mercredi 27 juin 2007

Citation

Entendu à la fin de l'émission de France Culture, L'esprit public, par Philippe MEYER cette citation, chacun en tirera les leçons voulues...


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France Culture
« Il y a un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques. Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens les droits qu’ils possèdent; ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes(…)

Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte. Qu’il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu’il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se le procurer ; et, au moindre bruit des passions politiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils s’éveillent et s’inquiètent ; pendant longtemps la peur de l’anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier désordre.


Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître. (…)

Il n’est pas rare de voir alors sur la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d’une foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de l’immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de toutes choses, ils changent les lois et tyrannisent à leur gré les mœurs ; et l’on s’étonne en voyant le petit nombre de faibles et d’indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple… Le naturel du pouvoir absolu, dans les siècles démocratiques, n’est ni cruel ni sauvage, mais il est minutieux et tracassier. »



Alexis de Tocqueville

De la Démocratie en Amérique, Livre II, 1840

Citation

Au fil de ma lecture du New York Times, je lis la citation suivant, dont j'ose une traduction :

THE BAD CITIZEN

The superior mind will find itself equally at odds with the evils of society, and with the projects that are offered to relieve them. The wise skeptic is a bad citizen; no conservative; he sees the selfishness of property, and the drowsiness of institutions.

But neither is he fit to work with any democratic party that ever was constituted; for parties wish every one committed, and he penetrates the popular patriotism.

Ralph Waldo Emerson, from “Montaigne; or, the Skeptic” (1850)

LE MAUVAIS CITOYEN

L'esprit supérieur se trouvera en désaccord tant avec les maux de la société qu'avec les projets visant à les soulager. Le sceptique sage est un mauvais citoyen ; nullement conservateur, il constate l'égoïsme de la propriété aussi bien que la langueur des institutions.

Et il n'est pas fait pour s'associer à quelque parti démocratique (politique ?) que ce soit ; lesquels attendent un engagement, alors que lui a la faculté de pénétrer le patriotisme populaire.

mardi 19 juin 2007

L'auteur ! L'auteur ! (suite)

David LODGE, L'auteur ! L'auteur !, Rivages/Roman, Paris, 2005, (414 pages). Traduit de l'anglais par Suzanne V. Mayoux, titre original : Author, Author, 2004.



Le roman s'ouvre dans les semaines qui précèdent la mort de Henry James, et se termine à la mort de celui-ci. Entre ces deux chapitres, avec quelques allers-retours dans le temps, le lecteur suivra, pour l'essentiel, la carrière de l'auteur après son installation définitive en Grande-Bretagne. Sera tout particulièrement mis en lumière la volonté d'assoir, tant en ce qui touche la renommée que sur le plan financier, sa carrière, en explorant une nouvelle voie, celle du théâtre, qu'il juge plus propice à lui apporter le succès.

Lodge nous montre aussi les amitiés de James avec d'autres auteurs, dont le talent est incontestablement moindre, mais dont la réussite est plus éclatante. On pense notamment à George Du Maurier et Constance Fenimore Woolson. Tout en jugeant ce succès immérité, et ne comprenant pas le goût du public, il ressent à la fois jalousie et amerturme, mais la sincérité de son amitié envers ces rivaux littéraires n'en est pas affectée.

Chose intéressante que ce texte : c'est un roman, mais il a une forte saveur biographique : « Presque tout ce qui se passe dans ce roman est fondé sur des sources formelles ». Et pourtant, tout le long de la lecture, j'avais l'impression que le sujet principal, bien qu'invisible, est bien davantage Lodge que James. Ou plutôt une espèce d'identification de leurs deux destins.

J'ai crû trouver confirmation de ce sentiment quand, vers la fin du livre, James, écrivant un article sur son ami Du Maurier, récemment décédé, s'aperçoit « qu'il s'agissait autant de lui que de Du Maurier... » Et dans le dernier chapitre, Lodge intervient dans le cours du récit (passages marqués en italiques), s'adressant directement à celui qui vient de mourir, et dont la renommée devra attendre encore quelques décennies.

Pourtant Lodge a connu, et depuis longtemps, un assez grand succès pour ses romans; peut-être toutefois souffre-t-il de que que la critique ne le tienne pas pour un auteur sérieux, du genre de James, justement, un auteur qui dure... En tout cas, il n'a certes pas connu beaucoup de succès avec ce roman, face à son rival et concurrent Le Maître, de Colm Toibin.

Lequel des deux la postérité retiendra-t-elle ? Je ne saurais me prononcer, mais j'avoue que le Toibin m'a davantage séduit que le Lodge. Quoiqu'il en soit, on pourrait trancher en recommandant de revenir à James...

Mais je vous recommande vivement la lecture des essais de Lodge Dans les coulisses du roman.

lundi 18 juin 2007

En cours


Jonathan LITTELL, Les bienveillantes, Gallimard, Paris, 2006 (907 pages).

