mardi 31 mars 2009

Retour sur la question libérale



Jean-Claude MICHÉA, La double pensée - Retour sur la question libérale, Champs Essais, Paris, 2008 (277 pages)

Pascal BRUCKNER, Jean-Claude MICHÉA, Alain FINKIELKRAUT, Répliques « Les valeurs de l'homme contemporain », Éditions du Tricorne, Genève, 2001 (63 pages)

Le petit recueil de MICHÉA constitue, en quelque sorte, une suite à son essai de 2007 L'Empire du moindre mal, ouvrage que chacun qui s'intéresse à une pensée originale sur la société libérale devrait lire. C'est aussi grâce à MICHÉA que j'ai découvert le philosophe américain Christopher LASCH, un des penseurs anti-libéraux les plus originaux de la fin du siècle dernier, et dont l'oeuvre, en français du moins, commence à être connue.

Ce recueil se compose de sept textes d'une longueur variable, pour certains déjà parus, ou constituant, pour l'un, la retranscription d'une émission de radio -- c'est dans celle-ci que l'on en apprend le plus sur le parcours de MICHÉA --, les autres étant inédits.

Ils apportent, pour l'essentiel, quelques clarifications aux thèses de l'auteur sur le libéralisme et ses deux piliers, le marché et l'État de droit. Clarifications également sur les origines historiques du libéralismes, ainsi que sur ses dérives contemporaines, qu'elles soient de droit ou de gauche.

Selon l'auteur, il est désespérant de constater que la gauche, et même l'extrême gauche (il parle de la France, le Canada n'a pas de « gauche » hormis quelques groupuscules) est pour l'essentiel inféodée à l'idéologie libérale; tout au plus souhaite-t-elle une répartition plus équitable des « fruits de la croissance », assaisonnée d'un zeste de démocratie participative. Il cite Rosa LUXEMBOURG : « L'essentiel, ce n'est pas que les esclaves soient mieux nourris; c'est d'abord qu'il n'y ait plus d'esclaves ». On est bien loin, en effet, du programme tout gentil des mouvements tels Québec solidaire...
«... aucun démontage cohérent du mécanisme libéral ne pourra être sérieusement envisagé tant que l'on refusera de remettre en question l'ensemble des manières de vivre aliénées qui sont structurellement liées à l'imaginaire capitaliste d'une croissance et d'une consommation illimitées. »
Et, qui s'en douterait, c'est du côté de George ORWELL que pourrait se trouver la solution...

L'autre livre est la transcription de l'émission Répliques où Alain FINKIELKRAUT recevait, outre MICHÉA, Pascal BRUCKNER pour son livre L'euphorie perpétuelle : Essais sur le devoir de bonheur. Vivifiante discussion.


lundi 23 mars 2009

Christophe Spielberger

Les romans de Christophe SPIELBERGER ne constituent certes pas de la littérature d'élevage; leur lecture nécessite un effort, mais offre beaucoup de plaisir à qui s'aventure dans ces pages. Comme il n'a pas trouvé d'éditeurs qui aie suffisamment d'audace pour publier ses derniers ouvrages, il nous les offre sur son site. Où l'on constatera que sa création ne se limite pas à l'écriture.

Visitez-le, lisez-le.

Le site de Christophe Spielberger


samedi 21 mars 2009

D'une part, d'autre part...


Daniel MENDELSOHN, L'étreinte fugitive, Flammarion, Paris, 2009; traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre GUGLIELMINA, The Elusive Embrace, 1999, (285 pages).

Le fait commence à être connu, ce « nouveau » livre de Daniel MENDELSOHN, prix Médicis en 2007 pour Les Disparus (voir le commentaire dans ces pages) grand succès tant critique que populaire, a été écrit il y a une dizaine d'années, premier volet d'un triptyque dont le troisième volet est en cours de gestation. Le succès de celui-ci aurait-il rendu l'éditeur plus téméraire vis à vis de celui-là ? Les affaires sont les affaires même dans l'édition, remercions donc l'audacieux éditeur de nous offrir L'étreinte fugitive avec seulement deux lustres de retard.

Critique littéraire et écrivain et, de surcroît, amateur de langues mortes et « habitué aux tombes », MENDELSOHN construit sa réflexion autobiographique -- que certains tirent du côté de l'auto-fiction -- sur une particularité du Grec classique : le men et le de, dont l'évocation m'a, moment proustien, ramené quarante ans dans mon passé et à mes jours de Méthode et de Versification, à l'extrême couchant des jours de feu le cours classique. Ces particules ne signifient rien en soi, mais structurent la phrase qui présente deux idées : « les Grecs ont chargé, les Troyens les ont repoussé », illustrant ainsi la façon de penser bipolaire des Grecs classiques.

