mardi 26 juin 2012

Le best seller de l'été

Guillaume de THIEULLOY, Le pape et le roi - Anagni - 7 septembre 1303, Gallimard, Les journées qui ont fait la France, Paris, mars 2010 (268 pages).

J'ai quelque scrupule à vous entretenir de l'essai de Guillaume de THIEULLOY tant je redoute de susciter une vague d'émotion chez mon vaste public, lequel, par effet d'entraînement néfaste, se précipitera toute affaire cessante en foule dans toutes les librairies du Royaume (car c'est ainsi, de par le vœu de notre Intrépide Leader Fédéral, que devrait désigné notre pays) en quête du livre à lire cet été. Le récit de l'attentat commis par un ministre du roi de France Philippe IV dit le Bel contre le pape Boniface VIII. Pour ceux qui ont quelque mémoire, et déjà bien de l'âge, il s'agit du même souverain que celui qui, du fait de l'interdiction de l'ordre des Templiers et de la persécution des membres de cet ordre, sera à l'origine de la malédiction qui frappera sa lignée et dont on trouve le narré dans un roman historique célébrissime de Maurice Druon, Les Rois maudits. Parlant le jargon de la télévision, nous tenons, avec Le pape et le roi, la prequel de cette histoire. Avis aux scénaristes.

Mais s'il ne s'agit pas en l'instance d'un roman, je vous mets au défi de trouver récit plus captivant de cet événement dont nous avons, il est vrai, quelque difficulté à apprécier les conséquences. Un fonctionnaire lève la main sur le pape il y a sept cents ans : et après ? Pour résumer à l'extrême, c'est cette gifle -- en réalité, il n'y a pas eu de gifle, mais comme on dit si bien en Italien, si non è vero, è ben trovato, la réalité est bien plus intéressante, surtout pour les marchands, si elle est bien maquillée -- qui est à l'origine de la séparation de l'Église et de l'État. Gifle qui aura été le point culminant d'une longue  querelle de pouvoir, où se mêlent intrigues politiques et religieuses, entre le politique et le religieux.

Rappelons que, deux siècles plus tôt, en 1077, le pape Grégoire VII avait eu raison d'Henri IV, l'empereur du Saint Empire romain germanique (héritier de Charlemagne et de l'Empire romain). Depuis, certes, la maison de France -- les Capétiens -- avait réussi à s'émanciper de la tutelle féodale de l'Empire, mais pas encore des prétentions du Saint-Siège, lequel revendiquait la suprématie et spirituelle et temporelle.

Prétentions qui nous semblent sans conteste singulières.

Par comparaison, il suffit d'imaginer que la chrétienté avait une structure politico-religieuse semblable à celle du monde musulman, où le politique procède du religieux.

Si, dans les premiers temps, on appliquait le « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César » évangélique, cette parole du Christ a été réinterprétée une fois que le christianisme fut devenue l'unique religion de l'Empire. La chrétienté -- nulle différence terminologique alors entre l'assemblée des croyants et l'Église -- était l'incarnation du corps du Christ, et son vicaire sur terre, le pape, la tête de celle-ci. Ceci constituait un principe fondamental de droit naturel, car un corps ne peut avoir deux têtes, sauf à être un monstre, ce que Dieu ne saurait avoir créé, ni permettre.

Une autre image complétait la première : celle des deux glaives : le premier, spirituel, était tenu par l'Église, le second, temporel pour l'Église, au titre d'une délégation à l'État (même si nous sommes conscients de l'anachronisme de cette appellation). Boniface ira même jusqu'à s'écrier : « je suis l'Empereur, je suis César » !

