mercredi 24 août 2011

Citation : avec ces yeux-là !

À l'amie qui, à l'évidence, n'est ni oculiste, ni peintre.

« Chacun de nous ignore la couleur de l'iris de presque tous ses amis. L'oeil est regard : il n'est oeil que pour l'oculiste et pour le peintre. »
André MALRAUX, Les voix du silence.

mardi 23 août 2011

Vies de Job II



Pierre ASSOULINE, Vies de Job, Gallimard, Paris, janvier 2011 (491 pages).

Je n'avais pas pu, vous vous en souvenez peut-être, terminer la lecture de ce roman dans les trois semaines imparties. Le revoici donc à mon menu. En effet, à part la réserve dont j'ai fait part dans Vies de Job I, mais on ne rejette pas un livre uniquement parce que l'on ne partage pas entièrement les vues de son auteur, pas plus qu'on ne se brouille avec un ami pour la même raison, je m'étais laissé séduire par l'histoire de ce personnage de l'Ancien Testament -- on ne croit pas qu'il a réellement existé, mais qu'importe, le Quichotte non plus, ni Hamlet, mais dépourvus de vie, ils n'en sont pas moins très présents -- vivants en quelque sorte -- dans notre culture.

Je suis, cependant, assez contrarié d'avoir égaré mes notes de lecture, rien dans mon carnet de bord, il devait donc s'agir de feuilles volantes, lesquelles, on a beau dire que scripta manent, ont, justement, la propriété de voler, de s'envoler. Las : ou bien je reprends du début, ou bien, poursuivant, j'espère que la mémoire me reviendra.

Pour l'heure, il ne me reste qu'une petite cinquantaine de pages à La plaisanterie, de Milan KUNDERA, et je ne compte pas donner dans la frénésie qui, septembre venant, s'empare de l'édition avec la rentrée. Je compte déjà sept ou huit « LE » livre de la rentrée -- ils ne sont pas encore sur les étals en France, encore moins chez nous : c'est fou ce que l'unique est multiple si on a le travers de lire les gazettes. J'en ai néanmoins réservé un, Freedom, de Jonathan FRANZEN, qualifié par le New Yorker d'un des « vingts écrivains pour le XXIe siècle » -- excusez du peu : on est déjà tout intimidé à l'idée d'approcher le génie et de soulever la couverture.

dimanche 21 août 2011

Insomnie


Françoise SAGAN, La chamade, Julliard, Paris, 1965 (251 pages).

La lecture de nuit quand, sans raison apparente, on se réveille a peu à voir, pour moi, avec la lecture diurne. On hésite à allumer la lampe, laquelle précipite la veille. Se lever ? L'esprit demeure embrumé. Le ventilateur agite lentement la moiteur de l'air, le chat Ludo attiré par la lumière saute sur le lit. Je mets de la musique : du Rameau. Et je prends La chamade de Françoise SAGAN, demeuré sur la table de nuit depuis l'an dernier. La combinaison idéale : SAGAN, la nuit, la chaleur :
« Ils se disaient " je t'aime " dans le plaisir mais jamais autrement.
...
Elle aimait Antoine mais elle tenait à Charles, Antoine faisait son bonheur et elle ne faisait pas le malheur de Charles. Estimant les deux, elle ne s'intéressait pas suffisamment à elle-même pour se mépriser de se partager. Son absence complète de suffisance la rendait féroce, bref, elle était heureuse. »
L'insomnie appelle la légèreté du style. Dans ces conditions, on en vient presque à regretter l'endormissement. Le chat Ludo, lui, a déjà fermé les yeux.

jeudi 18 août 2011

La révolte des masses (fin)

Vous voudrez peut-être écouter l'émission de France Culture Répliques, d'Alain FINKIELKRAUT, où il est question de l'essai d'ORTEGA y GASSET.

France Culture, Répliques


La révolte des masses (suite)

José ORTEGA y GASSET, La révolte des masses, traduit de l'espagnol par Louis PARROT et Delphine VALENTIN, Les belles lettres, Paris, octobre 2010; titre original : La rebelion de las masas (1930) (314 pages).

