lundi 29 octobre 2012

Les chagrins de l'arsenal

Patrice DELBOURG, Les chagrins de l'arsenal, Le Cherche Midi, Paris, août 2012 (320 pages); aussi disponible en version électronique.


On aime les méchants, le vilains, les fourbes; davantage Iznogood que le bon calife Haroun el Poussah, Darth Vadar que le falot Skywalker; et préfère même, si l'on se soucie de l'actualité politique locale, le repenti grassouillet au verbe délateur à tel innocent (choisir l'acception du qualificatif applicable au personnage) édile à la parole transparente. Le vice, voudrait-on croire, ne paie pas (sauf à l'évidence dans le béton), à tout le moins séduit-il. Pour un Ness, combien de Capone, pour un Holmes, de Moriarty ?

Ce préambule pour te présenter, lecteur curieux, Timothée Flandrin, héros de ce savoureux petit (par le volume, s'entend) roman de Patrice Delbourg, que j'ai lu en version électronique (ePub), fort érudit (au risque de te perdre, ce qui serait dommage), mais pédant point.

Signe distinctif dudit individu : la haine des livres.

Travaillant comme archiviste à bibliothèque de l'Arsenal, il s'est donné pour mission de nettoyer aussi bien les rayons que la littérature des scories accumulées au fil des siècles; le voici décrit par le narrateur :

« Naufragé au berceau, il était passé directement de l'état de nourrisson à celui de vieil ingénu, torse nu, destin biscornu.

» Au lieu d'avoir été jeune, il était vite devenu archiviste, ce qui est une autre forme de de jouvence par la bande. L'indispensable bande Velpeau bien sûr, si précieuse pour boucler les dossiers épars.

» Timothée aimait jouer, pourtant il ne savait que perdre. En érigeant sa névrose d'échec en système, il avait mis sa vie à la porte.

» Timothée avait depuis longtemps fait l'économie de réfléchir par lui-même. Ça détend, ça rassure et évite toute dépense d'émotion. Rien surtout qui n'émane du dedans. Nada de son cru. Épargne totale d'affects.»
Comme certains détestent toute leur vie les épinards ou le poisson pour avoir été forcé d'en manger, et sans doute mal apprêtés, dans leur enfance, Flandrin attribuait son intolérance des livres à des lectures obligées, de même que le prurit destructeur dont il se sentait investi : « Chaque auteur par lui lapidé porte en lui la réminiscence d'un pénible moment d'instruction ou d'apprentissage. » Lisant tout, ayant tout lu, d'une culture littéraire à couper le souffle, mais d'un jugement ravageur, il se livre méthodiquement à sa fureur, chaque auteur se voyant éliminé de la manière qui convient le mieux à son style. Du grand art. Naguère il corrigeait les livres, rectifiant les constructions défectueuses, les concordances des temps fautives, mais désormais, il ne pratiquait plus qu'une rassérénante politique de la page brûlée.

Cédons-lui un instant la parole, et constatons son pessimisme :
« N'envisageons pas l'avenir des bibliothèques avec trop d'inquiétude, mesdames et messieurs.Bientôt elles auront cessé d'exister. Nous nous avançons à pas rapide vers une époque où tout le monde écrira, tout le monde sera publié et où un livre ne sera lu que par son auteur. Si celui-ci existe encore. Ou si son nègre lui passe le manuscrit avant l'impression. »
Chacun des chapitres porte sur un aspect de la vie de Flandrin. Le lecteur appréciera la promenade dans le quartier de l'Arsenal et, autant que moi je l'espère, le chapitre à la plume truculente sur ses amours cinématographiques avec la pulpeuse et balkanique Draghixa.

Certains pourront regretter la rareté des dialogues et l'omniprésence du narrateur, qui font du roman, ce qui pourrait être un travers, une sorte d'exercice de style. Plus Flaubert que Stendhal en résumé. Il serait dommage, toutefois, qu'ils se privent de la verve critique littéraire que celui-ci exprime par Flandrin interposé, Rinaldi lui-même n'assassinant pas si large.

C'est pourquoi j'espère que, lecteur, tu ne te refuseras pas ce petit, fût-il coupable et solitaire, plaisir biblioclaste.