Car, au nom de Dieu, le pape faisait l'Empereur, lequel, ne l'oublions pas était élu. Si celui-ci venait à s'écarter du droit chemin, le pape pouvait, par l'excommunication, le destituer (en libérant ses vassaux et sujets de leur serment). Il en allait autrement pour la France où, depuis Clovis et son sacre, la dynastie régnante prétendait tenir son élection directement de Dieu, sans nécessité de médiation papale. Tant que les titulaires de l'autorité royale n'ont pas été assurés de leur trône, ils n'auraient pas osé s'attaquer à la suprématie du Saint-Siège, négociant avec celui-ci des accommodements plus ou moins durables. Ce n'était plus le cas des Capétiens, maintenant bien installés sur le trône, et, depuis la victoire de Bouvines, et Saint Louis, bien installés sur leur trône. La revendication papale à la théocratie ne pouvait, à terme, que heurter la volonté du roi de France d'être « maître chez lui » et, de surcroît, un sentiment national en train de naître.

Voilà en gros pour ce que l'auteur appelle le « problème théologico-politique ».

Je vous passe les sources et les péripéties de la querelle entre Philippe et Boniface, lesquelles sont expliquées dans un style d'une grande clarté et l'on complimentera l'auteur pour sa présentation, si j'ose la comparaison, en flash-back, et très bien documentée (mais sans recours abusif aux notes infrapaginales). Sachez seulement qu'il y aura des accusations d'hérésie (un crime pire que l’homicide, car offense à Dieu) portées par Philippe contre le pape, et de sodomie, et de simonie, et d'usurpation du trône de Pierre, et d'assassinat de son prédécesseur (la liste resservira plus tard pour les Templiers) et des menaces d'excommunication et de destitution fulminées par le pape contre le roi.

Et d'un côté comme de l'autre, les banquiers (le principal agent de Philippe s'appelle Musciato Guidi, dit Mouche) s'activeront... l'argent, toujours l'argent.

Le rédacteur législatif que je fus ne peut s'empêcher de citer le texte (légèrement modernisé) de l'ordre de mission donné par Philippe à son émissaire Guillaume de Nogaret :
« Nous conférons [à Nogaret et à ses compagnons] plein et libre pouvoir de traiter pour nous et en notre nom avec toutes espèces de personnes, nobles, ecclésiastiques ou séculières, de quelque rang éminent ou condition qu'elles soient, relativement à des alliances, confédérations et amitiés entre nous et ces personnes, par des subventions, subsides et aides à établir mutuellement; poursuivre les traités en question, les porter à terme et en garantir fermement la validité; établir et confirmer les susdites confédérations, alliances, amitiés, promettre toute espèce de subventions, subsides et aides, faire tout ce qui paraîtra opportun relativement à ce qui précède. »
Un bijou d’ambiguïté, par lequel le roi semblait donner tous pouvoirs à Nogaret, mais aussi pourrait se défausser de toute responsabilité en cas d'abus dans l'exécution de la mission ou d'échec.

Je persiste : un authentique best-seller...

Présentation de l'éditeur :

« Ce samedi, à l'aube, la paisible ville d'Anagni, où le pape Boniface VIII séjourne dans son palais pontifical, est investie par des centaines d'hommes armés, conduits par un émissaire de Philippe le Bel. Ils ont ordre de se saisir de la personne du souverain pontife et de lui signifier sa mise en accusation pour hérésie. Violences, pillages, des morts, des blessés, et voici le vicaire du Christ, assis face à ses agresseurs, coiffé de la tiare et serrant dans ses mains un crucifix taillé dans le bois du Golgotha. Bientôt le peuple s'émeut, se révolte et fait libérer le pape captif.
» Que signifie la présence du confident d'un roi de France à la tête d'une meute de soudards ? Que cherche Philippe le Bel ? Pourquoi ce procès en hérésie intenté au chef de la chrétienté ? Comment le pape et le roi en sont-ils venus à cette extrémité ? Telles sont les questions que tente d'élucider cet ouvrage. Il reconstitue les termes et les enjeux d'une controverse inséparablement théologique et politique, brosse le portrait des deux figures exceptionnelles qui dominent ce théâtre éclatant, interroge les théories et les arguments mobilisés par les deux camps, avant de décrire le cheminement qui a conduit fatalement à cette guerre des principes.
» Le pape entendait exercer une autorité directe sur les princes temporels. Le roi affirmait détenir son pouvoir de Dieu seul. C'est cette autonomie sacrale qui donnera plus tard sa physionomie à la nation France. L'épreuve d'Anagni porte déjà en germe ce qu'on appellera plus tard le gallicanisme. C'est alors également que sont réunis pour la première fois les États généraux du royaume. La France entre dans une nouvelle ère. »