La seconde lecture (il n'y en aura pas de troisième) de l'essai d'ORTEGA y GASSET n'a pas modifié mon avis : brillantes idées, mais que le chemin est tortueux. Je me demandais, d'ailleurs, en lisant le chapitre principal (Qui commande dans le monde) par quel esprit de masochisme je sacrifiais ces belles heures d'août quand tant d'autres livres m'attendent.

Quel défi pour mon sens de la synthèse, défi que je ne suis pas certain d'être parvenu à le relever adéquatement.

Un des deux points sur lesquels j'ai jugé utile de revenir est ce qu'ORTEGA appelle le commandement. Il ne s'agit pas, selon lui, du simple exercice du pouvoir matériel et, surtout, le commandement ne se base jamais sur la force, mais sur l'opinion publique :
« Jamais personne n'a commandé sur la Terre en puisant l'aliment essentiel de son commandement ailleurs que dans l'opinion publique. [...] Celui qui prétend gouverner avec des janissaires dépend de l'opinion des janissaires et de celles qu'ont sur eux les autres habitants. »
C'est dans ce chapitre que j'ai eu le seul vrai plaisir de lecture, l'auteur y citant le mot de TALLEYRAND à NAPOLÉON : « Avec des baïonnettes, Sire, on peut tout faire, sauf s'asseoir dessus. » En clair, pour s'exercer, le pouvoir doit être bien assis ! Les mouvements dans certains pays du Maghreb, du Proche-Orient et du golfe arabo-persique -- que les médias et tels experts ont qualifié de révolution -- en seraient l'illustration. Quid du cas de la Syrie, où la force du pouvoir s'abat sur les citoyens ? La réponse est simple : en l'espèce le pouvoir tire profit de la division du pays en plusieurs collectivités, d'où un morcellement de l'opinion publique : « Et comme la nature a horreur du vide, ce vide que laisse la force absente de l'opinion publique se remplit avec la force brute. » Piètre consolation pour les victimes de l'oppression, car pour l'heure, ce sont les baïonnettes qui font la loi...

Le second point sur lequel je souhaitais attirer l'attention du lecteur porte sur ce que nous appelons de nos jours « l'identité nationale ». ORTEGA y GASSET soutient que c'est un anachronisme, un non-sens historique, que de prétendre que ce sont des « valeurs » communes qui fondent les nations. Bien au contraire, les groupements humains échangent entre eux et parfois s'opposent violemment puis finissent par se fédérer, et de cet agrégat nait la nation, puis l'État -- au sens contemporain du terme :
« ... quelle force réelle a produit cette communauté de millions d'hommes sous la souveraineté d'un pouvoir public que nous appelons France, Angleterre, Espagne, Italie ou Allemagne ? Cette force ne fut pas une préalable communauté de sang, puisqu'en chacun de ces corps collectifs coulaient des sangs très divers. Ce n'a pas été non plus l'unité linguistique, puisque les peuples aujourd'hui réunis en un État parlaient ou parlent encore des idiomes différents. L'homogénéité relative de race et de langue dont ils jouissent -- à supposer que ce soit une jouissance -- est le résultat de la préalable unification politique. Par conséquent, ni le sang, ni l'idiome ne font l'État national; au contraire, c'est l'État national qui nivelle les différences originelles des globules rouges et des sons articulés. Et il en fut toujours ainsi. Rarement, pour ne pas dire jamais, l'État n'aura coïncidé avec une identité préalable de sang et de langage. Pas plus que l'Espagne n'est aujourd'hui un état national parce qu'on y parle partout l'espagnol, l'Aragon et la Catalogne ne furent des État nationaux, parce qu'un certain jour, arbitrairement choisi, les limites territoriales de leur souveraineté coïncidèrent avec celles du parler aragonais ou catalan. [...] toute unité linguistique ... est presque sûrement le précipité de quelque unification politique. L’État a toujours été le grand truchement. »
On me pardonnera cette longue citation, laquelle vous donnera une bonne idée du style qui m'a tant agacé, et encore, c'est un des passages les mieux articulés, mais il m'a semblé préférable de donner la parole à l'auteur plutôt que d'essayer de résumer.

