lundi 30 janvier 2012

La grandeur - Saint-Simon

Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon
Jean-Michel DELACOMPTÉE, La grandeur - Saint-Simon, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, novembre 2011 (223 pages).

Voici déjà que je déroge à mon plan de lecture pour une excursion dans le temps, vers mon cher Grand Siècle, tel que nous le font voir, grâce à Michel Delacomptée, les Mémoires duc de Saint-Simon. Temps révolus, mais non point perdus : l'auteur nous offre un aperçu du règne de Louis XIV et de la Régence tel que composé par Saint-Simon, un témoin capital de l'époque, bien que retiré des affaires, comme récit de la grandeur perdue -- déjà un déclinologue -- de la France, décadence dont celui-ci rend le Roi Soleil responsable, lequel, toujours selon lui,  n'a pas été le grand monarque que l'on croit et aurait, manqué à son devoir de souverain en dilapidant l'héritage reçu de Louis XIII.

Louis XIV qui aurait dévoyé l'idée de grandeur, laquelle n'est ni la recherche de la gloire personnelle, ni l'étalage de biens accumulés -- fut-ce sous forme de châteaux grandioses, mais bien « une grandeur d'exigence éthique et vertueuse », comme le signale l'auteur dans l'émission Les nouveaux chemins de la connaissance. Louis XIV aurait, avant l'heure, été un grand narcissique... Ce qui, selon le petit duc, n'était pas le moindre des défauts du roi, qui aurait perverti, au mépris des lois du Royaume -- ce qu'on nomme de nos jours la constitution -- la fonction royale -- la monarchie dite absolue --, oubliant qu'il était le dépositaire, au nom de Dieu, du pouvoir, en ayant l'audace de se considérer, sur le plan temporel, comme l'égal de Celui-ci. D'où sa scandaleuse volonté de légitimer ses nombreux bâtards, de les inscrire dans la ligne de succession, et, honte suprême, de leur donner préséance sur l'illustre et antique sang du Royaume : les ducs et pairs. Il se serait par ailleurs agi en despote -- on dirait aujourd'hui « dictateur » -- en abdiquant, son pouvoir entre les mains de ministres qui n'étaient pas « nés », c'est à dire issus de la lie du peuple, « mus par l'appât du gain et la promotion de leur famille », qui étaient du fait des rivalités et des intrigues assujettis à son bon vouloir, c'est à dire à son caprice, et aussi à celui de l’infâme Maintenon :
« ... dont la boue natale suintait par tous les pores, transformée, d'une Mme Scarron insinuante et galante, en la gouvernante des bâtards du Roi, de gouvernante des bâtards du Roi en sa séductrice aux charmes usagés, de sa séductrice en favorite secrètement épousée, d'épouse morganatique en reine omnipotente, et de reine aux engouements versatiles en dévote qui se croyait une Mère de l'Église. » 

Delacomptée s'interroge en outre sur la genèse des Mémoires, sur les raisons qui ont, pour parler contemporain, poussé un has been de la politique, duc et pair du Royaume, a reprendre vers 1739, quarante ans plus tard, son projet de témoigner de son époque, lui qui n'avait rien publié (l’œuvre ne le sera que longtemps après sa mort) et dont l'attention, jusque là, portait surtout sur l'histoire de sa famille et celles des autres grandes familles de la noblesse et un Parallèle des règnes des trois premiers Bourbons.

