Akira MIZUBAYASHI, Mélodie - Chronique d'une passion, préface de Roger GRENIER, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, février 2013 (280 pages).
Bien sûr le vie d'un chien est bien moins longue que la nôtre, et l'on s'attache. Voici un récit de vie de deux animaux, l'un de l'espèce canine, l'autre de l'espèce humaine, et chronique d'une passion, soit celle d'une grande souffrance ouverte le 2 décembre 2009, inextinguible, et celle d'un grand amour qui a duré douze ans et trois mois, inoubliable. La passion de Mélodie, une golden retriever.
Mélodie dont on avait, furtivement, fait la connaissance dans le précédent récit de Mizubayashi,
Une langue venue d'ailleurs.
Il y a : la naissance, le premier repas, la première promenade, le parc de la Philosophie, le jardin-cimetière Hyakkannon « avec ses cerisiers, ses érables et ces Cent statuettes de la Déesse miséricordieuse » et le parc de la Forêt paisible; une portée de petits chiens ; des jeux, des absences, des attentes : un regard, toujours le regard ; et puis un jour, ce jour...
Il y a : le côté musical qui nous amène de l'air de Mozart, «
Ch'io mi scordi di te - Non temer, amato bene -- Que je t'oublie ? - N'aie crainte, toi que j'aime » -- (K. 505) jusqu'aux dernières mesures de l'Adagio, Sehr langsam un noch zurückhaltend (Très lent et encore retenu) de la neuvième symphonie de Mahler.
Il y a : « Toutes les nuits du monde ne se ressemblent pas » comme un écho au roman de Pascal Quignard, « Tous les matins du monde sont sans retour ».
Il y a :
Fragments échappés du portefeuille du compagnon d'une chienne -- sept extraits du Journal.
Il y a : la fidélité ; celle du chien Hachi « transformé en statue » qui, pendant dix ans après la mort de son maître, l'attendit, tous les jours à la sortie de la gare de Shibuya ; celle d'Argos, le seul à reconnaître Ulysse à son retour à Ithaque : « Là donc était couché le chien Argos tout couvert de poux. Alors, quand il reconnut Ulysse qui était près de lui, il agita sa queue et laissa retomber ses deux oreilles ; mais il n'eut pas la force de venir plus près de son maître. Celui-ci, à sa vue, se tourna pour essuyer une larme [...]. » ; celle de Bobby, qui, au camp de concentration, reconnaissait l'humanité déniée par les bourreaux : « Et voici que, vers le milieu d'une longue captivité [...] un chien errant entre dans notre vie. Il vivotait dans quelque coin sauvage, aux alentours du camp. Mais nous l'appelions Bobby, d'un nom exotique comme il convient à un chien chéri. Il apparaissait aux rassemblements matinaux et nous attendait au retour. Sautillant et aboyant gaiement. Pour lui -- c'était incontestable -- nous fûmes des hommes »; celle, enfin, du couple du film
Les visiteurs du soir transformé en statue de pierre et don le cœur « triomphant du
Temps » continue de battre depuis 1942.
Il y a : le chien du tableau de Goya du Prado, qui me fait penser à la Winnie de
Oh les beaux jours de Beckett, minuscule tête émergeant du sable, seule présence infime mais capitale dans le vide absolu de la toile ; et son grand œil noir dirigé vers le haut.
Il y a : Céline et Bessy, sa chienne, avec son « style » : « Oh, j'ai vu bien des agonies... ici... là... partout... mais de loin pas des si belles, discrètes... fidèles... ce qui nuit dans l'agonie des hommes c'est le tralala... l'homme est toujours quand même en scène... le plus simple... » ; et
Claudel aussi : « tous les animaux sont morts, il n'y en a plus avec l'homme. »
Il y a : une bien mauvaise expression qui dit « une vie de chien », et à ce compte,
pourquoi pas dire « une vie d'homme » : sommes-nous mieux lotis ? Pour
tout cela, blâmons Descartes, et sa « machine », regardons plutôt, comme
le fait l'auteur, du côté de Montaigne. Et de Rousseau aussi, sans
doute. Ça c'est pour le côté philosophie du livre, où l'on pourra, ou
non, suivre l'auteur, surtout s'agissant de « l'état de nature, du règne
du droit naturel », de la liberté et de quelques réflexions plus ou
moins heureuses.
Il y a : un livre beau.
Présentation
« Dans un placard dont on a fait un sanctuaire ne ressemblant en rien à
un sanctuaire et qui abrite discrètement quelques âmes inoubliables et
inoubliées, il y a une petite boîte en bois laqué pour le thé en poudre.
Elle contient une toute petite portion des cendres de mon père que
j’avais prélevée dans son urne avant qu’elle ne fût mise en tombe.
Lorsque j’ai préparé cette boîte mortuaire il y a déjà dix-huit ans,
j’ai osé prendre une pincée de miettes d’os pour en goûter. Bientôt, je
crois que j’en ferai autant pour Mélodie dont je garde toujours l’urne
près de moi sur l’emplacement exact de son matelas. Je me procurerai une
autre boîte en bois laqué pour y mettre quelques cuillerées de poudre
d’os et une partie de l’omoplate ou d’une côte. Le reste sera répandu
dans le jardin ou ailleurs pour retourner à la terre. »