lundi 25 juin 2012

L'affaire

Je reproduis ici le billet de Pierre FOGLIA publié dans la Presse du lundi 25 juin 2012; je préfère normalement donner le lien redirigeant le lecteur vers la page en question, mais la pertinence du propos me pousse à déroger à cette pratique. Pour moi, un des premiers avis sensés depuis le début de « l'affaire » des droits de scolarité, et qui pose clairement le vrai problème, la question de principe. Ne nous y trompons pas : une revendication politique cette affaire ? Nenni : une saute d'humeur corporatiste.  Même si l'intervention législative qui a suivi constitue une faute.

Trop difficile Molière, élitiste ? Qu'on les occupe avec de la pâte à modeler. Cela en fera de très bons citoyens : bien malléables.

Starbuck, par Pierre FOGLIA, La Presse du lundi 25 juin 2012.

« "Je me suis attardé à lire votre plan de cours et je ne peux croire qu'en 2012, un texte aussi insipide et ennuyeux que Le malade imaginaire de Molière soit donné à étudier à cette génération du vidéo et du texto..."

» C'est un père de famille qui écrit à la prof de français de son fils en première année au cégep de Lanaudière. En marge du conflit qui nous occupe depuis des mois et qui, au-delà des droits de scolarité, prétend remettre en question tout le système d'éducation, ce courriel - signé: un père désespéré - et la réponse de la prof disent assez que lorsqu'on aura réglé le conflit étudiant, on n'aura rien réglé du tout, on n'aura même pas touché à l'essentiel.

» L'essentiel? Revenons à la lettre du papa. Il se décrit comme un parent responsable qui, dans les circonstances agitées que l'on sait, essayait d'aider son ado à reprendre ses cours, en particulier son cours de français, et c'est ce faisant qu'il a découvert Le malade imaginaire dans le plan de cours de la prof. Il est alors saisi d'un immense découragement, pour la première fois de sa vie de parent, il baisse les bras: j'étais désespéré, sans voix, pour la première fois de ma vie, je me suis vu incapable de l'aider. Je me suis senti désarmé devant des mots, des expressions, des réflexions, des analyses d'une lecture indigeste QUI S'ADRESSE PLUS À DES ÉTUDIANTS EN ART ET LETTRES ou à des futurs enseignants ou écrivains qu'à des étudiants qui doivent malheureusement passer par le cégep et des cours obligatoires pour accéder à l'université.

» Les majuscules sont de moi. En fait, ce qu'il faudrait mettre en majuscules, c'est cette idée qui sous-tend le discours du monsieur, que la culture est une spécialité pour étudiants en arts et lettres, qu'on aille surtout pas emmerder les futurs ingénieurs du Plan Nord avec ça, quand ils s'ennuieront le dimanche après-midi à Fermont, ils iront se relouer Starbuck et puis voilà, c'est bien, Starbuck, vous l'avez vu?

» On parle couramment des enfants de la réforme, on oublie les parents de la réforme qui viennent avec. Si on baisse la barre d'un cran à chaque réforme, ce n'est pas seulement pour s'ajuster au niveau des enfants, mais aussi à celui des parents (et de la population en général) qui se contrefoutent que leur rejeton ne lise aucun livre et ne sache rien, n'ont-ils pas des ordinateurs qui savent tout? Ce parent-ci l'a très bien compris puisqu'il réclame une nouvelle réforme, cette fois au collégial...

» Il termine sa lettre à la prof en disant qu'il a fait son gros possible pour aider ses deux ados à réussir leurs études secondaires, il y est parvenu mais ouf, ça n'a pas été facile. J'ai pu les raccrocher grâce au football, mais cette fois - à cause de ce foutu Malade imaginaire -, cette fois il me faudra un miracle ou peut-être une nouvelle réforme au niveau collégial...