Il faut rappeler que ces mémoires constituent un des monuments de la littérature française, que ce n'est pas un écrivain professionnel qui en est l'auteur. Une oeuvre qui allait assurer sa survie bien plus que son rôle politique sous la Régence :
« Survie non par l'exactitude des faits rapportés, encore moins par l'enseignement dispensé aux conducteurs du peuple, mais par l'incommensurable regard jeté sur la cour de France et, tout autant, par ce qu'il évoque avec un zeste de coquetterie, à l'extrémité des Mémoires : son style. "Je ne fus jamais un sujet académique; je n'ai pu me défaire d'écrire rapidement." Il n'a pu rendre son style "plus correct et plus agréable", et il demande "une bénigne indulgence". »
  Ultime citation, sur cette fameuse langue de Saint-Simon, dont on retrouve les traces depuis Stendhal jusqu'à Proust :
« C'est une langue foncièrement libérée des régents de collège, humorale, cravachée, pétulante, gonflée d'excès rageurs, boursouflée d'hyperboles, de métaphores farouches, d'incidentes à rallonges, dont le déferlement catapulte des adjectifs énormes dans des rafales de verbes qui se bousculent avec l'énergie d'une épopée sauvage. [...] Des expressions lui remontent des périodes où vivaient ses aïeux, d'autres lui arrivent directement de la sienne, il en crée, il en recompose, registres de toutes sortes par une fidélité absolue à la langue française dans l'intégralité de ses différentes couches, dans l'étendue intemporelle d'une naissance toujours actuelle et jamais terminée, jamais déterminée non plus par l'âge de son écriture, qui l'enfermerait. C'est une langue qui ne renie rien. »
On n'est pas loin du pastiche... mais c'est si bien tourné ! J'aimerais vous en donner des exemples de cette langue de Saint-Simon, notamment certains des portraits où rarement une plume aura été plus juste, mais ce serait dépasser le cadre que je m'impose pour mes billets. Je compte néanmoins y revenir, pour vous parler de ma propre rencontre avec Saint-Simon il y a maintenant une bonne trentaine d'années. Mais en attendant, l'essentiel est que vous n'hésitiez pas à suivre le guide Delacomptée.
La Ferté Vidame, le château du temps de Saint-Simon

Présentation de l'éditeur :
« Saint-Simon vivait entouré de tableaux. Ils peuplaient par  dizaines les murs de son château, portraits de famille, portraits de Louis XIII encadrés dans les boiseries, fixés au-dessus des glaces, peints sur toile, peints sur bois, en estampes, buste de Louis XIII sur un piédestal, la tête en cire ceinte d'une couronne en cuivre, portraits de Mme de Saint-Simon, de Rancé, du duc d'Orléans, du cardinal de Fleury, du cardinal de Noailles, du cardinal Dubois devant la chaise percée, et, dans une chambre au premier étage ayant vue sur le parc, du feu duc de Saint-Simon et de la feue duchesse, sans autres précisions, le duc Claude et Charlotte la mère, ou Diane sa première épouse. Saint-Simon n'apparaît jamais, aucun tableau de lui. »

Citations

Toujours à propos du livre de Pierre Bayard, Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? :
« On connaît le monde sans pousser la porte.
On voit les chemins du ciel sans regarder par la fenêtre.
Plus on va loin, moins on apprend. »
Lao tseu

« [...] l'anecdote que je me remémore est liée à André Gide, au tout jeune Gide qui venait d'écrire Le Voyage d'Urien (1893), dont la dernière partie avait fait l'objet d'un tiré à part au titre séduisant, Voyage au Spitzberg. On raconte qu'un jour il alla voir son protecteur admiré, Mallarmé, et lui en donna un exemplaire. Mallarmé le regarda d'un air désarçonné. Comme le titre le suggérait, il avait cru qu'il s'agissait d'un voyage réel. Quand, quelques jours plus tard, il revit le jeune Gide, il lui dit : " Ah, comme vous m'avez fait peur ! Je craignais que vous ne soyez allé là-bas pour de vrai ! »
Enrique Vila-Matas, Le monde des livres, 27 janvier 2012.




Rédigé sur mon iPad.

Abondance

Après un calme début d'année, voici que la semaine dernière, la bibliothèque et la libraire sollicitent mes heures de lecture par une nombreuse arrivée de titres, souvent attendus depuis des mois. La priorité ira, comme il se doit, à ceux de la bibliothèque, mais, me connaissant, j'aurai la plus grande peine à m'y tenir.

Je mènerai donc de front la lecture des deux essais et du roman -- déjà bien entamé -- qui suivent :
  • Alain FINKIELKRAUT, Et si l'amour durait, Stock.
  • Dany-Robert DUFOUR, L'individu qui vient... après le libéralisme, Denoël.
  • Juan FILLOY, Op Oloop, Monsieur Toussaint Louverture.
Voici qui va retarder mon retour sur Marguerite Duras, dont la Pléiade devra attendre quelques semaines.

De ces titres, l'essai de Dany-Robert Dufour m'intéresse au plus haut point, et que j'ai demandé à la bibliothèque après avoir entendu l'auteur, le 4 novembre 2011, dans le cadre de l'émission Les nouveaux chemins de la connaissance de France Culture, que je vous invite à écouter. Le philosophe nouspropose de réfléchir sur la résistance à opposer au néolibéralisme, qu'il qualifie de totalitarisme, en faisant appel à un humanisme semblable à celui vécu à la Renaissance , ce qui nous permettrait d'accéder à un individualisme « sympathique » -- il affirme que le monde occidental n'est pas, contrairement à ce que l'on affirme partout incessamment, individualiste, mais égoïste et grégaire : « Une utopie de plus ? Plutôt une façon souhaitable mais aussi réalisable, face à la crise actuelle, de se diriger vers une nouvelle Renaissance, qui tiendrait les promesses oubliées de la première. » Disons d'entrée de jeu que la lecture de l'introduction constitue une excellente entrée en matière et qu'il me tarde de pénétrer plus avant dans l'essai.

samedi 28 janvier 2012

Pourquoi Venise ?