Ce n'est pas sans hésitation que j'ai abordé ce week-end la lecture de ce roman, couronné du Goncourt l'automne dernier et véritable phénomène de l'édition en France. Il s'est beaucoup vendu, certes, mais s'est-il lu ? On sait aussi la controverse qui l'a entouré : fiction et Shoah sont-elle compatibles sans obscénité ?

D'entrée de jeu, le protagoniste (comment écrire héros ?) situe le cadre de la pensée -- de la rationalisation de sa vie. Puis l'horreur commence. Des amis m'ont dit que les deux cents premières pages sont les pires, qu'ensuite on s'habitue : peut-on décemment s'habituer à la description de l'horreur ? J'en suis à la page 158, et ne m'habitue pas.

Incipit :
Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s'est passé. On n'est pas votre frère, rétorquerez-vous, et on ne veut pas le savoir. Et c'est bien vrai qu'il s'agit d'une sombre histoire, mais édifiante aussi, un véritable conte moral, je vous l'assure. Ça risque d'être un peu long, après tout il s'est passé beaucoup de choses, mais si ça se trouve vous n'êtes pas trop pressés, avec un peu de chance vous avez le temps. Et puis ça vous concerne : vous verrez bien que ça vous concerne. Ne pensez pas que je cherche à vous convaincre de quoi que ce soit ; après tout, vos opinions vous regardent. Si je me suis résolu à écrire, après toutes ces années, c'est pour mettre les choses au point pour moi-même, pas pour vous.
Lire quelques critiques sur le site Alapage :

Livre: LES BIENVEILLANTES, Jonathan Littell, BLANCHE

jeudi 14 juin 2007

Bio de Henry James

L'auteur ! L'auteur !

David LODGE, L'auteur ! L'auteur !, Rivages/Roman, Paris, 2005, (414 pages). Traduit de l'anglais par Suzanne V. Mayoux, titre original : Author, Author, 2004.

Il y a quelques semaines, j'ai parlé brièvement d'un recueil (billet du 12 mars 2007) d'essais du même auteur, Dans les coulisses du roman, qui relatait la genèse du roman L'auteur ! L'auteur ! et l'histoire de ses déboires éditoriaux. C'est ainsi que j'abordai l'oeuvre de Lodge et, ma curiosité piquée, je décidai de lire ce roman en cause.

En quelques mots, Lodge, en 2004, s'est vu, alors qu'il travaillait à cet ouvrage depuis plusieurs années, devancer au fil d'arrivée par le romancier irlandais Colm Toibin, dont le roman, Le maître portait également sur le romancier anglo-américain Henry James et se voyait couronné du Booker Prize, sorte de Goncourt britannique. Les succès de ce dernier portant, évidemment, ombrage au premier, Lodge se voyait revivre, un siècle après, la déconvenue de James face à George Du Maurier, tardivement venu au roman et dont le roman, Trilby, connut un retantissant succès à la fin du XIXe siècle des deux côtés de l'Atlantique, alors que lui-même venait d'échouer brutalement dans sa tentative de devenir un auteur de théâtre, et dont les romans et nouvelles ne rencontraient qu'un succès médiocre.

Sur Trilby, ouvrir le site anglais Wikipedia en cliquant sur le lien suivant : http://en.wikipedia.org/wiki/Trilby_%28novel%29

Une fois le roman de Lodge refermé, je puis comprendre l'inquiétude se son auteur, et les raisons de la fraicheur de l'accueil du public.

Suite au prochain billet.

mercredi 13 juin 2007

Supplément

Je ressens le besoin d'apporter une clarification à mon dernier billet, qui porte sur le reproche que je fais à Jean Paul DUBOIS de ne pas faire confiance à son lecteur.

Le roman n'est pourtant pas de ceux où l'auteur ouvre sa valise et en tire des pantins qu'il agite à son gré pendant quelques centaines de page, lesquels répondent uniquement, ou principalement, aux fins de l'intrigue.

Ils ont, au contraire, une vie intérieure, ce qui permet au lecteur de se faire une opinion sur eux, assister à leur évolution psychologique. Ce que je leur reproche, en quelque sorte, c'est de nous faire partager leur sentiment sur les métaphores qu'utilise l'auteur. Ainsi, les commentaires d'Hallelbank sur la tempête de neige qui isole les deux protagonistes, son sevrage de médicaments. Ou les réflexions de de Paterson (père/fils) sur le coeur « criminel » dont il est le récipiendaire.

Cela étant, je suis conscient de pinailler un peu... N'hésitez tout de même pas à lire ce roman très contenu canadien, pour une fois qu'un auteur français ne tombe pas (trop) dans le cliché des grands espaces...

Jean-Paul DUBOIS, Hommes entre eux, Éditions de l'Olivier, Paris,2007 (232 pages).

vendredi 8 juin 2007

Hommes entre eux

Si j'ai un reproche à faire à Jean-Paul DUBOIS, dans son nouveau roman Hommes entre eux, c'est de ne pas faire confiance au lecteur. Travers de journaliste ?

