vendredi 28 juin 2013

Du côté de chez Somerset

FLOC'H et RIVIÈRE, Villa mauresque : Somerset Maugham et les siens, La Table Ronde, Paris, mai 2013 (104 pages).

Somerset Maugham était, si je me souviens, au programme des cours d'anglais au collège, mais à quel niveau, et quelle œuvre ? Ou bien ne s'agit-il pas d'un souvenir imaginaire, madeleine détraquée, songez-y, lire et étudier, fût-ce pour apprendre la langue de l'ennemi, et protestant encore, un auteur aux mœurs loin d'être au dessus de tout soupçon ? Les bons pères de la Société y auraient-ils consenti  ? Ayant lu le billet de Pierre Assouline sur son blog La république des lettres et étant, quelques jours après, de passage chez mon libraire, quelle ne fut pas ma surprise d'y retrouver le livre en cause, et déjà arrivé dans nos lointaines (par rapport à la Douce France, s'entend) contrées ; celui-ci, fort sage personne et docte ès bandes dessinées, ayant donné son aval, je me portai acquéreur, bien que donnant moins que naguère dans ce genre fort prisé encore, et même chez des gens fort respectables de mon âge -- il en est -- , mes années Tintin, Astérix, Gaston, Achille, Agrippine, pour ne citer que le gratin, ayant rejoint celles des dames du temps jadis et de leurs roses ce matin écloses -- ces livres occupant désormais, je l'espère, après leur transmission en guise de legs anticipé, l'imagination de lecteurs d'une autre génération. Et me délectai, une heure durant, de cette acquisition en forme de biographie « à la Rashomon », oserai-je la comparaison : l'intéressé lui-même et plusieurs comparses donnant, à tour de rôle et chapitre après chapitre,  le narré de quelques épisodes de cette longue vie d'écrivain célèbre. À quelque jour de mon départ pour cette France, je me suis vu par anticipation transporté sous le doux climat de la Méditerranée -- et, au vu des reportages des gazettes télévisées, sans avoir à subir les inconvénients d'une météo que chacun, là-bas, s'accorde à décréter déréglée (mais déjà sous Daninos, entre naguère et jadis, ne l'était-elle pas : « il n'y a plus de climat » étant déjà la lamentation obligatoire du tourisme en voie de massification.

Quatrième de couverture

« Il se révèle très délicat, dans le cas de Maugham, de le juger d'après son oeuvre. Le meilleur de Somerset Maugham c'est encore lui-même. Sa vie est plus riche que la somme de ses livres et sans doute est-ce mieux ainsi. »  Anthony Curtis

Incipit

« Les années ont passé, faisant de moi le fantôme de ces lieux tant aimés où j'ai sans nul doute vécu les heures les plus apaisées de mon interminable vie. Il n'est pas un recoin de ma chère maison qui échappe à l'amour dévorant et possessif que je lui porte. Depuis longtemps, j'ai marqué mon territoire, comme dirait Annette ma cuisinière. J'y ai disposé aussi judicieusement qu'il me semblait les trophées rapportés de mes nombreuses errances à travers le monde et j'ai tatoué, au seuil de la Villa Mauresque, le signe de la paix.
Parfois, il me semble que je suis né ici... »

mardi 25 juin 2013

Autour de Scott Fitzgerald

Roger GRENIER, Trois heures du matin - Scott Fitzgerald, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, novembre 1995 (260 pages).

Qui trop embrasse mal étreint... les nouveautés, le reprises, et quelques états d'âme comme assaisonnement m'auront fait oublié, dans mes brouillons, ce livre magnifique de Roger Grenier sur Scott Fitzgerald que je destinais à accompagner l'article sur Gatsby le Magnifique. Roger Grenier est l'un de mes auteurs favoris de chez Gallimard, un de mes grands anciens, et pourtant un de mes contemporains capitalissimes. Ne me tenez pas rigueur de cet oubli.

Je vous lasse sans doute avec mes perpétuelles recommandations : « Qui êtes-vous pour.... ? » m'a naguère asséné telle dame du micro, et il n'est pas une page que j'écrive, en scolie ou en apostille, sans que je me répète cette obsédante question. Comment partager ce goût, pourquoi partager ce goût ? Pourquoi et comment vous assurer que les quelques heures que vous passeriez à lire le bel essai de Grenier valent mille fois, et ici les mots valent mille images, le film clinquant de Baz Luhrman ?