Tout sera donc dans L'étreinte fugitive, articulé sur ce mode moins bipolaire que complémentaire : « Nous sommes toujours deux choses en même temps », que ce soit l'homme qui accepte de prendre en charge la figure de père pour l'enfant d'une amie, laquelle vit en banlieue de New York, mais continue à habiter le quartier gay de cette même ville : « quelqu'un qui désire l'amour, mais qui aime le désir ».

Particules qui, on le remarquera, sont dans son patronyme...

Fort belles pages sur la question de l'identité, des origines, judaïté, homosexualité, le même et l'autre, depuis les premiers émois d'une certitude qui ne s'avoue pas encore : l'attrait pour ces garçons blonds du Sud, à l'accent traînant. Intéressante aussi la réflexion sur la drague par Internet. Ainsi que, tout aussi fondamentale, la découverte d'une vérité tue, une vérité à visage de Janus, de la famille de son père quand à une tante « morte avant son mariage ». Progression aussi du personnel au familial qui amènera l'auteur à voyager dans le monde et dans le temps à la recherche de cette histoire, à être « touriste dans la souffrance des autres ».

Ce qui fera sourciller les tenants de l'amour éternel est le constat par l'auteur que, « c'est un fait de la vie gay », des couples gays qui font preuve d'un engagement sentimental durable tous cherchent des satisfactions sexuelles en dehors de leur relation. De ce constat, il formule l'hypothèse que pour tous les hommes « le sexe est séparable de l'affect ». On se dit que, a contrario, beaucoup vivent dans l'illusion ou le déni...

Ces pages ne constituent pas la plus audacieuse, ni même la plus profonde, réflexion sur la question gay : il n'en demeure pas moins que sa construction « à la grecque » rend avec justesse l'interrogation permanente d'un homme sur lui-même, avec une justesse telle que le lecteur est facilement amené non pas tant à s'identifier à lui -- quel miroir nous tend-il, et quelle image de nous y voit-on ? -- qu'à faire sienne cette interrogation.

Ayant fait ce périple, le lecteur pourra aller à la rencontre Des disparus; ou y revenir s'il a déjà lu ce livre si puissant.

L'auteur assistera, entre les 22 et 26 avril prochains au 11e festival international de Montréal Métropolis Bleu.
http://metropolisbleu.org/Festival/InfosPratiques

mardi 17 mars 2009

Hors les murs I

Franz BARTELT, Le jardin du Bossu, Série Noire Gallimard, Paris, 2004 (186 pages).

En visite chez quelqu'un de conséquence (pour moi du moins), j'aurais eu tendance à négliger lecture et écriture si, profitant d'un refroidissement qui l'affecte, je n'avais pu m'emparer de son ordinateur pour recommander le bref polar, très lutte des classes, l'argent étant le moteur de l'intrigue, de mon cher Franz BARTELT. Je donnerais fort à parier que vous vous laisserez surprendre par la chûte.

mardi 10 mars 2009

Bartelt encore

Franz BARTELT, Le jardin du Bossu, Gallimard - Série noire, repris en Folio, Paris, 2004-2006 (185 pages).

Retour de la BNQ avec ce titre dans mon sac. Je poursuis en noir et en humour, il y a des odeurs de printemps dans l'air, le chat Ludo se fait fripon. Lecture en parallèle avec Le Rouge et le Noir et, en ligne, le roman de Guy VERVILLE.

Le mot de l'éditeur :

« C'est l'histoire d'un petit voyou en fin de non-droits, déjà un peu âgé, mais de bonne mentalité, car basé sur l'idée de gauche, et à qui sa femme, la belle Karine, a interdit de remettre les pieds à la maison tant qu'il n'aura pas trouvé un moyen de subvenir un peu aux besoins du ménage. Convaincu que le travail, pour peu qu'il ne soit pas trop manuel, est une manière comme une autre de restaurer l'amour conjugal, il entreprend de suivre un ivrogne dans la rue, avec l'arrière-pensée de lui piquer son portefeuille. »

Le détective des détectives


Pierre BAYARD, L'Affaire du chien des Baskerville, Les Éditions de Minuit, Paris, 2008 (167 pages).

Le plus récent ouvrage de Pierre BAYARD, Le plagiat par anticipation, n'étant pas arrivé dans nos librairies ni, a fortiori, à la BNQ, je me suis rabattu sur le précédent lequel, lui, était sur les rayons.

C'est ainsi, toujours par hasard, que j'ai lu deux polars, l'autre étant Nadada, de Franz BERTELT. Certes, le livre de BAYARD tient davantage de l'essai que du roman policier à proprement parler, même s'il constitue bel et bien une enquête sur la fameuse affaire du chien des Baskerville, un des plus célèbres ouvrages de Conan DOYLE, laquelle voyait « renaître » Sherlok Holmes, éliminé par l'auteur qui, à ce qu'on dit, prenait ombrage de la renommée de son personnage et voulait poursuivre son œuvre libéré de l'ombre de celui-ci.

