samedi 29 décembre 2012

La Dame au petit chien

Anton TCHÉKHOV, La Dame au petit chien, in Oeuvres III, La Pléiade, Gallimard,  Paris, 1971 (1033 pages).

Je mène désormais en parallèle avec trois auteurs un dialogue en lecture que rien ne semble épuiser, et auquel vous pouvez participer si vous avec la patience de me lire. À la base de ce triangle littéraire, les carnets aigres-doux d'André Major et le récit Regardez la neige tombe -- comme elle tombe, délicate, en cet après midi de fin décembre, pendant que je rédige ces lignes -- fort justement sous-titré Impressions de Tchékhov, qui vaut bien toutes les biographies du monde; au sommet, les récits -- comme les appelle le recueil de la Pléiade, mais que beaucoup qualifient de nouvelles --  de ce dernier, dont celui-ci, qui date de 1899.

La neige tombe, et je m'identifie, avec je ne sais quelle mélancolie, aux pensées de Gourov, la personnage principal du récit :
« Des activités vaines et des conversations oiseuses toujours sur les mêmes sujets absorbent la meilleure partie de votre temps, le meilleur de vos forces, et, au bout du compte, il ne vous reste qu'une vie étriquée, aux ailes rognées, une vie de pacotille, et aucun moyen de s'en échapper, de fuir, c'est comme si l'on était enfermé à l'asile ou dans un pénitencier. »
Passons chez le Major du Sourire d'Anton ou l'adieu au roman :
« ... il arrive aussi [...] qu'une réflexion vous frappe avec la force et la vélocité d'une évidence, que vous faites vôtre aussitôt, un peu déçu tout de même de ne pas en être l'auteur. »
Chez Grenier :
« Maintenant j'ai l'impression que j'ai appris à lire dans son œuvre et qu'à travers l'individu nommé Tchékhov qui vécut si loin d'ici, il y a un siècle, je reconnais et j'aime tout ce que l'on peut savoir d'un homme, les qualités et aussi les défauts. »
Au vrai, moins de la mélancolie qu'une certaine forme de lucidité, version moderne du gnôti séauton des Grecs, lequel n'est  pas le « connais-toi toi-même » qu'en ont fait les Chrétiens, mais bien un « connais tes limites, connais ta condition ». Pourtant cette lucidité nous permettra-t-elle jamais de savoir qui nous sommes vraiment ? Si  les autres ne la trouveront jamais, n'y a-t-il pas chez nous quelque aveuglement à prétendre connaître notre identité ?

Encore Gourov :
« Les femmes l'avaient toujours pris pour autre chose que ce qu'il était, ce n'était pas lui qu'elles aimaient en lui, mais un être né de leur imagination, qu'elles avaient avidement cherché à travers leur vie; puis, quand elles s'apercevaient de leur erreur, elles continuaient à l'aimer. Et pas une seule d'entre elle n'avait été heureuse avec lui. Le temps passait, amenant d'autres rencontres, d'autres liaisons, d'autres ruptures, mais jamais il n'avait aimé; c'était tout ce que l'on voulait mais pas de l'amour. »
Et l'on songe tout de suite à Swann et à Odette... 

Pour moi, je connais bien des mariages qui n'auraient pas dû se faire ! Toujours la neige qui tombe, et Dietrich chante Want to buy some illusions...

vendredi 28 décembre 2012

Richard POWERS, Gains, traduit de l'anglais (États-Unis) par Claude et Jean Demanuelli, Le Cherche-midi, Paris, août 2012 (630 pages); titre original Gain; également disponible en version électronique.