Tant qu'à voyager depuis son salon, ou quelqu'autre pièce de son home, peut-être voudrez vous ne pas manquer telle ou telle des quatre émissions des Nouveaux chemins de la connaissance, sur France Culture, Pourquoi Venise ?

La série se décline sur les thèmes suivants : Venises de Paul Morand, Le regard de Philippe Sollers, Proust, un amour de Venise et Mourir à Venise : de Thomas Mann à Visconti. On pourra s'agacer du babil suffisant de Philippe Sollers, il n'en est pas moins fascinant, mais on préférera, vous reconnaîtrez mon penchant naturel, le volet Proust, brillamment présenté par Jean-Yves Tadié, le directeur de l'édition de la Recherche de la Pléiade.

En prime, si vous écoutez l'épisode sur Paul Morand, vous aurez, dans le Journal des Nouveaux chemins, une entrevue avec Pierre Bayard sur son essai Comment parler des lieux que l'on n'a pas vus.

vendredi 27 janvier 2012

Comment parler des lieux où l'on n'a pas été

Pierre BAYARD, Comment parler des lieux où l'on n'a pas été, Paradoxe - Éditions de Minuit, Paris, janvier 2012 (158 pages) -- support papier et électronique.

Vous ne pouvez pas, lecteur, imaginer ma joie quand, ouvrant hier le Monde de vendredi (bizarre, mais c'est ainsi, le Monde daté d'un jour parait la veille) à la page du Cahier des livres le commentaire d'Enrique Vila-Matas sur le nouvel essai de Pierre Bayard. Moi qui, reprenant le titre d'une chanson de Gilles Vigneault, me disais « voyageur sédentaire », je vais pouvoir désormais me qualifier, sans honte aucune, de « voyageur casanier ». J'eusse aimé y penser.

Et de me précipiter, le livre n'arrivera chez nos libraires, contrairement à Malbrough ni z'à Pâques, ni à la Trinité -- imaginez à la bibliothèque --, à la page de ma librairie virtuelle pour y télécharger l'extrait gratuit que je me fais une joie de partager, pour partie, avec vous. Vous noterez au passage que mon dernier billet constitue ex ante facto, si j'ose dire, un exemple indiqué puisque, fort de ma lecture du livre de Jean-Marie Laclavetine, je puis désormais vous entretenir mieux que quiconque de la Touraine, de ses ciels, et de ses vins (on en trouve même, vérification faite, quelques uns à la SAQ).

La belle ouvrage que voilà, et qui me fournit enfin le justificatif littéraire que je cherchais depuis longtemps à mes réserves à toute forme de transhumances touristiques.

Merci, ô fier Bayard.
« Les inconvénients des voyages ont été suffisamment étudiés pour que je ne m’attarde pas sur ce sujet. Démuni face aux animaux sauvages, aux intempéries et aux maladies, le corps humain n’est à l’évidence nullement fait pour quitter son habitat traditionnel et moins encore pour se déplacer dans des
terres éloignées de celles où Dieu l’a fait vivre.

» Mais les dangers des voyages ne s’arrêtent pas là. À trop se fixer sur leurs inconvénients physiques, on perd de vue les perturbations psychologiques qu’ils peuvent susciter. Après les travaux de Freud et d’autres psychiatres qui ont étudié les différents syndromes du voyageur, nous savons aujourd’hui que partir loin de chez soi est non seulement susceptible de provoquer des troubles psychiques, mais peut même conduire
à devenir fou. [...]

 » Il importe ici d’apporter immédiatement une précision majeure et de lever toute ambiguïté. Si ce livre s’inscrit dans la succession de tous ceux qui dénoncent les méfaits des voyages, il ne le fait nullement au nom du sentiment, partagé par de nombreux auteurs, que, tous les lieux s’équivalant, il est inutile de prendre la peine de partir à leur découverte.

