mardi 27 décembre 2011

Dans le secret d'une photo

Roger GRENIER, Dans le secret d'une photo, Gallimard - L'un et l'autre, Paris, janvier 2010 (129 pages).

Lecture concomitante d'un grand ménage anthume, comme l'écrirait Alphonse Allais, de ma boîte de photos et cartes postales. Anthume, car j'ai décidé de procéder moi-même et par avance à un débarras que j'évite ainsi à mes héritiers -- les bien nommés liquidateurs. À qui j'épargne les interrogations, et autant de commentaires sur les dames du temps jadis et autres neiges d'antan, sur ces gens de naguère posés qui devant la pyramide du Louvre (je n'ai jamais été très tour Eiffel), qui dans la cour carrée du château de Versailles. Si le sac destiné au recyclage de ces carrés et rectangles glacés s'est bien vite rempli, il a pris un peu plus de temps à franchir les quelques pas entre l'appartement et la chute fatale dans l'oubli. Deux semaines pour être précis. Ce qui, somme toute, n'est pas si long pour environ quarante-cinq ans de clichés. Des premiers pris en noir et blanc au temps de l'exposition universelle et d'un premier voyage en Europe, aux derniers bien colorés mais déjà si désuets, lors de telle cérémonie qu'il convient bien d'appeler mariage, aux yeux des seuls hommes, les dieux -- du moins ceux qui ont siège social à Rome -- ne s'occupant pas de ce genre d'union, photographies destinées à pérenniser ce qui, comme rose, ne dura qu'un printemps : Want to buy some illusions ? « Devant ces photos d'autrefois, j'ai l'impression que le présent est un pays étranger. J'y vis en exil.» écrit Roger GRENIER dans ce bref récit, lui étant « l'un », ses appareils photos successifs étant « l'autre »; pour moi qui ne voyage plus guère, me voici dispensé d'avoir à renouveler mon passeport mémoriel pour cette terre de ce qui constitue autant de memento mori. Et d'ailleurs, pour ces vanités, l'ordinateur a désormais pris la relève, qui dispense de la traditionnelle boîte à chaussure.

Citation de Diane ARBUS : « Tout le monde a ce désir de vouloir donner de soi une certaine image, mais c'est une toute autre qui apparaît. Une photographie est un secret au sujet d'un secret. » Au fond, ce blog ne serait-il pas, lui aussi, une photographie ?
Présentation :
« Si j'ouvre mes vieux albums, les compagnons d'autrefois, la plupart disparus, me regardent. C'est un plaisir un peu triste et puis, d'autres jours, un face-à-face avec le néant. Certains, certaines étaient jeunes et séduisants, vraiment beaux. Ils n'auront jamais été vieux. Au bout d'un moment, il est intolérable de se dire qu'ils sont dans une tombe, ou réduits en cendres. Je referme l'album.
Devant ces photos d'autrefois, j'ai l'impression que le présent est un pays étranger. J'y vis en exil.»

mardi 20 décembre 2011

Lucien Jerphagnon

À écouter : Les racines du ciel (France Culture) : Lucien Jerphagnon : un itinéraire partagé entre sagesse antique et spiritualité actuelle. Avec Christiane Rancé.


Scrupule - Le Tour d'écrou

J'éprouve un certain, quoique léger, scrupule à la relecture de mon commentaire de la notice accompagnant la nouvelle Le Tour d'écrou dans l'édition de la Pléiade. Je l'ai relue, peine perdue. Je me risque à vous prendre à témoin, conscient que je manifeste là un peu de mauvaise foi, mais vous promets que je n'ai pas choisi le passage le plus obscur :
« Plongée dans les mirages de l'Imaginaire, "Le Tour d'écrou" fait surgir à l'occasion, dans les intervalles de ses jeux de miroir, les implications d'un narcissisme mortifère, qu'on a pu décrire comme "l'effacement de la trace de l'Autre dans le Désir de l'Un". Avant de se renverser dans son contraire -- l'opacité absolue que connotera le vide ou l'hostilité des regards --, l'illusion de transparence et de "saisie" totale s'affirme comme identique pour les deux enfants. [...] Le recours aux hyperboles de la fantaisie et du conte ne masque pas tout à fait la violence sous-jacente à cette rhétorique du Même et de l'Un, d'autant plus frappante que James a malgré tout choisi de marquer les deux enfants du sceau de la différence... »
On me pardonnera, je l'espère, mon peu de lumière.