Il m'arrive encore de céder au chant des sirènes littéraires -- je ne me corrige pas de ce travers--, et une critique bien tournée me poussera à me procurer l'objet vanté, car j'aime à découvrir de nouveaux auteurs, c'est à dire des auteurs que je ne connais pas. En l'espèce, c'est l'éloge de Florence Noiville, du Monde, qui aura piqué ma curiosité :
« On retrouve dans Gains cette structure en double hélice - général/intime - que Powers affectionne. Mais, cette fois, c'est l'économie qui l'intéresse. Nous suivons l'ascension irrésistible d'une entreprise de savon créée à Boston au début du XIXe siècle par la famille Clare. Powers explique comment les produits Clare ne vont pas tarder à tout envahir et pas seulement les armoires à pharmacie des Américains...
Son roman est un jeu d'écritures en partie double, où il est sans cesse question de prix, d'estimations, de dépréciation, des termes de l'échange, bref de débits et de crédits. Cours des matières premières, nombre de grandes fortunes, pourcentages de guérison... Tout est chiffre, espérance de gain. Mais quel gain ?...
Sixième roman traduit en français, Gains n'est pas un livre récent et c'est dommage. Lorsque Powers l'écrivait, en 1998, il ne pouvait imaginer la crise de 2008, les subprimes, les scandales des banques ou les turpitudes de l'industrie du tabac qui auraient rendu sa démonstration plus tranchante encore. Quinze ans plus tard, son livre reste néanmoins une peinture effarante de la société de consommation, de sa genèse et de ses dangers. Des dangers impalpables dont les victimes - nous tous - sont presque toujours des complices »
Prudent, j'ai réservé le livre à la bibliothèque, car, lecteur échaudé devient économe, et le pavé  -- 630 pages -- est arrivé quelques semaines plus tard. Las, j'en suis sorti... lessivé (ce qui est un comble pour une histoire de détersif).  Mon goût aurait-il à ce point évolué que je n'éprouve plus guère de plaisir à ces essais brillants habillés en roman ? Fût-ce, comme le mentionne Noiville, sous la forme d'une double trame narrative. Ni à ces exercices de descriptions exhaustives où rien n'est épargné au lecteur, qu'il s'agisse des règles de mise en  marché d'un produit ou du traitement contre le cancer. On tiendrait Balzac, à qui on a comparé l'auteur, pour un écrivain d'une très abstraite sécheresse. Par curiosité, je suis allé voir du côté des Spendeurs et misère des courtisanes, pour y constater que, s'il est vrai que Balzac a toujours un message, ses descriptions sont au service du récit, pas l'inverse. D'où cette désagréable impression de lire une thèse -- un pensum. D'autant plus qu'on le voit venir, l'auteur, l'auteur, avec ses gros sabots idéologiques : le capitalisme, cancer social, offre des produits -- en l'espèce du savon et d'autres produits dérivés -- qu'il faut vendre coûte que coûte; produits qui suscitent, à leur tour, un cancer chez les individus qui se les procurent. D'où vie et mort d'une entreprise et vie et mort d'une mère de famille. Encore que l'entreprise, si elle échappe au contrôle de ses créateurs, ne meurt pas vraiment... C'est donc par lassitude devant ce vérisme à peine romanesque que j'ai accéléré faisant du roman de Powers un véritable page turner, mais pas pour le motif souhaité, et fort à regret car je souhaitais de l'aimer ce livre. Je crois déceler, chez les Américains, une pente assez fort vers ce genre d'écriture sèche et didactique, qui a tout le souffre du scénario de film.

Tant qu'à donner dans l'économie, lisez plutôt l'essai de Serge Audier, Néolibéralisme (s) chez Grasset.

Présentation :
« 1830. La famille Clare crée à Boston une petite entreprise de savon. Celle-ci va évoluer au rythme des États-Unis et devenir, un siècle et demi plus tard, une véritable multinationale. Des plantes médicinales aux cosmétiques, détergents et autres insecticides, des pionniers inventifs au règne de la communication et du libéralisme, le chemin sera long et impitoyable.

1998. Laura Bodey, 42 ans, divorcée, mère de deux enfants, travaille dans l'immobilier à Lacewood, Illinois, siège des usines de Clare Inc. Sa vie va basculer et son destin converger d'une façon inattendue avec celui de la multinationale, faisant d'elle une victime révoltée par l'idée de fatalité.

Après Trois fermiers s'en vont au bal et Le Temps où nous chantions, Richard Powers ausculte l'influence du libéralisme sur la vie quotidienne et les destinées individuelles. Animé à la fois par une vision globale et une rare puissance émotive, il plonge le lecteur dans les contradictions de la société de consommation, et met en scène avec brio et tension les gains et les pertes auxquels est confronté l'humain. »

jeudi 27 décembre 2012

Le sourire d'Anton ou l'adieu au roman - Carnets 1975-1992

André MAJOR, Le sourire d'Anton ou l'adieu au roman - Carnets 1975-1992, Boréal Compact, Montréal, réédition 2012 (187 pages).