Trois heures du matin : belles esquisses d'une vie de succès et d'échecs : « Quand je suis à jeun, je ne peux pas supporter le monde, quand j'ai bu, c'est le monde qui ne peut plus me supporter » écrit Scott. Et Zelda « la folle », et Hemingway le rival jaloux, et tant d'autres de ces premiers cinquante ans du vingtième siècle. Et aussi le déchirement entre la « bonne » littérature, ticket pour la postérité, et la littérature « facile »... indispensable pour le compte en banque.

J'écris d'un jet, peu importe. Une citation qui résume Gatsby :
« Gatsby le miséreux a réussi à posséder Daisy, la fille de milliardaires, grâce à la guerre et à son uniforme d'officier. Mais il a eu l'impression de commettre à la fois une escroquerie et un sacrilège. Il aura beau conquérir une immense fortune et étaler son opulence, pour retrouver celle qu'il aime, sa tentative aboutit à l'écrasement et à la mort. Il suffit à Tom Buchanan [l'époux ce Daisy], le vrai riche, de prononcer quelques phrases pour liquider Gatsby. Il n'a qu'à faire allusion aux origines de Gatsby et à son argent mal acquis. Aussitôt Daisy, malgré son amour, se retrouve d'instinct du côté de Tom. »
C'est toute l'Amérique qui se retrouve dans ce résumé, celle de l'argent qui distingue et qui tue.

J'écris trop rapidement ; tant pis. 

Présentation

« Quelle image surgit au nom de Francis Scott Fitzgerald ?
Le Fitzgerald de la défaite, de La Fêlure ?
L'excentrique de l'âge du jazz qui éprouve toujours le besoin de se faire remarquer et de se rendre insupportable ?
Le romancier respectueux de son art, mais qui gaspille son talent à écrire des nouvelles pour les magazines, parce que les besoins d'argent le prennent à la gorge ?
Le compagnon de Ring Lardner, de Hemingway, de Dos Passos, toujours prêt à aider les autres de ses conseils et à faire jouer son influence en leur faveur ?
Celui qui a la folie de trop demander à la vie et la sagesse de préférer l'écriture à tout le reste ?
Celui qui croit que l'on peut "tenir en équilibre le sentiment de la futilité de l'effort et le sentiment de la nécessité du combat ; la conviction de l'inéluctabilité de l'échec et pourtant la résolution de réussir" ? »

De manière à voir le Tage, « le souple Tage ancestral et muet »

André MAJOR, À quoi ça rime ?, Boréal, Montréal, avril 2013 (192 pages); également disponible sous format ePub.


Première expérience d'emprunt d'un livre électronique -- certains, dont Guy Bertrand, le redoutable Ayatollah des mots, de la SRC, inclinent à approuver l'usage de « livrel », sur le modèle de « courriel » -- à la Bibliothèque et Archives du Québec. La procédure est la même que pour l'emprunt d'une livre papier : réservation en ligne, un courriel informant l'abonné de la mise de côté, quelques clics et... ça y est.

Qui suit ces pages ne peut ignorer le grand bonheur que m'a procuré la découverte, il y a quelques mois, des trois recueils de récits de vie d'André Major. Découverte heureuse et bénéfique, qui m'a encouragé à me risquer à « écrire la vie » -- risques et périls certes. Le voici qui semble revenir au roman, et à saveur autobiographique en plus ; encore que, comme chez Modiano -- qui m'accompagne aussi depuis quelques semaines -- il est clair qu'il faut prendre garde de confondre le narrateur et l'auteur : nous voici en présence d'un récit de vie certes marqué de recoupements au réel, mais néanmoins œuvre de fiction : il y a de l'André en Antoine, mais pas identité, comme, selon le jour, il y a du Swann ou du Charlus en moi -- et même, las, de la Verdurin (nul n'y échappe).

Prendre le large, larguer les amarres : termes que l'on retrouve souvent dans ces œuvres, au point qu'on pourrait affirmer sans trop se tromper qu'il s'agit d'un thème tchékhovien : personnage en quête d'un éternel Moscou où il n'ira jamais, d'un ailleurs désiré, d'un moi qui ne souffrirait plus des aléas du moi incertain et, s'agissant de ce roman, d'un autre qui pourrait être aimé et aimer ? Oui, en effet « À quoi ça rime ? »
« Et je ne pouvais m'empêcher de me demander si aimer, ce n'est pas "se lasser d'être seul", comme le dit Pessoa. »
Livre à lire avec, comme musique de compagnie, le fado d'Alfredo Marceneiro. Je vous enjoint de suivre, comme je l'ai fait, la recommandation d'Antoine et, toute affaire cessante, et grâce à Internet qui nous met tout à portée d'un clic, de découvrir ces atmosphères portugaises riches de tristesse et de mélancolie. La première partie du roman se passe en effet à Lisbonne où Antoine vient accomplir un rite de passage, un témoignage de fidélité familiale.

