jeudi 28 février 2008

Je ne serai peintre que pour elle


Michel DELACOMPTÉE, Je ne serai peintre que pour elle, L'un et l'autre, Gallimard, Paris, 2003 (173 pages)

Présentation :
« Quand l'envie me prend de descendre dans les siècles passés, au plus près des gens, pour m'évader ou pour me dégourdir la cervelle, je me rends chez l'abbé de Choisy qui se déguisait en femme, je trottine en croupe derrière Henri de Campion au service de Mazarin, je traverse la guerre de Vendée avec la marquise de La Rochejaquelein. On avance comme dans un roman, tout en apprenant. Et si, captivé par tel personnage ou telle période historique, je veux descendre plus avant dans le détail, j'annote.

De là mon travail d'éditeur sur les
Mémoires de Mme de Motteville, avant de peindre le portrait de l'auteur en personne - ce livre-ci. »
Jean-Michel Delacomptée.

Quand le froid de l'hiver me saisit, et qu'un refroidissement menace, je ne franchis qu'à peine la ruelle de ma chambre. Ou bien je me tourne vers Proust, ou bien je prends l'un des volumes de la collection L'un et l'autre : celui-ci me transporte au XVIIe siècle. Mon coeur en est dès lors réchauffé.

jeudi 21 février 2008

Ennui

Linda Lê, In memoriam, Christian Bourgois Éditeur, Paris, 2007 (189 pages)

Écrivain suicidée. Ex amant catastrophé. Ce livre, grâce au ciel brûlé par lui à peine écrit (dès le premier paragraphe), est le récit de trois histoires. Ecrivain suicidée et papa aussi suicidé de médiocrité. Narrateur écrivaillon (c'est à dire éditeur à Paris) a liaison tumultueuse avec écrivain suicidée après enfance glauque dans l'ombre de Grand Frère. Grand Frère pique écrivain suicidée à écrivaillon.

C'est ça, comme dirait Marguerite Duras.

C'est précieux, comme dans ridicule. Plein de termes de rhétorique pour faire savant, et d'imparfait du subjonctif.

On souhaite à ces personnages une psychanalyse et une chimiothérapie. D'urgence.

À l'auteur de faire de la politique : le bling bling est en hausse.

Citation

Tirée de la chronique de Régis DEBRAY, parue dans Le Monde d'aujourd'hui :

[La démocratie] ne désigne plus la capacité à mener pacifiquement des luttes pour quelque chose, entre des valeurs et des idées, mais à mener haineusement des luttes entre personnes, pour rien, sinon une voiture avec chauffeur.

Écrit pour la France, mais valable au Canada et au Québec, hélas.

vendredi 15 février 2008

Petit lexique de la bêtise actuelle

Christian GODIN, Petit lexique de la bêtise actuelle - Exégèse des lieux communs d'aujourd'hui, Nantes, Éditions du Temps, 2007 (223 pages)

Ayant, avec plaisir, entendu l'auteur dans le cadre de l'émission de France Culture, les Nouveaux chemins de la connaissance, j'ai décidé de me procurer ce lexique, lequel est arrivé à la librairie une petite semaine plus tard.

En quatrième de couverture :
Les 130 articles de ce Petit lexique de la bêtise actuelle évoquent et analysent les lieux communs qui traînent dans l'espace public et font croire qu'il y a de la pensée là où il n'y a que des slogans. Un essai d'impertinence systématique, pour ne pas croire les mots sur parole !

Pour vous servir d'exemple, prenez n'importe quel texte de la Demoiselle de Très Grande Vertu du Devoir...

Citation tirée de l'introduction :

Si le lieu commun se caractérise par son inertie, il n'en a pas moins une efficacité spécifique. On pourrait même soutenir qu'il affirme moins qu'il n'agit. [...] Le lieu commun est plus une action qu'un jugement. Celui qui, en effet, le répercute, ne pense pas (nombre de lieux communs -- pas tous ! -- sont faux ou ineptes); en revanche, il se d onne la force imaginaire de la société dont il fait partie et don le lieu commun est l'équivalent symbolique. [...] Le lieu commun se présente comme une vérité indiscutble, à l'abri de la critique; c'est cet aspect massif qui fascinait Flaubert -- lequel définissait ainsi la bêtise : conclure.