Il y a exactement vingt ans aujourd'hui, André Major lisait Le neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard « aussi stimulant que Maîtres anciens, sans en avoir la richesse psychologique et la densité d'écriture » -- on pourra trouver plus léger pour les Fêtes.  En parallèle avec l'auteur autrichien, contempteur de son pays, il réfléchit sur la manie bien québécoise de glorifier les « géants sortis de notre terroir, vedettes du sport, de la télé et des affaires dont les faits et gestes, à force d'occuper tant de place, finissent par nous tenir lieu de culture nationale. »  Aujourd'hui, c'est en sa -- très bonne -- compagnie que je m'apprête à refermer une autre année de lecture, et de billets, ces carnets me poussant à m'interroger sur ma propre pratique du carnet qu'est, sur Internet, le blog : lecture et écriture comme élément d'une vie.

J'aurai l'occasion de revenir sur ce recueil de carnets, et aussi sur Prendre le large, le plus récent de la série. Pour l'heure, il me suffira de dire combien je me sens proche de l'auteur, tant par ses goûts littéraires, son élitisme, son dégoût du monde et de son angoisse face à l'écriture, laquelle l'aura finalement poussé à renoncer au roman. Et de citer de larges extraits d'une lettre parue le 12 décembre 1992 dans Le Devoir sur la publication d'un dictionnaire Robert québécois, et qui lui a valu la vindicte des officiels de la culture. Vingt ans, et un vain référendum plus tard, qu'y a-t-il de changé ?
« L'acte culturel les plus révolutionnaire, dans le Québec actuel, c'est d'oser parler et écrire dans un français correct, exempt de toute concession au nationalisme culturel et à la mode vernaculaire qui tendent à vous faire croire qu'existe une langue québécoise. Si tel était le cas, nous cesserions d'être des francophones pour devenir des québécophones, espèce apparentée aux Louisianais d'origine acadienne. Une langue ne se réduit pas à un lexique, même s'il était la géniale invention d'un peuple tout aussi génial; c'est un ensemble de règles, une grammaire et une syntaxe. Quand les mots perdent leur sens, quand le délire populaire tient lieu de raisonnement intellectuel, il n'est pas superflu de rappeler certaines évidences, quitte à passer pour ce que M. Rey appelle un puriste exalté. On voit bien que ce monsieur n'habite pas ici, qu'il n'entend pas jour après jour et qu'il ne lit pas, tous les matins, la langue qui se parle et s'écrit ici. J'ose à peine imaginer la réaction des Français si leur Robert se trouvait du jour au lendemain truffé de termes argotiques, car c'est bien d'un argo qu'on entend justifier l'existence en intégrant à ce dictionnaire un lexique composé du meilleur et du pire, de tournures archaïques ou populaires mais aussi de fautes assez grossières, de termes branchés et surtout d'anglicismes dont nous n'arrivons plus à purger notre langue tant nous cultivons avec délectation nos propres déficiences.

Ce dictionnaire paraît à un moment où les médias utilisent une langue de plus en plus désarticulée grammaticalement, de plus en plus approximative sur le plan lexical, à un moment où certains artistes -- par souci d'authenticité, c'est à dire par démagogie pure -- participent allègrement à une véritable entreprise de régression langagière. [...] c'est du québécois que nous aurons un jour l'honneur douteux d'être traduits pour être compris dans la francophonie si nous continuons à creuser le fossé qui nous en sépare, comme une certaine élite souhaite. Aussi bien adopter tout de suite le parler twit, nouvelle appellation du joual des années 1960, et consacrer une fois pour toutes notre rupture avec notre langue d'origine puisqu'être francophones nous contraint à un dépassement qui nous semble au-dessus de nos faibles forces, à un apprentissage épuisant, toutes choses que notre médiocrité bonhomme ne supporte plus, il faut croire.

L'indigénisme de certains linguistes n'arrange rien, car, comme le disait l'un deux, nous utilisons un excellent français québécois, tout comme nous produisons le meilleur théâtre québécois au monde, selon Jean-Claude Germain. (Un peu comme le Canada selon Jean Chrétien serait le plus meilleur pays du monde au monde... -- se non è vero, è ben trovato ! nda) Il faut comprendre par là un français amélioré, tel que nous le proposait il n'y a pas si longtemps Léandre Bergeron, et qui  nous autorise à partir une entreprise, comme si on pouvait partir quoi que ce soit, ou à supporter Centraide, comme s'il n'était pas suffisant de supporter la misère qu'elle nous invite à soulager. Autre exemple récent, que je prends dans Le Devoir : en manchette on nous apprend que Bourassa prétend avoir choisi « la moins pire des solutions » -- heureusement qu'il n'a pas choisi la plus pire. Pour ne pas perdre l'usage de notre langue -- si c'est toujours le français, bien entendu --, nous devons nous payer, à défaut d’œuvres littéraires, Le Monde ou Le Nouvel Observateur, n'importe quel journal où la maîtrise de la langue demeure un prérequis (si on me permet ce québécisme inventé par nos experts en pédagogie) (Cet appauvrissement linguistique a depuis également frappé ces journaux, las ! nda).