» Cette thèse a été rendue populaire par un célèbre poème de Baudelaire, « Le voyage » – où figure le vers fameux « Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! » –, dans lequel le poète développe la thèse selon laquelle la rencontre des pays étrangers ne produit que l’ennui et laisse le voyageur, au terme de son périple, confronté au vide angoissant de sa propre personne.

» Ma conviction est tout à fait différente. Contrairement à Baudelaire, dont les propos sont empreints d’une forme d’européocentrisme et ne témoignent pas en tout cas d’une grande curiosité intellectuelle, tous les pays et toutes les cultures que j’ai eu l’occasion de rencontrer m’ont personnellement beaucoup enrichi et je n’ai jamais regretté d’avoir fait l’effort de m’y intéresser.

» La question n’est donc nullement de savoir ce qu’apporte la connaissance de lieux étrangers, dont la fréquentation ne peut qu’être bénéfique à toute personne ayant l’esprit ouvert. Elle est de savoir si cette fréquentation doit se faire directement ou s’il n’est pas plus sage de la pratiquer sous d’autres formes que celle du déplacement physique. » [...]

» De ces considérations générales se dégage un plan logique. Je commencerai dans une première partie par rappeler les différents types de non-voyage auxquels ont eu recours toute une série d’écrivains et de penseurs peu soucieux, pour rencontrer les cultures étrangères qu’ils désiraient connaître et décrire, de s’éloigner de leurs bases.

» Dans une seconde partie, je me propose d’évoquer un certain nombre de situations concrètes dans lesquelles nous pouvons nous trouver contraints de parler de lieux où nous ne sommes jamais allés. Ces situations sont en fait beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pense, d’où l’intérêt de les examiner
avec soin et de les étudier dans leur singularité, attentifs à leur complexité individuelle et à la diversité des solutions qu’elles appellent.

» J’en viendrai dans une troisième partie, en me fondant sur mon expérience personnelle, mais surtout sur celle de nombreux autres voyageurs casaniers, à donner quelques conseils
pratiques à ceux qui, désireux de rencontrer des cultures étrangères, ont compris que ce n’est pas en courant le monde à leurs risques et périls qu’ils ont le plus de chance de s’enrichir intellectuellement. »

Présentation :
« L’étude des différentes manières de ne pas voyager, des situations délicates où l’on se retrouve quand il faut parler de lieux où l’on n’a pas été et des moyens à mettre en oeuvre pour se sortir d’affaire montre que, contrairement aux idées reçues, il est tout à fait possible d’avoir un échange passionnant à propos d’un endroit où l’on n’a jamais mis les pieds, y compris, et peut-être surtout, avec quelqu’un qui est également resté chez lui. »
Jean-Marie LACLAVETINE, Au pays des fainéants sublimes : Voyage en Touraine avec un ami photographe, Le sentiment géographique - Gallimard, octobre 2011 (226 pages).

Après le minéral et maritime voyage en Bretagne avec Pascal Quignard, aussi économe en mots qu'ardent en sentiments, j'ai accueilli sans déplaisir celui langoureux en terre de Touraine, qui commence à table les pieds dans l'eau, avec comme guide Jean-Marie Laclavetine, dans ce petit pays d'histoire et de bons vins, on y rencontre Rabelais et Balzac, grâce à qui j'ai été invité à une chasse au sanglier et à faire les vendanges, en plus de nombreuses et festives soirées, qu'il me serait facile de qualifier de gargantuesques, le long de la Loire et de plusieurs de ses affluents. Je m'y suis vu, sans mentir, en un nouvel Alexandre le Bienheureux. Et oublieux de ces jours si changeants de nos hivers, et des perpétuelles -- et lassantes -- jérémiades, nous ne sommes qu'en janvier, imaginez avril -- des piétons et conducteurs, ni trottoir ni rue ne permettant de se déplacer sans un luxe de précautions, luxe qu'on aimerait déployer en toute autre chose vous l'aurez compris.

Je me suis aussi donné le plaisir, moins cérébral que celui offert par la viole de M. de Sainte Colombe, lequel a accompagné ma lecture du roman de Pascal Quignard, les diverses suites orchestrales, tirées des opéras de Jean-Philippe Rameau, présentées par Jordi Savall, d'une part, et Nicholas McGegan.