Puis, quittant les rives du Tage, « le souple Tage ancestral et muet » comme l'écrit Pessoa, auteur qui, comme les russes chers au personnage -- et à l'auteur --, accompagne le lecteur, Antoine revient un moment sur rives de la rivière des Prairies.

Mais se voyant comme « ... le dernier représentant, sinon le fossoyeur, du monde que nous avions connu...et qui disparaissait au profit d'un présent tournant sur lui-même comme un derviche jusqu'à l'étourdissement, jusqu'à la perte de toute mémoire et la chute dans le vide. », Antoine, insatisfait de la vie contemporaine, de sa vie, à dire le vrai, de veuf et de retraité -- encore le « À quoi ça rime ? », et son côté Tchékhov -- se fera Alceste et quittera Montréal pour construire « sa cabane au Canada », comme diraient les cousins d'outre-Atlantique : il se retirera en son désert, au bort d'une cascade de la Montérégie (à défaut de Tage, ce torrent suffira). Écrivain, il renoncera au mots -- le monde les aura trop pervertis --, et ne pouvant plus construire d'écriture, c'est avec des matériaux bien concrets qu'il se fera une maison.
« Le fantôme d'écrivain... Je ne tolérais plus d'avoir à transcrire la vision que j'avais de la réalité pour que celle-ci existe pleinement. Les mots des autres, grâce auxquels tout prend une profondeur, une épaisseur et même un sens, devraient me suffire désormais -- je m'efforçais du moins d'y croire. »

«... on ne se sentait jamais de son âge, se voyant soit trop jeune, soit trop vieux, alors qu'en réalité on ne cesse jamais de douter de sa maturité parce qu'on demeure, même à un âge avancé, l'enfant de ses rêves quand bien même on prétendrait les renier. »
 « À quoi ça rime » est sans doute la question qui s'installe en nous tous, l'âge -- peut-on parler de sagesse ? découvrant, comme la mer se retire sur la nudité des galets, l'amertume du temps perdu à la vaine agitation du monde. Pour Antoine, ce sera cette cabane ; pour l'auteur, l'écriture d'un roman portugais comme un fado ; pour le lecteur, un plaisir doux-amer accompagné de l'entêtante question à laquelle il lui faudra répondre un jour.

Et ce jour là, il importera de placer sa chaise « de manière à voir le Tage »... Nul doute que la rime sera riche.

Présentation

« Que peut-il arriver à un homme une fois qu’il est parvenu au bout de son aventure, qu’il a quitté la route de son destin et qu’il ne se reconnaît plus d’autre patrie que l’humilité du monde tel qu’il est, plus d’autre souci que la simple possession de l’instant présent ? À quoi rime alors son existence et que peut-elle encore lui réserver ?

» Veuf depuis quelques années, Antoine vient en outre de perdre le vieil oncle à qui tout son passé l’attachait. Il part vivre son deuil au bord du Tage, à Lisbonne, avec pour seuls compagnons ses souvenirs et l’ombre toujours vivante de Pessoa. De retour au pays, il entreprend de déserter pour de bon en se construisant un ermitage au milieu des bois, où il pourra tout recommencer à neuf, se dépouiller de ses vieux désirs et réapprendre l’amitié des choses, la beauté de la nature, la lenteur du temps qui passe, le repos de la solitude et du silence. Mais ce qu’il ignore, c’est que la vie n’en a pas fini avec lui… À quoi tout cela rime-t-il exactement ?

» Depuis La Vie provisoire (1995), André Major avait délaissé la fiction pour se concentrer sur l’écriture (et la réécriture) de ses carnets. Fort de cette expérience, qui a été pour lui celle d’un regard à la fois plus exigeant et comme désabusé sur le monde et sur soi, il revient ici au roman, renouant avec le personnage de L’Hiver au cœur (1987) et retrouvant ses thèmes et ses paysages de prédilection, mais pour les traiter sur un ton nouveau, comme épuré, avec un art de la prose et un sens du récit plus mûrs et mieux maîtrisés que jamais. »