Au-delà de la langue, ou plutôt à travers elle,c'est une crise profonde qui se trouve ainsi dévoilée : celle d'un peuple victime d'une sorte d'anémie culturelle et qui, faute d'affirmer autrement sa différence, se replie sur une langue infantilisée. « Dis-le dans tes mots, moman va comprendre », tel devrait être le slogan publicitaire du Robert québécois qui n'est rien de plus que le vadémécum de notre rapetissement culturel.

[...]

Dans la maternelle québécoise, nous parlerons bébé, nous penserons quétaine et nous vieillirons en nous souvenant de cette époque où nous rêvions d'une improbable maturité collective. En attendant, nous ne manquons pas de comiques généreusement subventionnés pour nous faire mourir de rire. »
On voudra bien, pour ne pas désespérer le Plateau, écouter le Vigneault de Quand nous partirons pour la Louisiane, ou le Mommy de Pauline Julien.


En conclusion, je me souviens d'avoir lu, à cette époque, dans Le Devoir, la fine fleur de notre intelligentsia journalistique les titres suivants : Au Québec, le saumon remonte la pente et Les Russes posent la première pierre de la station spatiale. On a la métaphore qu'on peut, et de rire de tel coach de hockey champion hors catégorie en la matière.



lundi 24 décembre 2012

En écoutant la radio II - FRANCE CULTURE

Je vois le sourire de certains de mes lecteurs à la lecture du dernier article. L'un ne m'a-t-il pas surnommé France Culture ? Internet nous donne accès à la mine d'or que constitue cette chaîne culturelle de radio, et dont on regrette désormais l'absence au Canada : je remercie chaque jour la France de continuer à me donner tout ce dont Lafrance nous a privé. Quiconque déplore, comme moi, le carnage radiophonique dont ce mandarin du temps présent est la cause -- je suis incapable de le qualifier de responsable -- sait de qui il s'agit. Par un curieux effet du hasard, André Major, qui pourtant était de la maison, nous donne dans son Prendre le large ses vues sur la question.
« Ce qu'on voit poindre dans la nouvelle orientation de la radio culturelle, c'est une méfiance à l'endroit de la littérature et de la pensée, qui s'exprime sans un parti pris pour les arts du spectacle, comme le récent budget de la chaîne culturelle (remplacée depuis par Espace Musique...) en fait la démonstration. On bouleverse la grille horaire pour marginaliser les émissions considérées comme trop sérieuses en les diffusant aux heures de faible écoute (On leur reprochera ainsi de ne pas faire d'audience avant de les supprimer...). La radio conçue par une génération d'humanistes a cédé la place à  une radio dite d'accompagnement (comme on accompagne les mourants ?), pas trop dérangeante, mais juste assez délinquante aux yeux de la génération de gestionnaires qui en a pris le contrôle. Il me reste moins de deux ans à observer la liquidation d'une culture radiophonique (C'est chose faite, Lafrance a gagné sur toute la ligne, sans doute finira-t-il au Sénat ou à l'UNESCO...) qui, au cours des dernières décennies, occupait le vaste espace entre la culture savante et la culture populaire. » (en italiques, mes commentaires, ce texte date de 1996)

Pour l'heure, écoutez la chanson d'Arnaud Fleurent-Didier :

En écoutant la radio

Semaine fertile à la radio de France Culture cette semaine : Aragon, Camus et, last but not least, Proust.

Et pour les amateurs d'histoire, une passionnante série de cinq émissions sur l'historien britannique, récemment décédé, Eric Hobsbawm.

Écoutez ces émission, téléchargez-les pour écoute différée, vous avez le choix.