lundi 19 décembre 2011

Le tour d'écrou

Coffret 2 volumes 1888-1910

Henry JAMES, Le tour d'écrou in Nouvelles complètes 1898-1910, édition établie par Évelyne LABBÉ, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2011 (1726 pages) - traduction par Christine SAVINEL; plusieurs éditions en format de poche.
Henry James

C'est le cinéma et l'opéra qui m'ont fait découvrir les nouvelles d'Henry JAMES. La chambre verte de François TRUFFAUT, un de ses films les plus difficiles et les moins compris, et The Turn of the Screw de Benjamin BRITTEN. Plus récemment, les romans Le maître de l'irlandais Colm TOIBIN et L'Auteur ! L'auteur ! du britannique David LODGE, que je recommande vivement l'un et l'autre, constituaient, étaient, moins des biographies romancées, que de beaux portraits d'un auteur à l’œuvre. L'édition des nouvelles complètes, dans la bibliothèque de la Pléiade, m'aura permis de m'y plonger.

Il y a quelque chose d'assez sombre dans cette histoire d'une gouvernante et des deux enfants dont elle a la charge, y compris une fin aussi tragique qu'inattendue; une histoire de fantômes qui viendraient -- viennent -- hanter les lieux. Ils sont deux, ces revenants, un homme et une femme, liés naguère aux enfants, mais qui les voit ? La gouvernante certes, mais qui d'autre ? Est-elle folle, ces visions sont-elles le fruit de sa trop grande sensibilité ? JAMES entraîne son lecteur dans un labyrinthe d'une grande beauté littéraire au style aussi sobre que le sujet est fantastique. La difficulté, hélas, pour le lecteur d'aujourd'hui, est qu'il est habitué -- la télé, le cinéma -- à voir tellement de ces histoires (je pense notamment à la saga des Harry Potter), alors que le contemporain de JAMES n'avait d'images que du produit de son imagination; bref, je me demande si notre sensibilité n'aura pas été trop émoussée pour que nous puissions réellement comprendre l'histoire et le message de l'auteur. Et je dois avouer, tout amateur de la collection que je puisse être, que la notice m'a paru être davantage destinée à un public universitaire qu'au lecteur moyen et m'a laissé du côté de l'ombre... un peu comme la gouvernante. Mais je vais blâmer cette grise matinée de décembre, qui m'aura embrouillé les idées.

Pour la suite des choses, je vais maintenant me diriger vers les nouvelles qui ont inspiré TRUFFAUT : L'autel des morts, Comment tout arriva et La bête dans la jungle.

lundi 12 décembre 2011

Chez Baudelaire, à Paris

Didier BLONDE, Baudelaire en passant, Gallimard - L'un et l'autre, Paris, octobre 2003 (175 pages).

Clésinger - Femme piquée par un serpent
Didier BLONDE est un de ces cicerones indispensables pour qui veut visiter Paris dans le confort de son home sans craindre ces redoutables mouvements sociaux et autres ponts qui, cela va de soi, immobilisent tout. Déambulation littéraire, il va sans dire, d'hier et d'aujourd'hui. Son récent  Carnet d'adresses m'ayant fort séduit j'ai décidé d'accompagner l'auteur dans sa visite des lieux fréquentés par BAUDELAIRE, depuis sa concession perpétuelle n° 362-1857 du cimentière Montparnasse en passant par la maison de santé du docteur Duval, la brasserie des Martyrs, le café Lemblin, en prenant bien soin de faire une pause ludique chez Mme Sabatier, son éphémère maîtresse -- qui servit de modèle à Clésinger --, au 4, rue Frochot, sans oublier un crochet par le Mont-de-piété.