Présentation
« En compagnie d’un ami photographe, Jean-Marie Laclavetine a vagabondé durant des mois sur les routes de Touraine. Ils ont suivi le cours des rivières, longé le fleuve sauvage, arpenté les rues et les ruelles des villes royales, interrogé la riche mémoire de cette terre d’écrivains. Ils sont allés à la rencontre des « fainéants sublimes » dont parle Balzac, habitants d’un pays où le temps ne passe pas à la même vitesse qu’ailleurs. Le récit de ce vagabondage est plein d’ironie, d’anecdotes cocasses, de visions surprenantes, mais aussi de réflexions sur l’esprit des lieux, qui nous habitent davantage que nous ne les habitons. Parution liée à celle de l’album Voyage sur une feuille de vigne, dans la collection « Lieux et écrivains », qui propose une version abrégée du texte et les photos de Jean-Luc Chapin. »
 Mais avoir su, quitte à ne profiter que d'un commentaire abrégé, et celui de Laclavetine est toujours d'une plume très fine -- et sage --, j'aurais préféré la version « avec les images » :

Jean-Marie LACLAVETINE et Jean-Luc CHAPIN (photos), Descente au paradis, Gallimard, octobre 2011 (140 pages).

Présentation :
« Le département d’Indre-et-Loire a la forme prédestinée d’une feuille de vigne, suivant à peu près les limites de l’ancienne Touraine. Le livre propose le récit du vagabondage de deux amis, le photographe et l’écrivain, à travers les paysages du « jardin de France » cher à Rabelais. Le voyage suit le fil conducteur des rivières. Il commence les pieds dans l’eau : tous les ans, à la même date en été, trente ou quarante personnes (sans compter les enfants, les chiens et les écrevisses) se rassemblent pour un déjeuner dans la rivière, hors du temps et de ses fatigues. Dans cette scène s’exprime précisément le tempérament des Tourangeaux, ces « fainéants sublimes » dont parle Balzac, habitants d’un pays où le temps ne passe pas à la même vitesse qu’ailleurs : ils ont gardé de la longue fréquentation des rois un esprit agile et goguenard, et l’habitude de n’en penser pas moins.
» La promenade se poursuit le long des rivières, à travers les forêts, les villes et les vignobles (la Loire est aussi un fleuve de vins, et la figure du vigneron exprime avec une intelligence particulière l’esprit ligérien), ponctuée de haltes chez les pêcheurs, paysans, techniciens, cuisiniers, libraires, artistes, vignerons, citadins ou ruraux, qui donnent vie à ces lieux. Le ton du livre est celui d’une flânerie légère et attentive, volontiers ironique, mettant souvent en scène les deux voyageurs, nourrissant le récit d’anecdotes, de souvenirs, de pensées furtives, d'évocations littéraires. Les photos de Jean-Luc Chapin proposent une vision personnelle et intense des lieux, des monuments, des gens.»

mercredi 25 janvier 2012

Quignard, post scriptum

Pascal Quignard, Tous les matins du monde, Gallimard, Paris, 1991 (135 pages) -- aussi disponible en Folio.
Benoît Vincent, Le revenant (sur Pascal Quignard), éditions publie.net, sur support électronique.


Lectures accessoires à celle du récent roman de Quignard, Les solidarités mystérieuses; tout d'abord, Tous les matins du monde, roman qui date de vingt ans déjà et dont l'adaptation au cinéma, par Alain Corneau, a, nul doute, fortement contribué à faire connaître l'auteur; un essai, Le Revenant (sur Pascal Quignard), de Benoît Vincent qui m'aide, rétrospectivement, à mieux saisir un auteur dont, je l'avoue, l’œuvre n'est pas toujours facile d'accès.

Il arrive que notre mémoire s'égare -- affaire d'âge, selon la crainte des vieillissants, volens nolens, poupons de la guerre, pour lesquels sénescence est synonyme de sénilité, ou encore d'inconscient, si l'on regarde du côté de Freud --, la mienne, s'agissant de la lecture, n'y échappe pas. Accoutumé à prendre des notes sur un carnet ou une tablette informatique, j'ai perdu l'habitude de me fier à ma mémoire, laquelle devient paresseuse, chacun le sait bien, et me voici fort dépourvu si je n'ai pas l'un ou l'autre sous la main. Ainsi, j'ai perdu la trace d'une phrase qui me sembla fort belle, et susceptible d'être citée céans, en dépit de ma certitude de la retrouver autour de la page 120, du côté gauche. Rien n'y fit, lecture ni relecture. Envolée donc. Elle m'avait fait penser à la phrase extraite du roman dont elle est, pour partie, le titre, et que j'avais alors beaucoup aimée : « Tous les matins du monde ne se ressemblent pas. ». Erreur, car elle se lit comme il suit : « Tous les matins du monde sont sans retour. » Ce qui est d'une toute autre eau. Mes souvenirs n'offrant, somme toute, qu'une variante de la célèbre « After all, tomorrow is another day » de Scarlett O'Hara, au lieu que celle de Quignard, poignante, atteste qu'on ne peut revenir sur le passé et que  « Chaque aube défait le contemporain » commente Benoît Vincent dans son essai.