» Ai-je rêvé ou le thème de l'accessibilité à des études supérieures n'a été considéré que sous l'angle économique? L'angle académique? Je n'ai entendu aucun des trois leaders étudiants constater et déplorer que n'importe qui peut maintenant accéder à l'université sans avoir lu un foutu livre. Sans être capable de saisir une phrase à deux étages. Ça semble ne déranger personne.

» Au fait, pourquoi l'université? Je veux dire, si vous préférez le football. Ou la coiffure. Ou la maçonnerie. Qu'est-ce que la réussite scolaire? La réussite tout court? Oui, je vous reviens avec les menuisiers, les électriciens, les plombiers, les coiffeuses, les policiers, les informaticiens qui, la plupart, trippent sur leur job comme des fous et qui, eux, n'en manquent jamais, de job. Oui, je vous la ressers chaque fois celle-là, vous oubliez pourtant la seconde partie de mon discours qui est la vraie raison de ce discours: les cours de philo devraient être obligatoires surtout pour les plombiers, les flics, les ingénieurs et les joueurs de football.

» Madame! Madame! J'en ai rien à foutre du malade imaginaire parce que je serai ingénieur des mines et je vais travailler au Plan Nord. Le dimanche, à Fermont, quand je vais m'ennuyer, je vais relouer Starbuck. Vous avez vu Starbuck, madame? C'est pas mal bon.

» À quel âge doit-on commencer à former un ingénieur? C'est une question que n'a pas posée non plus le conflit étudiant, elle est pourtant centrale. On initie maintenant les ti-culs du primaire à la théorie des ensembles, sauf qu'à 24 ans, quand ils sortent de l'université, y'en a pas un crisse, et ne pensez pas que j'exagère, pas un crisse qui fait la différence entre culture et loisir, entre émancipation et consommation.

» Le malade imaginaire obligatoire? Absolument. Pour s'exercer - oui, comme au football - à différents niveaux de lecture. S'amuser à différents niveaux d'humour. Et aussi, comme a répondu la prof au monsieur: parce que c'est une œuvre qui critique l'ordre établi.

» Madame Bovary aussi, obligatoire. Et des textes beaucoup plus difficiles. Faire le contraire de ce que tout le monde dit. Le contraire de la réforme. Les faire avancer, les ingénieurs comme les coiffeuses, dans le béton frais de la pure littérature, dans des textes dont l'objet est... le texte. Le cerveau est un muscle qu'on doit exercer comme un quart-arrière au football exerce son bras pour lancer de plus en plus loin avec de plus en plus de précision.

» À quoi sert l'éducation? À plein de choses, mais avant toutes choses, à former des hommes, des femmes pas trop cons. »





Rédigé sur mon iPad.

vendredi 22 juin 2012

Pour qu'ils soient face au soleil levant II

John McGAHERN, Pour qu'ils soient face au soleil levant, traduit de l'anglais (Irlande) par Françoise Cartano, Albin Michel, Paris, 2003 (444 pages); titre original : That They May Face the Rising Sun, aux États-Unis, By the Lake; également disponible en Livre de Poche.

Ce n'est pas parce qu'on a loupé un livre à sa sortie qu'on va, toute honte bue, et l'apéritif aussi, se priver de partager le grand plaisir de lecture qu'il nous a donné, outre l'envie de remonter jusqu'aux sources la bibliographie de John McGahern.

Une petite communauté sur les bords d'un des nombreux lacs du County Leitrim, où chacun se connaît; petite vie d'agriculture et d'élevage; chacun se connaît et sait que les Ruttlege sont revenus au pays après un long séjour en Angleterre; les années quatre-vingt sans doute, et l'impression d'être hors du temps. Certains les aideront, d'autres se montreront méfiants -- ils ne vont pas à la messe --, voire hostiles à leur présence.