Cette promenade est d'autant plus intéressante que le poète est lui-même « un marcheur qui traverse Paris, son territoire, de part en part, inlassablement. La poésie est d'abord une affaire de pieds, elle se marche, se pense et se parle, elle est dans l'oeil et l'oreille, fait d'image et de sons. La rue impose une esthétique : le cahot des pavés provoque ses ruptures, sa dissonance. »

Mieux qu'une biographie, mieux qu'une analyse littéraire, ce bel « en passant » chez et avec Baudelaire. Prélude à une relecture de l’œuvre du poète ?

Présentation
« Il a habité tantôt en haut, tantôt en bas, de plain-pied ou sous les toits, près du ciel ou de la rue. Les témoignages contemporains, ou la tradition orale qui a suivi, ne retiennent, dans la cinquantaine de domiciles parisiens qu'il a occupés, que des mansardes ou des rez-de-chaussée. A l'hôtel d'York - rebaptisé hôtel Baudelaire parce qu'il y a passé quelques jours en février 1854 - la femme de service m'a fait visiter sa chambre et a récité recto tono tout ce qu'on lui avait fait apprendre par cœur comme un parfait guide de musée. Et à l'hôtel Voltaire, sur le quai du même nom, qui commémore fièrement son séjour ici par une plaque de cuivre apposée sur la façade avec les derniers vers du " Crépuscule du matin ", le réceptionniste que j'ai interrogé, embarrassé, s'en est tiré comme MB, de la rue Frochot C'était certainement en haut, au cinquième, a-t-il répondu après un moment d'hésitation. Un poète ne peut vivre que dans une mansarde, près du ciel, la tête dans les nuages... »

lundi 5 décembre 2011

Jean-Paul THUILIER, Virilités romaines : vir, virilitas, virtus in Histoire de la virilité, tome 1 : L'invention de la virilité - De l'Antiquité aux Lumières, volume dirigé par Georges VIGARELLO, Seuil, Paris, octobre 2011 (577 pages - pp 67 à 111).

Peut-être sont-ils fous ces Romains, nous laisserons aux experts le soin d'en débattre, mais, chose certaine, ils sont prudes. Du moins leurs discours l'affirment-ils avec vigueur. Et dès la République, ils reprocheront aux Grecs leurs mœurs... grecques.

L'on me pardonnera ici une brève digression anachronique : les discours de moralité de tels prédicateurs ou politiques du fondamentalisme américano-chrétien -- regardez la campagne à l'investiture du parti républicain -- ne sont-ils pas semblables au discours latin sur les bonnes mœurs et la virilité ? « Fais ce que je dis, et que le Seigneur (choix multiple ici) ordonne » prêchent-ils une main sur le cœur, l'autre dans les dessous de leur maîtresse, quand ce n'est pas dans celle de leur pueri ou puella. C'est ainsi que les hommes vivent, surtout ceux de pouvoir, et, n'en doutons pas, vécurent.

D'entrée de jeu, je signalerai le style vif et précis de Jean-Paul THUILIER, ainsi que son humour rentré, qui, en moins de cinquante page nous dresse, avec un florilège de citations, un bon tableau du civis romanus (ô ma jeunesse de versions latines...) et dissipe beaucoup de malentendus sur la question. Réglées quelques notions terminologiques, il articule le chapitre en trois parties : Du bon usage de la virilité; Portrait physique de l'homme viril; portrait moral du Romain viril. Est-ce un trait de notre époque ? il commence par la sexualité.

Est homme -- le vir -- celui qui n'est plus adolescent : le poil est apparu, ni encore un vieillard, la force de l'âge, c'est en quelque sorte l'âge de la force. Et comme toujours, c'est dans le regard de la société que la virilité se définit et se construit ou détruit une réputation. Côté sexe, Paul VEYNE résume ainsi la situation : « sabrer et ne pas se faire sabrer; la sexualité virile est donc active et non passive, peu importe, sous les réserves que nous verrons, le sexe de l'objet pénétré. Il sera bien vu, sous la République ou l'Empire, de s'afficher avec un puer soit un jeune garçon ou un jeune esclave, et nul n'y trouvera à redire. Mais coucher avec un jeune homme libre, ou une femme mariée, est répréhensible et encourt le mépris. Ici, le Romain se distingue du Grec en ce qu'il condamne la fonction  formatrice de la pédérastie (éromènes/érastes). Et, contrairement à l'ère chrétienne, la monogamie ne semble pas une vertu distinctive.