La grande table (deuxième partie) : Retour sur l’œuvre de Louis Aragon :




La grande table (deuxième partie) : Camus et moi (avec Roger Grenier) :

Premier de cinq épisodes.
Présentation :
« Il aurait eu cent ans le 7 novembre 2013. L’année sera donc camusienne ou ne sera pas.
[...]
C’est pour célébrer ce centième anniversaire, avant que les réjouissances ne laissent place à la lassitude puis à la saturation, que nous avons souhaité élaborer une semaine spéciale à La Grande Table, semaine que nous avons intitulée « Camus et moi » dans la mesure où ce sont cinq personnalités, cinq grandes figures qui tout au long de la semaine vont nous parler de leur rapport à l’homme, qu’il fût l’ami, le journaliste, l’écrivain, l’Algérien, ou encore le philosophe.
Demain, c’est Jean Daniel qui témoignera de sa relation confraternelle profonde avec celui qu’il connut d’abord comme journaliste et éditeur, et qui nous expliquera en quoi Camus est notre contemporain. Mercredi, la militante algérienne et écrivaine Wassyla Tamzali reviendra sur l’œuvre littéraire et la désunion entre Camus et son pays natal. Jeudi, c’est l’historien Benjamin Stora qui évoquera son lien avec l’auteur de L’Etranger à travers l’histoire des rapports compliqués entre la France et l’Algérie. Vendredi, nous terminerons la semaine avec Michel Onfray, auteur de L’Ordre libertaire, une vie philosophique d’Albert Camus.
Et pour ouvrir cette semaine exceptionnelle, c’est un monument de frêle apparence qu’on vient visiter du monde entier pour l’entendre conter ses compagnonnages et sa traversée du siècle qui est notre invité. Quel parcours que le sien ! De la Résistance à Gallimard, il a côtoyé les plus grands intellectuels du siècle et fut l’ami intime de Claude Roy, Pascal Pia, Romain Gary, Ionesco, Joseph Kessel, Julio Cortazar, Henry Miller, Lawrence Durrell…»




Les nouveaux chemins de la connaissance : Proust, un peu de temps à l'état pur

Présentation :
« Il n’y a pas de saison pour lire Proust, mais s’aventurer sur les pas du narrateur du côté de Méseglise puis du côté de Guermantes, au début de l’hiver, à la veille de Noël, c’est s’offrir le plus beau des cadeaux. Pas à pas, suivre le cours de la Vivonne parsemées de nymphéas étincelants, signe d’un bonheur attentif, silencieux et mobile ;  remonter le chemin vers  les clochers de Martinville dont la silhouette ensoleillée comme une écorce déchirée, et invitent à la littérature, et retrouver au creux d’un bruit présent -un tintement de cloche, une fourchette qui bute sur l’assiette- la saveur d’un souvenir qui seule permet de saisir ce qui ne s’appréhende jamais : un peu de temps à l’état pur. »

À voix nue : Hommage à Eric Hobsbawm

 

jeudi 20 décembre 2012

Brève : Une voix dans la nuit d'Armistead MAUPIN

Armistead MAUPIN, Une voix dans la nuit, traduit de l’anglais (États-Unis) par François LASQUIN et Lise DUFAUX, L’Olivier, Paris, 2001 (408 pages) – Titre original The Night Listener, HarperCollin Publishers, 2000

J’ai eu le sentiment, lisant ce roman, de subir une longue pause publicitaire, comme naguère avant l'invention des enregistreurs numériques ; les lecteurs ayant un peu vécu se souviendront que, le jeudi soir, jadis, le cinéma était présenté par une marque de produits laitiers et un annonceur à la voix aussi onctueuse que les préparations au fromage dont on nous donnait la recette. C'était bien avant la di S, Ricardo et assimilés.

Il y était aussi question de guimauve… et d’autres produits hautement raffinés. Dans toute sa superficialité, ce roman est profondément américain.

Par exemple, l’auteur ne nous épargne pas ses remerciements, sur deux pages, comme si nous assistions à la cérémonie de remise des Oscars ; seul Dieu y manque, ce qui est surprenant, de même que le traditionnel I love you

mercredi 19 décembre 2012

Brève : England, England


Julian BARNES, England, England, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Folio n° 3604, Paris, 2002 (442 pages) – titre original England, England, 1998, et 2000 pour la traduction. 

L’utopie est une affaire très anglaise, comme la bouillante eau et la tiède bière, depuis au moins Thomas More, d’autant plus qu’il est d'usage de la réaliser dans une île, loin des influences néfastes venues de la terre ferme, et notamment du Continent.
 