« La matinée était claire. Pas de vent sur le lac. Et un grand silence. Lorsque les cloches sonnèrent pour la messe, les coups tremblèrent sur l'eau, elles avaient le monde entier à elles. Les portes de la maison étaient ouvertes. » 

On se visite, on demande des nouvelles, on bavarde, on papote, on médit du voisin, on prend un thé, surtout un whisky, quelques sandwiches sont vite préparés. Telle est l'hospitalité, une règle de savoir vivre à laquelle on ne saurait manquer; comme toutes ces petites règles « c'est comme cela que ça se fait » érigées en code civil. De l'aide à apporter au voisin au moment des récoltes, à la vente des vaches et agneaux à la ville, à la façon dont on met en terre un mort, la tête à l'ouest, pour qu'il soit, au jour de la résurrection, face au soleil levant...

C'est aussi une histoire du retour au pays et à la terre, on se rappellera que longtemps l'Irlande aura été un pays que l'on abandonnait -- dure occupation britannique, catastrophes sanitaires, misère endémique. Et pourtant le pays, c'est le pays, pas comme l'Angleterre, où l'on n'a « jamais le sentiment d'être vraiment dans la réalité, de vivre une vraie vie. » Comme Dieu n'est jamais bien loin, même si le curé ne semble pas vraiment y croire, ne serait-ce pas comme la parabole du retour de l'enfant prodigue ? D'ailleurs, à y regarder de plus près, la plupart des personnages sont comme des enfants qui ne sont jamais partis, d'où leur méfiance face à Ruttlege : perpétuels grands frères, souvent célibataires, conformistes et craignant le qu'en dira-t-on. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ils n'ont rien de caricatural, de « rats des champs », et l'art de McGahern se manifeste dans cette habileté, mine de rien, à les faire agir et interagir dans un quotidien qui pourrait sembler empreint de banalité. Chez l'un, les nombreuses pendules de la maison sonnent irrégulièrement les heures : « Qu'est-ce qui vous presse ? N'avons-nous pas le temps devant nous ? » L'ouvrier ne vient que très irrégulièrement travailler à la construction de la grange, pourquoi s'en faire ? Vient-il enfin, quand, bucolique, Ruttlege, qui est aussi écrivain, lui déclare :
« – La façon qu'ont les chevrons d'encadrer le ciel. Les carrés de lumière sont plus intéressants que le ciel entier. Ils ont l'air plus humains, ces morceaux de ciel réduits, et puis de ce petit espace sort le ciel entier.
L'autre répond, terre à terre :
– Du moment qu'ils supportent la ferraille, c'est bon... »
De toute façon, il y aura bien un verre de whisky (ou deux) après le labeur. Et la religion, et la politique ? Mieux vaut faire le tour du lac, regarder s'envoler le héron, et voir s'il y a de la lumière chez les voisins.


Pour l'été


·        Dominique FERNANDEZ, La course à l’abîme, Grasset, Paris, janvier 2003 (642 pages); également en Livre de Poche.

On m'a demandé un bon roman pour l'été, celui-ci m'est aussitôt venu à l'esprit, d'autant plus que, le hasard faisant bien les choses, j'avais il y a quelques jours pris dans ma bibliothèque, du même auteur, L'art de raconter (Grasset 2006), pour revenir sur le chapitre intitulé L'art du roman

Voici donc les notes que j'avais prises à l'époque pour l'émission Le mélange des genres de mai 2003 (Société Radio-Canada).

La légende qui s’attache à Michelangelo Merisi, né à Carravagio, en Lombardie, le 29 septembre 1573,  peintre voyou, aux pratiques sexuelles condamnables, et « maudit »,  trouve ses origines dans la vie tumultueuse de cet homme, prompt à dégainer l'épée, jusqu'à l'assassinat qui fera de lui un fugitif.

Il est également un habile courtisan dans la Rome papale des années 1600, très vite peintre adulé des prélats et des princes. Il est enfin, en contraste avec la Renaissance, finissante et maniériste, le précurseur du réalisme en peinture.

Mort assassiné le 18 juillet 1610 sur la plage de Porto Ercole en Toscane, sous le règne de Paul V.

► Roman biographique plus que biographie romancée.