Côté physique, l'homme romain présentera un visage et un corps bronzés, la blancheur de teint -- n'est-ce pas une constante universelle ? étant réservée à la femme. Il aura un corps guerrier, un corps athlétique : il sera donc sportif. Un personnage efféminé d'une des pièces de Plaute sera qualifié de malacus (mou), cincinnatus (frisotté) et umbraticulus (passant sa vie à l'ombre). Enfin, pendant longtemps, la virilité sera poilue, notamment avec le port de la barbe. Et quand le visage glabre s'imposera, l'épilation demeurera un signe de féminité. Le tout sera affaire d'équilibre : ni femme, ni bête.

Sur le plan moral, le mâle romain sera un guerrier et un chef dominateur; il dominera autrui, sa famille en particulier, mais avant tout ses propres sentiments. Pudique, il dédaignera, sauf aux thermes, la nudité, y compris dans la représentation : la beauté virile n'est pas nue, contrairement à celle de la Grèce.

L'auteur conclut que la société romaine était ce qu'on appelle de nos jours machiste, mais rappelle que trois des personnalités qui ont joué un rôle capital dans la transition entre la République et l'Empire n'auraient pas passé le test de la virilité romaine : César, Pompée et Auguste. N'appelait-on pas le premier « l'homme de toutes les femmes et la femme de tous les hommes » (SUÉTONE) et aussi la « reine de Bithynie » ? et on ironisait volontiers sur la virilité chancelante du deuxième, qui se serait fait établir, ô scandale, comme « épouse » de son giton, et n'aurait jamais été le mâle des péplums. Pour le troisième, qui deviendra Auguste : « ...on est loin des critères qui faisaient à Rome le vrai mâle : un poltron qui redoutait la foudre, un hypocondriaque couvert de vêtements et qui ne s'exposait jamais au soleil et, comble, de l'efféminé, Octave se brûlait le poil des jambes avec des noix ardentes afin que celui-ci soit plus doux et lisse en repoussant. » En plus de collectionner les aventures féminines, y compris avec des femmes mariés, et d'avoir été le mignon de certains Romains et même de César, qui aurait eu la « primeur » de son petit-neveu et fils adoptif.

O tempora, o mores, comme dirait le pirate dans Astérix...


samedi 3 décembre 2011

Le Garde-mots

Je vous invite à visiter le blog le Garde-mots : « Chaque lundi et chaque vendredi un mot nouveau en rapport avec l'actualité, la langue française, l'humeur du gardien …»

Citation

Déplaçant ce matin quelques livres dans ma bibliothèque, dont les deux imposants MALRAUX  que sont Les voix du silence et Le musée imaginaire de la sculpture mondiale -- n'allez pas en déduire que l'Homme chasse l'Art -- afin d'y placer les trois volumes de l'Histoire de la virilité, je suis tombé sur ce livre qui y est mais devrait, si ce n'était de la gentille dame qui fait le ménage chez moi, et qui soupire devant le désordre de mes piles de livres, demeurer sur ma table de lecture, ou à proximité d'icelle, l'essentiel Dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles DANTZIG ( Grasset, 2005), qui est du genre que l'on déguste à petites pages, articles par articles et qui s'est ouvert, il n'y a pas de hasard, à la page 226 sur l'article Critères du bon écrivain ou du bon livre :
« Le bon écrivain impose ce qu'il montre. Nous ne l'avions pas regardé jusque-là. Nous le voyons. Cela paraît évident. C'est un des critères qui permet de reconnaître le bon écrivain. Qui avait regardé les célibataires avant Montherlant ?

On reconnaît le bon écrivain à ce qu'il nous intéresse à ce qui ne nous intéresse pas. Les plaines, les Flandres, les ciels bas me rebutent, mais j'aime Verhaeren.

Un autre critère du bon écrivain est qu'il donne envie d'écrire. Pas sur lui, autre chose. Il y a une contamination de la création. »

Une contamination de la création...

Pour moi, cependant, je n'arrive pas, malgré leurs efforts, à m'intéresser aux écrivains qui ne s'intéressent qu'à eux-mêmes et demeure, de ce fait, rétif à l'auto-fiction.