Certes, le style est vif, et le récit défile à bonne vitesse, mais les métaphores sont, non pas appuyées, mais comme soulignées. Ainsi, au début, on assiste, avec Hasselbank, un des deux protagonistes, à un visionnement d'un film finlandais où une voix dit :
Dans ce noir, je vous regarde, les uns et les autres, je vous observe. Et malgré l'obscurité, je vous vois tes que nous sommes, tous : nus, menteurs, mesquins, vivants et inquiets. Réfléchissez à tout cela et demandez-vous pourquoi nous vivons ainsi. Dans la peur de ce qui nous attend. Pourquoi ne connaissons-nous pas la paix ? Pourquoi sommes-nous toujours plus petits que nous mêmes ? Pourquoi le Mal est-il à ce point ancré en nous ?
Nous voici avertis. Et pour être certain que nous allons comprendre, un autre visionnement nous décrit, dans Aguirre ou la colère de Dieu, le massacre à coup de flèches et de lances des soldats de Klaus Kinski-Aguirre, pendant que notre Hasselbank de héros se fait branler.

Comme il est atteint d'une grave maladie dégénérative, il a souvent recours à des injections. Seringue, aiguilles.

Si un auteur insiste sur un accessoire -- ici les arcs et les flèches, c'est qu'avant la fin du dernier acte, quelqu'un va s'en servir. Au roman comme au théâtre.

Nous sommes donc prévenus dès les tout premiers chapitres de l'inéluctable dénouement. C'est cette insistance, et chacun des indices qui font du récit un parcours fléché, qui ont diminué le plaisir de lire; ce n'est pas tant de connaître la fin qui agace, mais la faiblesse du développement par excès de précision. Ainsi cette scène très violente de lutte extrême, qui semble une attraction fort répandue dans les villes moyennes de l'Amérique et du Canada profonds. Flèches et sang.

Et pour bien enfoncer le clou : Robertson, l'autre protagoniste, s'est fait greffer le coeur d'un meurtrier; comme chacun sait, le coeur est ce qui marque l'identité de la personne... dont acte. Il est chasseur, opérant, comme il se doit, à l'arc et au couteau. Noblesse de l'animal, destin inéluctable.

Il y aura évidemment confrontation dans le cadre d'un huis clos provoqué par une violente tempête de neige, puis le dénouement arrivera, rouge sur blanc.

En conclusion, l'affaire est bien menée, et le roman mérite qu'on le lise, mais ce ne sera qu'un petit plaisir de lecture.

Jean-Paul DUBOIS, Hommes entre eux, Éditions de l'Olivier, Paris,2007 (232 pages).

dimanche 3 juin 2007

En route

Les nuits courtes de sommeil sont propices à la lecture; le matin l'écriture est lente :

Cormac McCARTHY, Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme, traduit de l'anglais par François Hirsch, Éditions de l'Olivier, Paris, 2006 (295 pages). Titre original : No Country for Old Men

vendredi 1 juin 2007

Le rouge et le blanc

Je n'ai pas, trouverez-vous, beaucoup de suite dans les idées, moi qui vous ai annoncé le programme à venir et ne m'y conforme pas. Mais une nuit d'insomnie m'a vu prendre ce livre dans la pile des Alyre, qui ne semble jamais diminuer, et me rendre aux aurores.

J'ai toujours apprécié le travail de Jean-Paul DUBOIS, écrivain et journaliste au Nouvel Observateur, et notamment ses deux recueils de chroniques sur les États-Unis, L'Amérique m'inquiète (1996) et Jusque-là tout allait bien en Amérique (2002). Style vif, récit efficace : on ne s'ennuie pas. Il fait maintenant partie des élus, ayant reçu le prix Femina en 2004 pour son roman Une vie française.

Cela dit, ce roman ne m'a pas entièrement convaincu, pour les raisons que je développerai dans mon prochain billet. En attendant, je vous laisse sur l'incipit, et le résumé.

Incipit :

Depuis des mois, il se savait atteint de la maladie qui avait emporté son père. Lorsque son médecin l'avait reçu pour lui annoncer la nouvelle, quelque chose s'était immédiatement modifié dans la perception qu'il avait de son corps. Un peu comme si, désormais, il éprouvait de la méfiance vis-à-vis de lui-même. D'une manière quasi instinctive, tel un animal fuyant une menace invisible, il s'était mis à marcher, à sillonner jour et nuit la ville sans autre but que l'oubli temporaire de soi et de cette douleur qui pouvait l'immobiliser au détour d'un boulevard.
Résumé (sur le site www.alapage.com) :
Paul Hasselbank, divorcé, malade, n'attend plus grand-chose de la vie, sauf, peut-être, une ultime rencontre avec la femme qui l'a quitté, Anna. Il entreprend alors un long périple qui le mène jusqu'à North Bay, une petite bourgade au bord du lac Nipissing (Ontario). Floyd Paterson vit non loin de là. Célibataire, cet homme n'a pas toujours été solitaire : il y a peu encore, il vivait avec Anna. Grand chasseur de wapitis, il manie à la perfection l'arc à poulies. Tout le roman converge vers la rencontre des deux hommes. Un face-à-face terrifiant.
Jean-Paul DUBOIS, Hommes entre eux, Éditions de l'Olivier, Paris,2007 (232 pages).