► Alexandre Dumas chez Marguerite Yourcenar; anecdotes : histoire du 1er janvier… Le nom du pagne du Christ sur la croix, le périzonium…

► Un « Mozart » de la peinture, un peintre qui n’a pas été à l’école, une nouvelle lumière, la perversion des codes picturaux, le ver dans la pomme : « Ni ascendance, ni descendance, n’exister que par mes tableaux. »

Présentation de l'éditeur :
« Rome, 1600. Un jeune peintre inconnu débarque dans la capitale et, en quelques tableaux d'une puissance et d'un érotisme jamais vus, révolutionne la peinture. Réalisme, cruauté, clair-obscur : il bouscule trois cents ans de tradition artistique. Les cardinaux le protègent, les princes le courtisent. Il devient, sous le pseudonyme de Caravage, le peintre officiel de l'Église. Mais voilà c'est un marginal-né, un violent, un asocial ; l'idée même de " faire carrière " lui répugne. Au mépris des lois, il aime à la passion les garçons, surtout les mauvais garçons, les voyous. Il aime se bagarrer, aussi habile à l'épée que virtuose du pinceau. Condamné à mort pour avoir tué un homme, il s'enfuit, erre entre Naples, Malte, la Sicile, provoque de nouveaux scandales, meurt à trente-huit ans sur une plage au nord de Rome. Assassiné ? Sans doute. Par qui ? On ne sait. Pourquoi ? Tout est mystérieux dans cette vie et dans cette mort. Il fallait un romancier pour ressusciter, outre cette époque fabuleuse de la Rome baroque, un tempérament hors normes sur lequel on ne sait rien de sûr, sauf qu'il a été un génie absolu, un des plus grands peintres de tous les temps.  »

Et aussi, du même auteur :

Le voyage d’Italie, Dictionnaire amoureux, Photographies de Ferrante Ferranti, Plon, 1997 (680 pages), Livre de Poche
  
Et aussi, sur le Caravage :

 LE CARAVAGE : PEINTRE ET ASSASSIN


FRECHES JOSE
Découvertes Gallimard

CARAVAGE
GREGORI MINA
Éditeur : GALLIMARD

jeudi 21 juin 2012

La jeunesse, une valeur sûre - La Vie des idées

La jeunesse, une valeur sûre - La Vie des idées

Pour qu'ils soient face au soleil levant I

John McGAHERN, Pour qu'ils soient face au soleil levant, traduit de l'anglais (Irlande) par Françoise Cartano, Albin Michel, Paris, 2003 (444 pages); titre original : That They May Face the Rising Sun, aux États-Unis, By the Lake; également disponible en Livre de Poche.


Avant toute chose, grâces soient rendues à Angelo Rinaldi dont le commentaire, dans Le roman sans peine, m'a mené toute affaire cessante à la bibliothèque, après un bref détour, je l'avoue, par Wikipedia, pour y prendre l'ultime ouvrage du romancier irlandais décédé en 2006. Comme, à l'époque, en 2002, je ne le lisais pas dans le Figaro (que pour lui, j'eusse volontiers fréquenté), il m'aura fallu une décennie avant d'en faire la découverte, et aussitôt de regretter cette décennie perdue, mais à quoi bon se lamenter, jouissons de l'instant, les Latins, qui s'y connaissaient, nous l'ont si bien enseigné.

Guère accrocheur comme titre, ni facile à retenir, pour ce qui, en apparence, est la bucolique histoire dans la vie, au quotidien, du County Leitrim, en Irlande, tout près de la frontière de l'Ulster et loin, bien loin, de Dublin, la grande ville. Pourquoi ce « Pour », on se le demande, le subjectif seul n'aurait-il pas suffi, correspondant bien au « That » de l'anglais ? Ce titre, on en saura la raison vers la fin du roman, dans ce pays où Dieu -- ni les croyances -- ne sont jamais bien loin, et où, si les temps changent, les choses doivent se faire comme elles se sont toujours faites, c'est une question de respect que les humains se doivent les uns aux autres. Surtout à la campagne. Irlande : pays que l'on quitte et où, parfois, l'on revient. Situation que les Canadiens (avant qu'ils ne deviennent Québécois) ont bien connu, qui se sont souvent éparpillés aux États-Unis -- mais en revinrent-ils jamais ? car, il y a une chose qu'Irlandais et gens d'ici ont en commun: l'Anglais, et il n'est pas question de langue -- encore que... -- mais de conquérant et d'occupant.