Voilà qui promet.

mardi 12 février 2008

Les Disparus

Daniel MENDELSOHN, Les disparus, traduit de l'anglais par Pierre Guglielmina, Flammarion, Paris, 2007 (650 pages)

J'aimerais revenir sur ce livre, et en donner quelques extraits, car je n'arrive pas à bien exprimer, ce qui finalement n'a que peu d'importance, la raison de mon admiration pour celui-ci. De même que la richesse du projet de l'auteur qui mêle à sa quête de ses parents disparus une quête du sens des premiers chapitres de la Bible en une métaphore extrêmement puissante.

Qui sont ces disparus; pourquoi ce mot disparus ? Il y a d'abord le sens de « considérés comme morts, même si le décès n'est pas attesté », et il y a le sens « qui a cessé d'exister ».

C'est donc autant la volonté de savoir « comment et pourquoi » des parents sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale, que la volonté de témoigner non de leur trépas, mais de leur existence, voire leur vie quotidienne, qui ont poussé l'auteur à partir à la recherche de six des ses parents disparus.

Ces quelques citationss diront mieux que moi l'objet de la quête de Mendelsohn helléniste et historien, qui " passe sa vie entière à se retourner pour jeter un dernier coup d'oeil " :

Savoir les détails pour l'histoire, apprendre les histoires pour l'Histoire.

Qu'est-ce que la mémoire ? Qu'est-ce que la mémoire ? La mémoire c'est ce dont on se souvient. Non, on change l' histoire, on " se la rappelle ". Une histoire, pas un fait. Où sont les faits ? Il y a la mémoire, il y a la vérité -- on ne peut pas savoir, jamais.

Ce ne sont que des histoires, personne n'en a la preuve. N'écrivez que sur les faits.

Nous voulions découvrir les faits. ... j'avais commencé à m'intéresser énormément aux histoires, à la façon dont ces histoires se multipliaient et donnaient naissance à d'autres histoires et que même si ces histoires n'étaient pas vraies, elle restaient intéressantes en raison de ce qu'elles révélaient des gens qui les racontaient. Ce qu'elles révélaient des gens qui les racontaient faisait aussi partie des faits, des documents historiques.

Certaines histoires ne sont pas toute l'histoire.

On aurait dit qu'elle (dans la rédaction de sa thèse sur sa grand-mère) ne s'intéressait pas tant à l'histoire de sa grand-mère qu'à la façon de raconter l'histoire de sa grand-mère -- à la façon d'être le narrateur.

Comment le grand-père raconte des histoires; la longue préparation, tout l'arrière-plan, toutes ces boîtes chinoises, et puis, soudain, la descente rapide et habile vers le final, la ligne d'arrivée où les liens entre les détails découverts tout du long, les faits apparemment sans intérêt et les anecdotes subsidiaires sur lesquels il s'était attardés au début devenaient brusquement évidents.

C'est toujours les petites choses. C'est ce qui fait la vie. La chose la plus intéressante, ce sont toujours les détails.

La recherche de l'élément qui allait permettre de tout fixer, de rendre compte des versions contradictoires.

Pour le bénéfice de qui : les morts n'ont pas besoin d'histoires : c'est le fantasme des vivants qui, à la différence des morts, se sentent coupables. Les morts n'ont plus d'intérêt pour rien. C'est bien nous les vivants qui avons besoin des détails. Ce dont les morts ne se soucient plus rendra fous les vivants.