Quand sir Jack Pitman, un magnat des médias, constate que son Royaume Uni de pays s’en va à vau-l’eau, ce qui est un comble pour une île, il décide, par patriotisme, d’en créer un qui représentera la fleur de ce qui a fait la civilisation britannique. Un pays, mais pas un État : en un mot une entreprise.

Donc, dans un avenir rapproché, sous le règne d’un successeur d’Élisabeth, un coureur de jupons semble-t-il, notre héros parvenu – dans tous les sens du terme – au succès économique pâtit un peu d’un déficit de reconnaissance. Il a donc une idée : recréer l’Angleterre. Orage de cerveaux, ressources humaines, on scrute le marché, on se penche sur la carte et, le sort en est jeté, ce sera l’Île de Wight, sur la Manche, qui deviendra England, England. 

Oubliez un peu la télé, et Downton Abbey, et offrez-vous quelques heures de bonne lecture.






mardi 18 décembre 2012

L'herbe des nuits

Patrick MODIANO, L'herbe des nuits, Gallimard, Paris, octobre 2012 (178 pages) également disponible en version électronique.

Dannie, Paul Chastagnier, Aghamouri, Duwelz, Gérard Marciano, Rochard, dit « Georges  », les toquards de l'Unic Hôtel, rue du Montparnasse, quand les gratte-ciel n'existaient pas à Paris. En 1964. Et aussi Mme Dorme, d'autres noms encore : Mireille Sampierry, Jeannine de Chillaud.

J'aurais aimé les rencontrer et, moi aussi, tenir autrefois -- ce que je fais maintenant -- un carnet noir, comme Jean, le narrateur, carnet où il consulte ses notes bien longtemps après les y avoir consignées. Notes marquant tel ou tel fait, le plus souvent de petits détails -- un nom, une adresse, un numéro de téléphone, une phrase « Quand j'ai débarqué à Paris à la gare de Lyon... » --, dont on souhaite se souvenir, une preuve de notre existence --, car on sait que l'on oubliera, et dont la lecture fera surgir, parfois des pans entiers, le plus souvent, hélas, que fragiles débris, d'une vie engloutie, égarés entre réminiscence et oubli, dans cette zone grise, comme les quartiers périphériques de la ville, de la mémoire. Il ne s'agit pas de temps retrouvé, car celui-ci demeure définitivement, et irrémédiablement, perdu, mais d'un fragment de temps immobile et perpétuel vécu par nous, mais comme s'il l'avait été par un double de soi, un soi d'autrefois, rappel de ce temps révolu, mais qui, le plus souvent à notre insu, nous a marqué à tout jamais. Et l'on se demande, dubitatif, comme le narrateur, si, oui ou non, l'on n'a pas rêvé...
« Il me semble aujourd'hui que je vivais une autre vie à l'intérieur de ma vie quotidienne. Ou, plus exactement, que cette autre vie était reliée à celle assez terne de tous les jours et lui donnait une phosphorescence et un mystère qu'elle n'avait pas en réalité. »
... une phosphorescence...

Ne nous y trompons pas : rien de proustien chez Modiano, chez qui le souvenir n'est jamais fortuit qui survient comme, au cinéma, apparaît une silhouette de la blancheur d'un blizzard et dont, peu à peu, se précise le contour et la couleur. Amenant autant de questions sur ce présent d'autrefois, autant de flocons de neige insaisissables, mais dont on parvient toujours à puiser, avec le souvenir, l'origine de notre identité. Et les réponses ?

Fragile, si fragile identité : quand une machine, un guichet automatique, vous assène, au lieu de billets, un ticket où il est écrit : « Désolé, vos droit sont insuffisants ».
« Je me répétais cette phrase et je dois avouer qu'elle me faisait monter les larmes aux yeux, ou bien était-ce le froid de l'hiver ? En somme, j'étais revenu au point de départ et, si les distributeurs de billets avaient existé vers 1964, la fiche aurait été la même pour moi : Droits insuffisants. Je n'avais à cette époque aucun droit ni aucune légitimité. Pas de famille ni de milieu social bien défini. Je flottais dans l'air de Paris. »
Puis reviennent un à un Dannie, Paul Chastagnier, Aghamouri, Duwelz, Gérard Marciano, Rochard, dit « Georges  », l'Unic Hôtel, rue du Montparnasse, et avec eux toute une vie.