Pour l'heure, je vous laisse sur la présentation de l'éditeur et vous reviendrai tantôt.

Présentation de l'éditeur :
« Il est des écritures magiques, qui transportent le lecteur parfois très loin sans que rien se passe vraiment : quelques amis et voisins réunis au fin fond de la campagne irlandaise, des mariages, des dîners après la moisson, des soirées au pub, des envies de quitter cette Irlande figée dans le temps mais que n'épargne pas la violence politique...

» C'est la manière de faire parler ses personnages qui rend John McGahern unique : ce langage savoureux de la campagne, gouailleur et tendre, qui donne aux petites histoires l'allure de mythes lorsqu'au soir on se retrouve pour boire du rhum au jus d'airelles. La magie de l'écriture, aussi, qui nous imprègne de l'atmosphère à la fois paisible et inquiète de ce Giono irlandais.

» D'une pudeur extrême, John McGahern nous envoûte, nous fascine. C'est hors d'âge, comme un très bon whisky.

" Dans une langue à la fois simple et subtile, austère et tendre, McGahern nous offre ce formidable don de voir, à travers des vies imaginaires, plus clair que nous ne voyons dans nos propres vies."
John Updike »


·        Jean RHYS, Quai des Grands-Augustins, traduit de l’anglais par Jacques TOURNIER, Gallimard Folio  n° 1308, Paris, 1981 (219 pages) – Titre original After Leaving Mr. MacKenzie, 1937.

La canicule et des travaux menés à grand bruit sous mes fenêtres (au 27e étage) me poussant à la nonchalance, l'écriture de ces pages s'alentit au point que je vais, ne pouvant me résoudre à vous négliger, chercher dans mes archives quelques notes qui, je l'espère, vous feront sourire. Quoiqu'il en soit, voici, en attendant le commentaire de Pour qu'ils soient face au soleil levant, de l'Irlandais John McGahern, un livre qui se laisse bien lire en ces jours où l'on s'abandonne volontiers à l'indolence.

Jean Rhys


Angelo RINALDI, Service de presse, Plon, Paris, 1999, p. 61 :
« [...] la vieille dame née aux Antilles britanniques [...], qui commença par être "girl" de revue, fréquenta Montparnasse au temps où Joyce croisait Modigliani à la Coupole. Et qui [...] jeta les bases d’un certain roman moderne réduit à l’épure, à l’enchaînement rapide des sensations physiques et des sentiments. Pour dire les choses rapidement, supposez une Marguerite Duras qui aurait du génie. »

Et puis p. 83 : 
« ... un titre – quand bien même serait-il "commercialement" mauvais, fait partie de l’œuvre, joue le rôle de l’ouverture à l’opéra, de la flèche sur la cathédrale, et donne le la aux initiés. Quai des Grands-Augustins, je vous demande un peu. Si, dans une traduction, À la recherche du temps perdu devenait Grandeur et Décadence du faubourg Saint-Germain, voire La Cage aux folles, et La Bête humaine, La Sexualité chez les cheminots, on ne s’éloignerait certes pas complètement de la vérité, mais on l’amputerait des trois quarts. »

 

dimanche 17 juin 2012

Reprise : Chez les heureux du monde


Edith WHARTON, Chez les heureux du monde, traduit de l’anglais (É.-U.) par Charles du BOS, préface de Frédéric VITOUX, Gallimard – L’imaginaire n° 417, Paris, 1981 (423 pages). Titre original : The House of Mirth, 1905; aussi disponible en livre de poche.

Il n’est pas inutile de noter la précision du traducteur – la traduction n’est pas récente, mais coule comme rivière de diamants – sur le titre original qui fait allusion au texte de l’Ecclésiaste : « The hearth of the wise is in the house of mourning; but the heart of fools is in the house of mirth. » ce qui se traduirait comme il suit : « Le cœur du sage est dans la maison du deuil; mais le cœur des insensés est dans la maison de liesse ». On se fera sa propre idée dès lors sur le titre retenu...