Présentation de l'éditeur :
« Un livre saccagé vogue au fil de la Seine. Un autre, déchiqueté en petits morceaux, gît au fond d'une corbeille de jardin public. Un troisième, calciné, attend sur un banc à l'arrêt d'un autobus. Une inquiétante et cruelle épidémie contamine le quartier de l'Arsenal. On murmure qu'un forcené s'adonne, nuitamment, à un étrange ballet de livricide. Un petit Fahrenheit de poche. Un autodafé intime.
 

Faire disparaître d'une bibliothèque tous les ouvrages qui ont pourri vos jeunes années... Froide détermination ? Insupportable solitude ? Folie douce ? Timothée Flandrin a une conception toute personnelle de la loi du talion.

Une déclaration d'amour fou à la littérature. »
 Apostille

mardi 23 octobre 2012

Pas Bon, pas pantoute

François BON, Autobiographie des objets, Seuil, Paris, août 2012 (244 pages); Après le livre, Seuil, Paris, septembre 2011 (version électronique).


Je vous la donne en mille -- mais comme je m'arrête à la page 23 de l'Autobiographie des objets, je doute d'en être arrivé à ce compte :
« J'ai rarement à téléphoner, et très peu d'interlocuteurs -- une de mes défenses est d'ailleurs d'oublier très vite ce que dit au téléphone pour leur apprendre à expédier plutôt des e-mails. »
Certes, l'on comprend, ou plutôt écrirait l'auteur : faire du sens on peut. Mais moi, y en marre de cette prose tarabiscotée, pas Flaubert, pas Stendhal, pas rien, bref, nulle, qui veut faire neuve et selon une grammaire qui est ce que la version à gogo d'icelle est à la messe : du toc.

Même chose pour l'essai a priori intéressant Après le livre, que je traîne toujours et encore sur ma liseuse (laquelle m'indique que j'en suis à 63%) et ma tablette et auquel, par temps de très grand désœuvrement, et absolument rien d'autre à me mettre sous les yeux, même sur Internet, je reviens parfois. Au vrai, ce serait plutôt Après le français qu'il faudrait l'intituler. Et la preuve, par l'absurde, que, hélas, en France aussi, il n'y a plus d'éditeurs.

Ma théorie est que François Bon est le nom de clavier d'un ordinateur qui, programmé par quelque Frankenstein informaticien, se serait émancipé, de son créateur et, sans doute après avoir lu quelque ouvrage de notre Mlle B*** ou de la M. D. dernière époque et tout bit bu, voudrait s'adonner comme tout un chacun à l'écriture (de littérature, pas question).

Pourtant, dans l'un et l'autre cas, l'idée est bonne. Reste à trouver l'écrivain.

Cela dit, pour qui s'intéresse à l'émergence du livre électronique, ainsi qu'à l'histoire de l'objet auquel beaucoup sont toujours attachés (mais les lisent-ils encore ?), et ne répugne pas à un effort de lecture semblable, pour le promeneur, à l'ascension de l'Annapurna, bon courage.

Présentation d'Autobiographie des objets :
« Aux deux extrémités du marais poitevin, deux mondes: l'un qui serait celui de la terre et des livres, l'autre celui de la mer et de la mécanique. Ma vie s'est construite autour des objets qui peuplaient ces mondes. »
Présentation d'Après le livre :
« Les mutations de l’écrit ont une portée considérable puisqu’elles affectent la façon même dont une société se régit. C’est ainsi que le passage de l’ « imprimé » au « dématérialisé » induit, sous nos yeux, de nouveaux rapports à l’espace, de nouvelles segmentations du temps. Tout annonce que le web sera demain notre livre (qu’il soit imprimé ou électronique), cette mutation en engageant d’autres, dont François Bon se fait ici l’analyste selon trois axes d’exploration : l’axe autobiographique (ou Comment F. B. s’est approprié cette technologie et comment elle a bouleversé son travail), l’axe technique (ou Quelles sont les virtualités de ces technologies), l’axe anthropologique (ou Qu’est-ce que ces nouvelles pratiques induisent dans la culture). Passionnant et neuf. »
 Apostille

lundi 22 octobre 2012

Home

Toni MORRISON, Home, traduit de l'anglais par Christine Laferrière, Christian Bourgois, Paris, août 2012 (151 pages); titre original : Home. Également disponible sous format électronique.


