment pas la musique, mais pour moi, quelle joie c'est, si vous saviez ! » Le Nouvel Observateur : 28-09-2011
« En Bretagne, de nos jours, près de Dinard, une femme d’une quarantaine d’années retrouve par hasard le professeur de piano de son enfance. Cette femme âgée lui propose de venir habiter chez elle. Petit à petit, elle se réinstalle dans la petite ville où elle a vécu autrefois, retrouve son premier amour, se lie comme jamais elle ne l’avait fait avec son frère plus jeune, redécouvre les lieux, les chemins, les roches, se passionne pour la nature, le mer. Soudain, un jour, sa fille, qu’elle n’avait plus vue depuis des années, revient vers elle. De façon polyphonique, tous les personnages qui la côtoient (un prêtre, la bonne du professeur de piano, son frère Paul, un cultivateur, la factrice, un cousin qui vit près de là, la conductrice du car de ramassage scolaire, la masseuse de la thalassothérapie, sa fille Juliette) évoquent cette femme dont la destinée paraît de plus en plus étrange. Chacun a son interprétation. Chacun essaie de comprendre les rapports troublants, mystérieux, silencieux, sauvages que Claire se met à entretenir avec sa famille, l’amour, la falaise, le ciel, les oiseaux, l’origine. »Voir aussi : Tous les matins du monde, le roman et l'adaptation qu'Alain Corneau en a faite pour le cinéma. Et écouter le disque de Jordi Savall.
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