Le voyage avec Modiano est souvent double : dans le temps -- ici les années 60, un peu des années 80, le présent --, dans l'espace, Paris, un Paris lui aussi dédoublé, sa morphologie ayant beaucoup changé en moins d'un demi-siècle.

Le narrateur, Jean, est devenu écrivain. Il l'était déjà, écrivain, en quelque sorte, mais avait perdu son manuscrit. Aujourd'hui, il se promène dans Paris, et il écrit toujours...
« Le temps est aboli et tout recommence : comme autrefois, avec le même genre de stylo et de la même écriture, je remplis des pages en consultant de nouveau les notes de mon ancien carnet noir. Il m'aura fallu presque une vie entière pour revenir au point de départ. »
S'il vous plait, lisez L'herbe des nuits; et quand vous l'aurez fait, relisez-le aussitôt. Pour ne pas oublier ce temps-là, et le temps de votre lecture. Si beau, ce temps de lecture.

Extrait :
« Je plaignais ceux qui devaient inscrire sur leurs agendas de multiples rendez-vous, donc certains deux mois à l'avance. Tout était réglé pour eux et ils n'attendaient jamais personne. Ils ne sauraient jamais que le temps palpite, se dilate, puis redevient étale, et peu à peu vous donne cette sensation de vacances et d'infini que d'autres cherchent dans la drogue, mais que moi je trouvais tout simplement dans l'attente. »

Présentation :
« "Qu'est-ce que tu dirais si j'avais tué quelqu'un ?" J'ai cru qu'elle plaisantait ou qu'elle m'avait posé cette question à cause des romans policiers qu'elle avait l'habitude de lire. C'était d'ailleurs sa seule lecture. Peut-être que dans l'un de ces romans une femme posait la même question à son fiancé. "Ce que je dirais ? Rien." »
 Post scriptum :

Le commentaire de Paris-Match par Valérie Trierweiler.

samedi 15 décembre 2012

Citation : Prendre le large

Pierre FOGLIA, Trois livres (extraits) La Presse, 11 décembre 2012.

Les hasards... Voilà-t-il pas que Pierre Foglia et moi partageons, presque simultanément, les mêmes lectures. Il me double de vitesse au moment je suis sur le point de vous dire tout le bien que je pense des récents carnets d'André Major, Prendre le large et où je suis plongé avec ô combien de joie dans son premier recueil : Le sourire d'Anton ou l'adieu au roman, dont le commentaire suivra, un jour, un jour :
« Je vous ai déjà dit tout le plaisir que je prenais aux Carnets d'André Major, je vous le redis avec plus d'enthousiasme encore: il vient d'en réunir d'autres sous le titre Prendre le large, qui couvrent les années 1995-2000 et qui distillent la même prose économe et précise que les premiers.

"On n'en a jamais fini avec le souci d'exprimer justement et clairement une pensée qui a émergé d'une grande confusion", note-t-il quelque part. Pour la confusion du départ, je ne saurais dire, mais pour la justesse et la clarté à l'arrivée, on ne trouvera pas, dans toute la littérature québécoise d'aujourd'hui, de petites proses plus claires, mieux tirées au cordeau que celles de ces carnets.

C'est drôle comme je me sens à la fois très loin de cet écrivain (de son cercle surtout, Archambault, Brault), loin et pourtant très proche de ses mots, de ses promenades en forêt, de la plupart de ses lectures, Cioran, Ferron, McCarthy, Harrison, Tolstoï, qui vont de soi, mais aussi des Walser, Sebald, Georges Perros, Umberto Saba - Saba que je croyais être seul à lire ici. C'est à moi, Saba, bon. Une fois, je suis allé à Trieste pour aucune autre raison que Saba.

C'est drôle parce que Major appartient à cette engeance d'écrivains qui méprisent le plus les médias, dont je suis assurément, à leurs yeux, un des plus tôtons totems, or ses petites proses me collent à la peau comme s'il les avait écrites exprès par amitié pour moi, comme des mitaines qui ne feraient qu'à moi. Par exemple, parlant de ses promenades, il dit se sentir devenir l'objet de son observation, c'est aussi ma prétention quand je prétends qu'à vélo, je ne traverse pas les paysages, j'en deviens partie.