Nous n'aurions jamais pu imaginer où nous conduirait cette histoire héroïque. Géographiquement, émotionnellement, moralement. Car nous n'avions pas pensé que cette recherche des faits, ces histoires, nous pousserait, contre notre gré, à juger les gens.


mercredi 6 février 2008

Citation

« Le secret, c'est d'écrire n'importe quoi, parce que lorsqu'on écrit n'importe quoi, on commence à dire les choses les plus importantes. »
Julien Green

Grammaire

Denis GUEDJ, Villa des hommes, Robert Laffont, Paris, 2007 (309 pages)

Le passage suivant me laisse perplexe :
Les saumons remontent le courant pour se baigner dans les eaux de leurs origines. Matthias n'était pas un saumon. Bien que, par sa chevelure or, ce dernier soit de tous les poissons celui dont il se rapprochait le plus.
Il y a, de construction, des ruptures qui, moins bien, passent. Déjà que je n'y entre pas beaucoup, dans ce roman, qu'il semble m'indiquer la porte...

lundi 4 février 2008

Les meilleurs de 2007 selon LIRE

Eh bien ! Il semble que Les disparus recueille les suffrages d'authentiques critiques littéraires, puisque le magazine Lire le retient comme le meilleur livre de 2007. Jetez un coup d'oeil à cette liste, cela change des nunucheries proposées par les librairies à coup de coeur...

Lire : le magazine littéraire. L'actualité de la littérature francaise et de la littérature étrangère.

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dimanche 3 février 2008

Quiconque

Philip ROTH, Un homme, traduit de l'anglais par Josée Kamoun, Gallimard, Paris, 2006 (153 pages).

Petit samedi, autre lendemain de tempête, ce qui importe peu, certes, à lire ce roman emprunté la veille à la bibliothèque.

J'ai, jusqu'ici, plutôt aimé les romans de Roth, son style, inimitable.

Celui-ci m'a laissé un peu mal à l'aise, mais par ma faute : je suis assez sensible, et j'ai eu un peu de difficulté à lire les diverses opérations que subit le « héros » du roman, cet homme, ce quidam. Pas plus que je ne puis voir un film de vampire au cinéma. J'ai donc du accélérer sur certains passages, stents, angioplasties et autres quintuples pontages.

Le roman s'ouvre et se termine au cimetière. Un cimetière juif délabré. Entre les deux, une vie banale, un homme, dans la publicité, trois mariages, des enfants. Mauvaise conscience et peur de mourir. La vie, quoi.

Ce lieu m'a ramené au récit de Daniel Mendelsohn, Les disparus, et je me demande si, la mort définitive n'est pas celle des tombes oubliées. Car ces lieux, tout comme nous, passent.

Je me demande en outre si les moments qu'on y passe, au début et à la fin du roman, ne sont pas les plus achevés. Quand, à la veille d'une opération, dont il ne sortira pas vivant, le narrateur revient sur la tombe de ses parents, il sent l'appel des ossements couchés dans la terre.
« Entre lui et ces os, l'échange était puissant, bien plus puissant, aujourd'hui, qu'entre lui et les êtres encore vêtus de chair, car la chair se dissout, et les os demeurent. ... Impossible de partir. La tendresse le submergeait. Et avec elle le désir que tout le monde soit encore en vie. Que tout soit comme avant. »
Et pourtant, oui : il partira... sur arrêt cardiaque.

vendredi 1 février 2008

Citation

Extrait de Pas si fou que ça, chronique de Jacques JULLIARD, dans le Nouvel Observateur de cette semaine :

Nous sommes entrés dans un monde virtuel où le principe de réalité s'effondre devant le principe de plaisir. Quand l'argent cesse d'être au service de la production pour devenir l'objet même de la production (ne parle-t-on pas de "produits financiers" ?) ; quand cet «équivalent universel» qui en fait un accélérateur de l'économie cesse d'être un équivalent pour devenir la valeur elle-même (ne parle-t-on pas de "valeurs financières" ?); quand il cesse d'être un auxiliaire des transactions pour se substituer à la marchandise elle-même (ne parle-t-on pas de "marchés financiers" ?), alors le système, sans cesser d'être rationnel, devient, si l'on ose dire, gratuit, sans utilité sociale démontrable. Il continue d'être rationnel quant à l'adéquation des moyens aux fins poursuivies (Zweckrational, dans les termes de Max Weber) , mais il cesse de l'être quant aux valeurs engagées (Wertrational, toujours selon Weber).