L'informatique m'a, par ailleurs, permis de découvrir la première occurrence de cette belle phrase, le moteur de recherche de ma liseuse me révélant qu'elle est l'incipit du premier volume des Petits traités, ce dont je ne me souvenais pas, et que j'ai pu parcourir à nouveau avec autant de plaisir : pourrait-on parler de lecture gigogne ?

Quoiqu'il en soit, j'ai redécouvert M. de Sainte Colombe, et constaté combien lui et la Claire des Solidarités mystérieuses ont, s'agissant de l'amour, des vues communes. Et, par parenthèse, de retrouver la musique de celui-ci interprétée par Jordi Savall.
« Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse.
Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura :
- Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids.»

lundi 23 janvier 2012

L'élimination

Rithy PANH, avec Christophe BATAILLE, L'élimination, Grasset, Paris, janvier 2012 (336 pages). Support papier + EPUB.

Comme ce livre n'arrivera pas sur nos rives avant plusieurs semaines (mois...), j'ai téléchargé sur ma liseuse Kobo l'extrait gratuit (vingt pages) disponible à partir de la page de la librairie ePagine.

J'ai vécu un an au Cambodge dans les années quatre-vingt dix, j'ai vu le centre de torture, le camp S21, dont il est question, les ossuaires. On ne peut pas comprendre, j'hésitais à poser des questions à mes collègues de travail, à mon professeur de Khmer, à mes voisins. On me demandait souvent, quand on me rencontrait, si j'avais encore mes parents, « vous êtes chanceux » répliquait-on à ma réponse affirmative. J'en ai su à peine plus de Som Saumuni, mon professeur de Khmer. Je n'ai pas pu en demander davantage. Mais je sais que, en vertu de la politique de réconciliation nationale, plusieurs cadres ou fonctionnaires du régime étaient encore et toujours au sein de l'administration, mêlés au sein de la population.

Il y avait déjà eu Le portail de François BIZOT, prisonnier des Khmers rouges pendant trois mois en 1971, qui raconte sa détention et sa rencontre avec Duch, qui sera le responsable du camp S21.  

L'élimination est notamment le récit de la rencontre de Rithy PANH avec le bourreau de milliers de Khmers.

« Duch me dit de sa voix douce : " À S21, c'est la fin. Plus la peine de prier, ce sont déjà des cadavres. Sont-ils des hommes ou des animaux ? C'est une autre histoire" »

« Les prisonniers ? c'est comme un bout de bois. [...] On n'a pas peur de leur faire du mal. On n'a pas peur pour notre karma. »
Présentation
« "A douze ans, je perds toute ma famille en quelques semaines. Mon grand frère, parti seul à pied vers notre maison de Phnom Penh. Mon beau-frère médecin, exécuté au bord de la route. Mon père, qui décide de ne plus s'alimenter. Ma mère, qui s'allonge à l'hôpital de Mong, dans le lit où vient de mourir une de ses filles. Mes nièces et mes neveux. Tous emportés par la cruauté et la folie khmère rouge. J'étais sans famille. J'étais sans nom. J'étais sans visage. Ainsi je suis resté vivant, car je n'étais plus rien."

» Trente ans après la fin du régime de Pol Pot, qui fit 1.7 millions de morts, l'enfant est devenu un cinéaste réputé. Il décide de questionner un des grands responsables de ce génocide : Duch, qui n'est ni un homme banal ni un démon, mais un organisateur éduqué, un bourreau qui parle, oublie, ment, explique, travaille sa légende.

» L'élimination est le récit de cette confrontation hors du commun. Un grand livre sur notre histoire, sur la question du mal, dans la lignée de Si c'est un homme de Primo Levi, et de La nuit d'Elie Wiesel. »
Philip ROTH, Le rabaissement, traduit de l'anglais par Marie-Claire PASQUIER (The Humbling 2009), Du monde entier - Gallimard, Paris, septembre 2011 (128 pages) Papier + électronique.

Il ne peut y avoir plus différent comme personnage que ceux de Le rabaissement de Roth et de Solidarités mystérieuses de Quignard. Et comme style, ces deux romans: le premier au réalisme psychologique, le second au minimalisme allusif.