En terminant, je vous avertis, M. Major, je vous emprunterai bientôt, mot pour mot, la seconde entrée de votre carnet de 1998, ceci : "La perspective de ne plus compter pour grand-chose dans le milieu littéraire (que je remplacerai par "dans le milieu des médias") loin de m'être pénible me sera douce revanche si elle me permet de redevenir ce passant anonyme que j'ai toujours porté dans mon coeur comme un frère jumeau, sinon un alter ego."

Comme pour vous, ce sera presque vrai. »

mercredi 12 décembre 2012

Lorenzo

Jean BASILE (né Bezroudnoff), Lorenzo, Éditions du Jour, Montréal, 1963 (122 pages).

 Le nom de Jean Basile, dans Prendre le large d'André Major.

Une conférence qu'il a donnée autrefois, étais-je au collège ou à l'université ? à la fois oubliée mais présente; le sujet ? je ne saurais dire, mais je me souvient très bien d'avoir été séduit par l'homme, par son verbe. Petite recherche en ligne, quelques mots à peine dans l'Encyclopédie canadienne. Né en 1932, mort en 1992. Critique littéraire au Devoir : métier qui n'existe plus que dans le titre, l'époque n'en permet plus l'exercice, ni l'inculture officielle. Éditeur aussi, fondateur de Mainmise.


Quelques jours plus tard, de passage à ma librairie pour y prendre l'essai sur Aragon qui m'y attend, je m'offre le luxe de bouquiner. Sous les « B », Lorenzo de Jean Basile. 1963 : cinquante ans dans quelques semaines -- qui s'en souvient encore ? Premier roman d'un jeune homme d'origine russe récemment débarqué ici. Les Éditions du Jour, pas complètement massicoté, la page fragilissime tenant plus de la gaufre que du papier, qu'on prend le temps de lire, coupe papier à la main. Une belle typographie, comme je les aime et n'en vois plus guère, les signes de ponctuation haute étant précédés d'un demi espace et non, comme dans la typographie anglaise, agglutinés à la lettre qui précède, mais de bien étranges coquilles quand même : « Vous êtes-vous demandez ce que c'est que la vie ? », signe d'une certaine hâte -- déjà -- dans l'édition. Une sucrée odeur de poussière. La couverture criarde.

« Vous connaissez Basile » me demande le libraire ? Je m'embrouille dans une phrase modianesque d'explications torturées, déjà ma phrase écrite penche vers le labyrinthe, imaginez l'orale ! Et de me présenter un autre titre, fort cher, dans un édition originale.

Étrange jeu du temps : quatre-vingts ans (naissance), cinquante ans (premier roman) vingt ans (mort) font collision en ce début de décembre 2012. Oui, ce sont des moments Modiano : « Plus de passé, plus de présent, un temps immobile. », L'herbe des nuits. Certains se perdent dans les rues, pour moi, c'est dans les livres et ces moments que je me perds; ce qui, au vrai, constitue sans doute la seule manière par laquelle je pourrais jamais me trouver.

La quatrième de couverture (je reproduis la présentation originale) :
« LORENZO, sous l'habit d'un roman de moeurs et
parfois même de mauvaise moeurs, est cependant le
contraire d'une histoire. Jean Basile a semé à l'intérieur
d'un récit attrayant les clés de son monde. Au lecteur de
découvrir, à travers une foule de personnages
pittoresques ou touchants, le secret de la vie et de
la mort. Il y parviendra sans peine pourvu qu'il consente
à passer avec Jerry derrière la "porte bleue", cette porte
qui donne accès, ainsi que l'explique la
maîtresse des lieux, sur le "bordel de notre âme..." »

mardi 4 décembre 2012

Citation : la majorité silencieuse

Pierre FOGLIA, Une journée à Montréal, La Presse, 4 décembre 2012.

« TEXTO - Parlant de niaiseux, dans la rangée devant nous, il y avait une jeune femme, 20 ans peut-être, qui a passé une partie du spectacle [de Leonard Cohen]] à envoyer des textos. Elle ne me dérangeait pas, remarquez, juste la lueur de l'écran de son iPhone que j'accrochais du coin de l’œil, mais ça ne fait pas de bruit ni rien. La plupart du temps, ça ne fait pas de bruit du tout, la niaiserie, même que des fois on l'appelle la majorité silencieuse.»
Où il est également question de Leonard Cohen, de tel quartier de Montréal entre Peel et Atwater et de pâtisserie.