« Cruelle évidence : le mauvais livre est une œuvre aussi. C'est-à-dire qu'il a fallu l'écrire. Il a fallu que son auteur se mette en peine de l'écrire. Il a dégagé du temps pour cela. Il s'est retiré. Il a pris du recul, du champ, de la distance, de la hauteur ! Enfin, le voici seul dans son bureau, ou dans son pigeonnier, il a rassemblé son petit matériel, le café fume dans sa tasse ; exactement comme un bel écrivain s'apprêtant à écrire un beau livre, il s'attable pour écrire son mauvais livre. Et quelquefois même, son très mauvais livre. Son livre indigent, son livre indigeste, son livre affligeant, il en aura pesé puis écrit chaque mot, il aura payé de sa personne, peut-être même aura-t-il souffert ! Il est possible aussi qu'il ait bâclé la chose. On ne sait ce qu'il faut préférer, du tâcheron qui donne poussivement son maximum ou du cynique qui torche ses cent cinquante pages d'une main en agitant mollement de l'autre l'éventail de billets de son à-valoir. Au demeurant, ni l'effort ni la désinvolture ne sont incompatibles avec le talent. Le mauvais livre échappe donc à tout principe, il défie toute loi, tout critère exclusif - comment dès lors en prévenir les effets et se garder de lui ? Serait-il juste d'en absoudre l'auteur qui, peut-être, ne l'a pas vu venir ? »
Rédigé sur mon iPad.
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