Cela dit, il est clair que cette position est (encore) à contre courant de la doxa actuelle en matière d'identité nationale. Son application à la question québécoise pourra, à l'évidence, lancer un beau débat : mais qui est en mesure de penser « en dehors de la boîte », comme on dit dans les beaux milieux de notre intelligence collective ?

dimanche 14 août 2011

La révolte des masses

José ORTEGA y GASSET, La révolte des masses, traduit de l'espagnol par Louis PARROT et Delphine VALENTIN, Les belles lettres, Paris, octobre 2010; titre original : La rebelion de las masas (1930) (314 pages).
Signalons d'entrée la belle préface, La vie comme exigence de liberté, de José Luis GOYENA qui explique la genèse de la prophétie orteguienne, la replace dans son contexte historique et permet de mieux comprendre en quoi elle fut -- et demeure -- autant controversée qu'incomprise.

De toutes les métaphores, la sportive est celle avec laquelle je me sens le moins familier n'étant pas de ceux qui s'agitent, en public ou en privé, devant les exploits physiques d'athlètes devenus des héros. Il n'en reste pas moins que c'est l'image d'un combat de boxe que j'avais présente à l'esprit pendant la lecture de l'essai d'ORTEGA y GASSET. Un combat de quinze rounds -- un pour chacun des chapitres -- entre le livre et moi, qui se sera terminé sur un verdict nul.

Ce commentaire découle davantage de la forme que du fonds -- non que certaines des thèses d'ORTEGA ne soient critiquables. Certes, on appréciera la clarté de l'énonciation des thèses de l'auteur, lesquelles sont par ailleurs bien résumées de chapitre en chapitre, mais le ton qui fait dans la conférence -- et même un peu professoral -- pourra agacer. Comme pourra surprendre un certain vocabulaire, notre époque étant habituée à l'euphémisme : ici on appelle un chat, un chat :
« ... une des caractéristiques de notre temps est la prédominance de la masse et du médiocre [...]. Dans la vie intellectuelle qui requiert et suppose, par son essence, le discernement de la qualité, on remarque le le triomphe progressif des pseudo-intellectuels non qualifiés, non qualifiables, et que la contexture même de leur esprit disqualifie. »
Entrons maintenant dans le livre :

Le XIXe siècle a, selon l'auteur, vu la naissance d'un type d'homme nouveau qu'il appelle l'homme-masse : moins une classe sociale, au sens où on l'entend en politique, qu'une « manière d'être qui se manifeste aujourd'hui dans toutes les classes sociales, et qui est par là même représentative de notre temps, sur lequel elle domine et règne ». Cet individu moyen est symbolisé par le senorito satisfait -- un enfant gâté en quelque sorte--, qui s'appuie sur ses droits et ne se reconnaît aucune obligation, fier de sa médiocrité, égal à chacun et inférieur à nul autre. Et faute de « commandement » -- on écrirait sans doute leadership ou gouvernance de nos jours -- cet individu sans qualité « s'abandonne à un scandaleux provisoire », la société d'hyper consommation, tombe dans le jeunisme, les jeunes ayant tous les droits, et, sur le plan politique, s'abandonne à un nationalisme étroit et dangereux, car il dresse les nations les unes contre les autres, certes, mais aussi chacun contre chacun.

Droite et gauche (dans leurs formes extrêmes) sont renvoyées dos à dos :
« Si l'homme actuel se présente comme réactionnaire ou antilibéral, ce sera pour pouvoir affirmer que le salut de la patrie, de l'État, l'autorise à violer toutes les autres lois, et à écraser son prochain, surtout si celui-ci possède une personnalité vigoureuse. Mais il en est de même s'il se présente comme révolutionnaire : son enthousiasme apparent pour l'ouvrier manuel, le misérable et la justice sociale lui sert de déguisement pour feindre d'ignorer tout obligation -- comme la courtoisie, la sincérité et surtout, surtout, le respect et l'estime dus aux individus supérieurs. »
J'imagine que certains sourcils, à ces lignes, se froncent.

Ne nous y trompons pas, ORTEGA était, selon les critères actuels, de gauche et appelait la démocratie de tous ses vœux (rappelons que l'Espagne vivait, en 1930, était encore une monarchie, et sortait tout juste de la dictature du général Primo de Rivera), mais sans doute pas une démocratie égalitaire, ce qui explique aussi sa grande méfiance envers le libéralisme économique. Un peu comme TOCQUEVILLE, il se méfiait des possibles dérives d'une démocratie où l'égalité des citoyens se confond avec celle des droits. Il appelait aussi une Europe fédérée sinon unifiée, laquelle revendiquerait le « commandement » -- le leadership moral -- du monde libre. C'est sur ce point que l'on peut qualifier, certains le font, ses idées de prophétiques.