Roman construit en trois actes -- le protagoniste n'est-il pas comédien ? que je qualifierais volontiers de tragi-comédie, on est chez Roth après tout. Et très bref.

Que reste-il au comédien qui doute de son talent ? Le mentir ne produit plus de vrai, l'illusion n'est plus crédible. On verra pourtant que Simon Axler n'arrivera ni à trouver « sa » vérité ni à quitter le masque de l'illusion. Ne pouvant plus jouer sur scène, sa vie entière se transforme en mauvaise pièce, et lui en médiocre interprète de lui-même. Pourrait-on y voir une métaphore que Roth nous offrirait pour déguiser ses propres doutes quant à son art ? pourquoi donner dans un psychologisme facile : il vaut mieux se regarder dans la glace qu'il nous tend et se demander qui est ce personnage que l'on y voit.

Présentation :
« Avec ce roman, Philip Roth poursuit sa méditation sur la vieillesse, la mort et la sexualité , seule capable de rendre à l’être vieillissant un semblant de vigueur. Simon Axler est l’un des acteurs les plus connus et les plus brillants de sa génération : une gloire célébrée jusque dans les provinces reculées. Il a maintenant 65 ans, il a perdu son talent, son assurance, la magie qui, tel Prospero, dans La Tempête, le faisait vivre. Axler n’arrive plus à croire en ses rôles, en lui-même, en la vie qui s’en va. Il se regarde être un acteur, un mauvais acteur de surcroît. Ce sentiment d’extériorité le mène à la dépression ; sa femme le quitte, son public aussi, et son agent, un vieillard de 80 ans, ne peut plus rien pour lui, pas même le convaincre de retourner en scène. Obsédé par le suicide, Axler entre à l’hôpital psychiatrique, ce qui accroît son impression d’échec et d’humiliation. Mais Axler va rencontrer, coup de théâtre, une jeune lesbienne, Pegee, qui pourrait être sa fille (il a été très proche de ses parents, acteurs eux aussi, mais acteurs ratés) ; elle va lui inspirer une passion érotique et, ainsi, le ramener à la vie, au sexe, le seul remède. Cependant, loin d’avoir transformé Pegee comme il le croyait, loin d’avoir été son Pygmalion et de l’avoir comblée, Axler s’est nourri d’illusions, creusant ainsi son propre malheur. Car Pegee, l’amoureuse des femmes, reste surtout fidèle à un père possessif. Un roman fort et intense, surprenant, audacieux, comme tout ce qu’écrit Roth.»

vendredi 20 janvier 2012

Les solidarités mystérieuses

Pascal QUIGNARD, Les solidarités mystérieuses, Gallimard, Paris, octobre 2011 (251 pages).

Vous ne me croirez pas.

Même si paraphrasant Sacha Guitry sur Mozart je disais que le silence qui suit Quignard est encore du Quignard ? Vous ne me croirez pas, il y a trop de bruit autour de nous, alors que chez Quignard les mots sont arrachés au silence tout en contribuant à celui-ci; il y a de la musique : mer, vent, oiseaux, violoncelle, mais pas de bruit. Vous ne me croirez pas, même si je vous dis que je n'ai jamais vu la Bretagne mieux qu'avec les mots de Quignard. Vous ne me croirez pas, parce que ce roman n'est pas divertissant : au lieu qu'il vous arrache au quotidien, il vous laisse face à vous même et vous redonne le temps -- délicieux voyage ! Qui comprend, pour vrai, le rôle qu'il obtient, même le premier; et le film de sa vie ? Le croiriez vous ? Oui, Quignard est inutile en ce qu'il ne vous changera pas les idées, mais utile en ce qu'il vous mènera, pour peu que vous vous abandonniez à suivre Claire -- nom ô combien révélateur -- à l'origine. Sa musique -- « polyphonie » dit la présentation, et lisez l'extrait d'entrevue accordée au Nouvel Observateur --  est faite de l'élimination du superflu « ornements inutiles »; et surtout de toute tentative de psychologie : vous écoutez les personnages, en tirez votre propre conclusion, pas de manipulation. C'est ainsi que le livre vous appartient : me croirez-vous ?

La présentation de l'éditeur résume bien « l'histoire », je me dispenserai de tout ajout. Le thème ? L'un et l'autre, sous deux versions, côté amour -- une femme et un homme, et aussi un homme et un homme --, côté solidarité, une sœur et son frère.