En quelques mots, Bayard soutient que l'auteur du crime dans cette affaire n'est pas celui identifié par Holmes et, bien plus, que la victime n'est pas celle que l'on croit à lecture du roman. En effet, selon lui, Holmes aurait bâclé l'affaire, révélant ainsi les faiblesses de sa méthode, d'une part, mais, point bien plus intéressant, car il nous permet d'entrer dans le processus de la création littéraire et des relations entre l'auteur et son personnage, DOYLE aurait délibérément laisser errer son détective.

Rappelons qu'ayant fait périr son détective las, et sans doute jaloux, du succès de celui-ci, DOYLE se résigna, cette mort littéraire ayant provoqué une quasi-crise nationale -- voire mondiale --, à la poursuite de ses aventures.

L'essai de BAYARD constitue, selon moi, à la fois un très bel exemple d'analyse littéraire : les liens entre un personnage et son créateur, l'un et l'autre ayant leur autonomie; ainsi qu'un brillant travail de détective ou, pour reprendre l'expression de BAYARD, de critique policière. Critique qui démontrera le véritable assassin de l'affaire des Baskerville, retournant contre Holmes les failles de sa démarche, et un aspect inconnu de la psychologie de l'auteur.

La critique policière tient comme postulat que « de nombreux meurtres racontés par la littérature n'ont pas été commis par ceux que l'on a accusés. En littérature comme dans la vie, les véritables criminels échappent souvent aux enquêteurs et laissent accuser et condamner des personnages de second ordre. Éprise de justice, la critique policière se donne donc comme projet de rétablir la vérité et, à défaut d'arrêter les coupables, de laver la mémoire des innocents. » Outre l'affaire des Baskerville, BAYARD s'intéressera à Hamlet et au Meurtre de Roger Ackroyd, deux affaires criminelles qui, selon lui, n'ont pas été correctemt élucidées.

Ils ne sont pas si fréquents les essais à suspens : offrez-vous quelques heures d'une instructive détente.

Élémentaire, mon cher...



La page de Pierre BAYARD aux Éditions de Minuit :
http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=livAut&auteur_id=1480

lundi 9 mars 2009

Nadada

Franz BARTELT, Nadada, Éditions La Branche - Suite noire, Paris, 2008 (91 pages).

Qui me lit, ou à tout le moins me feuillette, sait combien, depuis que j'ai fait sa connaissance, je me suis entêté de Franz BARTELT, dont je ne cesse de vanter le récent Pleut-il ?, chez Gallimard, sans oublier le recueil de nouvelles, repris en Folio, Le bar des habitudes. Mais je viens tout juste, par le hasard de mes déambulations dans le secteur des nouveautés de la Bibliothèque nationale, de découvrir son côté Noir. Une petite recherche m'a aussi permis de découvrir son grand succès Le jardin du bossu, que je n'ai toutefois pas encore lu.

Bien étrange polar que ce Nadada (que l'on devrait, je crois, lire « haine à dada »); tous les ingrédients y sont réunis, un commissaire, un assassin, une victime. Mais la chose est, comme on le dit maintenant en cuisine, déconstruite, et le dénouement étonnera le lecteur de policier traditionnel. Comme l'étonnera la présence du narrateur, écrivain à la recherche d'une écriture et, au passage, d'une première phrase et d'un exergue adéquats et propices à lui assurer la gloire. À voir.

Et à lire.

Je citerais bien tous les mots en exergue tant ils sont goûteux; un suffira, qui va avec l'époque :
« Le temps c'est de l'argent, sauf à un moment donné. »

jeudi 5 mars 2009

En ligne

Guy VERVILLE, Les mailles sanguines, http://www.guyverville.com/ (s'inscrire en ligne sur le site de l'auteur), 2007.

Le hasard des rencontres en lignes a fait que je suis tombé sur la page de Guy VERVILLE, avec qui j'ai un peu clavardé, avant de m'inscrire comme lecteur de son roman en ligne.

Une première pour moi. Car, si je lis beaucoup « en ligne », c'est la première fois que je m'attaque à un roman virtuel. J'ai lu les deux premiers chapitres, et je dois conclure qu'on ne « saisit » pas un texte romanesque de la même façon qu'on le fait d'un article de journal. Un roman requiert, inévitablement, de la durée, contrairement à l'article qui est bref et complet; le deuxième informe, telle n'est pas la fonction du premier.

Je réserve encore mon avis, sur la forme et le fond.

Cela dit, la présentation, tant du texte en ligne que de la version pdf, est tout à fait plaisante, le lecteur pouvant à sa guise modifier la taille de la police. Tentez l'expérience.