Ne voulant pas, cher lecteur, vous assommer, je reviendrai dans le prochain article sur deux autres idées développées par ORTEGA dans son ouvrage, l'identité nationale et les dictatures.


samedi 13 août 2011

Retard

José ORTEGA y GASSET, La révolte des masses, traduit de l'espagnol par Louis PARROT et Delphine VALENTIN, Les belles lettres, Paris, octobre 2010; titre original : La rebelion de las masas (1930) (314 pages).

Voici plusieurs que je peine à rédiger un article sur ce très intéressant essai. Intéressant, mais d'une lecture difficile : j'y reviendrai.

Mai je ne suis pas (tout à fait) oisif cependant. J'ai beaucoup de plaisir à lire La plaisanterie de Milan KUNDERA dans sa version « définitive » de la Pléiade : j'y reviendrai également.


Et enfin, je poursuis, avec un train de sénateur, l'excellent Les jardins statuaires de Jacques ABEILLE.

mardi 9 août 2011

Façons de lire, manières d'être


Mireille MACÉ, Façons de lire, manières d'être, NRF essais - Gallimard, Paris, 2011 (288 pages).

Encore dans la série « des livres sur les livres ». À la vérité, l'émission Répliques , où l'auteur discutait avec Olivier ROLIN et Alain FINKIELKRAUT, m'a davantage intéressé que le livre que, je l'avoue, je n'ai fait que parcourir; il faut dire que j'affrontais en même temps l'essai La révolte des masses de Jose ORTEGA y GASSET, et que je me suis senti un peu rebuté par le côté thésard de l'ouvrage. Peut-être en ira-t-il autrement avec vous ?

Présentation de l'éditeur :
« La lecture est l'une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons un aspect, une saveur et même un style à notre existence.
« J’allais rejoindre la vie, la folie dans les livres. (…) La jeune fille s’éprenait de l’explorateur qui lui avait sauvé la vie, tout finissait par un mariage. De ces magazines et de ces livres j’ai tiré ma fantasmagorie la plus intime… » Lorsque le jeune Sartre lève ainsi une épée imaginaire et se rêve en héros après avoir lu les aventures de Pardaillan, il ne fait rien de très différent de ce que nous faisons tous quand nous lisons, puissamment attirés vers des possibilités d’être et des promesses d’existence. C’est dans la vie ordinaire que les oeuvres se tiennent, qu’elles déposent leurs traces et exercent leur force. Il n’y a pas d’un côté la littérature, et de l’autre la vie, dans un face-à-face brutal et sans échanges qui rendrait incompréhensible la croyance aux livres, un face-à-face qui ferait par exemple des désirs romanesques de Sartre (ou de la façon dont Emma Bovary se laisse emporter par des modèles) une simple confusion entre la réalité et la fiction, et par conséquent un affaiblissement de la capacité à vivre. Il y a plutôt, dans la vie elle-même, des formes, des élans, des images et des styles qui circulent entre les sujets et les oeuvres, qui les exposent, les animent, les affectent.
Dans l’expérience ordinaire de la littérature, chacun peut ainsi se réapproprier son rapport à soi-même, à son langage, à ses possibles : car les formes littéraires se proposent dans la lecture comme de véritables formes de vie, engageant des conduites, des démarches, des puissances de façonnement et des valeurs existentielles. »



lundi 1 août 2011

Citation - Hector BIANCIOTTI

« Nous vivons, nous nous affairons, nous espérons, nous apportons, diligents, jour après jour, des brindilles à l'insatiable fourmilière; nous aimerions laisser une trace, transmettre quelque chose avant que la mort ne nous cueille. Nous vivons, mais nous ne sommes pas. La vérité nous échappe, elle nous nargue, elle est tellement plus vaste que la réalité. »

Hector BIANCIOTTI, Seules les larmes seront comptées, Gallimard, Paris, 1988 (366 pages).