Il s'appelle Frank Money. Son nom, le seul argent qu'il ait. Non, il a aussi une sœur.

Ce que les hommes font aux hommes, quand ceux-ci sont noirs; ce que la guerre fait aux hommes; ce qu'un soldat fait à une petite coréenne; ce qu'un médecin fait à une jeune femme, sa domestique.

« Partez d'ici à demain » disent des hommes blancs aux habitants d'un petit quartier en bordure de la ville « autrement...». L'un deux resta, et apprit la signification de « autrement ».


Le sud des États-Unis, au milieu du XXe siècle. L'Amérique en gloire. L'esclavage est aboli depuis presque un siècle. Aboli : voire ! Il y a encore pire.

Home ? un trou dans la terre.

Frank Money raconte en peu de mots; l'auteur écrit en peu de mots. Dur.

Lisez.

Quatrième de couverture :
Toni Morrison nous plonge dans l'Amérique des années 1950.

« Home est un roman tout en retenue. Magistral. [...] Écrit dans un style percutant, il est d'une simplicité trompeuse. Ce conte au calme terrifiant regroupe tous les thèmes les plus explosifs que Morrison a déjà explorés. Elle n'a jamais fait preuve d'autant de concision. C'est pourtant dans cette concision qu'elle démontre toute l'étendue et la force de son écriture. » The Washington Post

« Ce petit roman envoûtant est une sorte de pierre de Rosette de l'œuvre de Toni Morrison. Il contient en essence tous les thèmes qui ont toujours alimenté son écriture. [...] Home est empreint d'une petite musique feutrée semblable à celle d'un quatuor, l'accord parfait entre pur naturalisme et fable. [...] Mme Morrison adopte un style tranchant qui lui permet de mettre en mots la vie quotidienne de ses personnages avec une précision poétique. »
The New York Times

jeudi 18 octobre 2012

Citation

Histoire de s'illuminer un jour d'automne pourtant déjà fort ensoleillé d'un rappel de notre humaine condition.  Céline, c'est l'oral dans l'écrit, à coté de quoi la Duras, c'est du chiqué. Et pour le moral, une impitoyable gymnastique.
« On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s'en aperçoit à la manière qu'on a prise d'aimer son malheur malgré soi. C'est la nature qui est plus forte que nous voilà tout. Elle nous essaye dans un genre et on ne peut plus en sortir de ce genre-là. Moi j'étais parti dans une direction d'inquiétude. On prend doucement son rôle et son destin au sérieux sans s'en rendre bien compte et puis quand on se retourne il est bien trop tard pour en changer. On est devenu tout inquiet et c'est entendu comme ça pour toujours. »

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, Paris.

dimanche 14 octobre 2012

jeudi 11 octobre 2012

L'herbe des nuits

Patrick Modiano parle (en deux segments) de son nouveau roman, L'herbe des nuits, pendant l'émission La grande librairie :





Sortie au Québec en novembre... ou déjà disponible sous format électronique.


dimanche 7 octobre 2012

Citation : Le neveu de Rameau

Incipit du roman de Diderot. Eh oui ! encore une lecture scolaire. Mais pour moi, ce sera dans le parc Lafontaine que je visiterai mes catins; et, je l'avoue, rarement quand il fait laid...
« Qu'il fasse beau, qu'il fasse laid, c'est mon habitude d'aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. C'est moi qu'on voit, toujours seul, rêvant sur le banc d'Argenson. Je m'entretiens avec moi-même de politique, d'amour, de goût ou de philosophie. J'abandonne mon esprit à tout son libertinage. Je le laisse maître de suivre la première idée sage ou folle qui se présente, comme on voit dans l'allée de Foy nos jeunes dissolus marcher sur les pas d'une courtisane à l'air éventé, au visage riant, à l'œil vif, au nez retroussé, quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s'attachant à aucune. Mes pensées, ce sont mes catins. »