Un mot sur l’auteur : frivole et mondaine, la fleur de l’élite de la Nouvelle Angleterre, et indépendante, a-t-on à la même époque, comme on lui en a tenu rigueur, reproché à Gide, à Proust et à tant d’autres de n’avoir pas à gagner leur pain quotidien ? Il faut dire que tels de ses contemporains, dont Henry James, ont pu échanger quelques œillades latérales à la mention de celle qui obtenait un succès certain dans l’exercice du si mâle métier d’écrire, au lieu de se réserver, avec les personnes du sexe, au bridge et autres bonnes œuvres de la société. C’est ainsi que, par une perverse métonymie, les traits de la personne en sont venus à qualifier les romans.

Comme certains s’imaginent en Nouvelle France que Mlle B*** prend place dans la littérature du fait qu’on achète, encore et toujours, le fruit de sa plume trempée à l’eau bénite alors qu’il est clair que ses œuvres ne feront jamais d’elle qu’une livreuse – productrice de livres – et non un écrivain, beaucoup croient qu’Edith Wharton n’a qu’un talent de riche et d’oisive et, qu’en conséquence, on peut ignorer, sinon mépriser, son œuvre et se contenter d’en apprécier le canevas une fois celui-ci transfiguré grâce au savoir-faire des metteurs en scène qui ont eu la bonté de sauver tel ou tel roman de l’oubli. Ceux-là se trompent.

Ceux qui, en revanche, entreront, pour quatre cents pages, chez les heureux du monde, y découvriront un monde où le blanc des ombrelles sur le vert des boulingrins fait illusion comme la surface plane d’une eau profonde cache le courant violent des profondeurs. Miss Lily Bart sera la victime impuissante d’une machine, qu’elle a lancée par un tout petit mensonge dès les premières pages du livre, qui la rejettera bien loin de la prestigieuse Fifth Avenue.

N’est-ce pas l’ombre inquiétante du Père Goriot qui assombrit le tableau peint par l’auteur dans de tendres tons pastels – un sang d’aquarelle aurait écrit Sagan – où les rires des protagonistes dissimulent – ah ! la dissimulation des puissants – les tremblements funestes qui menacent Miss Bart ? Elle, si fragile, naïve et intègre, qui n’a ni argent de famille «... le seul moyen de ne pas penser à l’argent, c’est d’en avoir beaucoup », ni mari fortuné.

Le lecteur sera porté par un style tout de finesse et d’esprit, on rit beaucoup dans ce roman tragique, dont on lira un exemple dans le portrait de l’agent principal de la chute de Miss Bart, Mrs. George Dorset qui monte dans le train, page 50, « ... diffusant autour d’elle ce sentiment d’exaspération générale que crée assez souvent une jolie femme en voyage. Elle était plus petite et plus mince que Lily Bart, avec une flexibilité agitée, – comme si elle avait pu se contracter et passer à travers une bague, pareille aux draperies sinueuses dont elle aimait à se parer. Sa petite figure pâle semblait n’être que la monture de deux yeux sombres et agrandis, dont le regard visionnaire contrastait curieusement avec son ton et ses gestes très décidés, – en sorte que, selon la remarque d’un de ses amis, elle avait l’air d’un esprit désincarné qui occuperait beaucoup d’espace ».

Lecteur, fréquente un moment ces heureux du monde : ils sont étonnants et effrayants, au sens classique de ces termes.

Hector Bianciotti

« Nous vivons, nous nous affairons, nous espérons, nous apportons, diligents, jour après jour, des brindilles à l'insatiable fourmilière; nous aimerions laisser une trace, transmettre quelque chose avant que la mort ne nous cueille. Nous vivons, mais nous ne sommes pas. La vérité nous échappe, elle nous nargue, elle est tellement plus vaste que la réalité. »

Hector BIANCIOTTI, Seules les larmes seront comptées, Gallimard, Paris, 1988 (366 pages).

Biobraphie : Hector Bianciotti