Côté amour, Claire et Simon, lui marié à une autre, puis mort; Paul, le frère de Claire, dit :

« Elle errait encore dans le monde après son amour, regardant de loin son amour comme si tout était fini depuis longtemps. Claire était devenue Simon et était devenue le lieu. Elle était partout chez elle, elle était comme le commencement dans l'origine.
Elle appartenait à quelqu'un d'autre.
Elle appartenait au lieu. »
En un sens, me semble-t-il, la Claire de Quignard est l'antithèse du Marcel (et même du Swann) de Proust, pour qui l'amour découle de la jalousie : Albertine disparue, ainsi disparait l'amour, l'une et l'autre tombant bientôt dans l'oubli. Claire n'est pas jalouse de l'épouse de Simon, laquelle l'est, et au point d'incendier la maison de celle-ci; Claire est avec Simon, même quand celui-ci met fin à leur aventure, et qu'il disparaît en mer, Claire est Simon.

Côté solidarité, Marie-Claire et Paul (il l'a toujours appelée ainsi, ce qu'elle déteste); Jean, l'amant de Paul, dit :
« Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse. C'était un lien sans origine dans la mesure où aucun prétexte, aucun événement, à aucun moment, ne l'avait décidé ainsi.
De l'autre ils acceptaient tout, même ce qu'ils ne comprenaient pas.
Ils ne se souciaient pas de chercher des motifs. S'épauler leur suffisait. Même, ils admettaient plus spontanément les caprices de l'autre que leurs propres lubies. »
On aura connu, reconnu, des « amours » autrement moins généreuses que ces « solidarités mystérieuses », où l'autre n'avait pas vraiment beaucoup de place. Elles furent transitoires, éphémères, illusoires.

Tout compte fait, la solidarité, fut-elle mystérieuse, ne vaut-elle pas mieux que ce qu'on appelle l'amour, et dont on se passionne à s'aveugler continûment et incessamment ?

Un roman essentiel.

Vous n'êtes pas obligé de me croire. Moi, j'ai déjà relu Quignard.

* * *
Pascal Quignard : « Mais je suis tous les jours au piano - un clavier Roland. J'y joue ce que j'appelle mes concentrés, et qui sont des sacrilèges. Je réunis en effet les plus beaux passages de certains trios ou quatuors de Bach, Mozart ou d'autres, j'en fais tomber les ornements inutiles, je les simplifie à l'extrême, et j'interprète ainsi, pour moi seul, des sonates très brèves et merveilleuses. Mes chats n'aiment pas la musique, mais pour moi, quelle joie c'est, si vous saviez ! » Le Nouvel Observateur : 28-09-2011
Présentation de l'éditeur :

« En Bretagne, de nos jours, près de Dinard, une femme d’une quarantaine d’années retrouve par hasard le professeur de piano de son enfance. Cette femme âgée lui propose de venir habiter chez elle. Petit à petit, elle se réinstalle dans la petite ville où elle a vécu autrefois, retrouve son premier amour, se lie comme jamais elle ne l’avait fait avec son frère plus jeune, redécouvre les lieux, les chemins, les roches, se passionne pour la nature, le mer. Soudain, un jour, sa fille, qu’elle n’avait plus vue depuis des années, revient vers elle. De façon polyphonique, tous les personnages qui la côtoient (un prêtre, la bonne du professeur de piano, son frère Paul, un cultivateur, la factrice, un cousin qui vit près de là, la conductrice du car de ramassage scolaire, la masseuse de la thalassothérapie, sa fille Juliette) évoquent cette femme dont la destinée paraît de plus en plus étrange. Chacun a son interprétation. Chacun essaie de comprendre les rapports troublants, mystérieux, silencieux, sauvages que Claire se met à entretenir avec sa famille, l’amour, la falaise, le ciel, les oiseaux, l’origine. »
 Voir aussi : Tous les matins du monde, le roman et l'adaptation qu'Alain Corneau en a faite pour le cinéma. Et écouter le disque de Jordi Savall.

Cuizine

Prenez le temps d'ouvrir le magazine Cuizine : la revue des cultures culinaires au Canada et en particulier le numéro 3.1, Cuisine, langue et identité, placé sous la direction de Marc Charron et Renée Desjardins.

Présentation :
À l'association traditionnelle de CuiZine entre la nourriture et la culture, Marc Charron et Renée Desjardins, les corédacteurs invités, proposent d'ajouter un troisième et savoureux ingrédient: la langue. Des menus du Château Frontenac aux récits des Provinces maritimes sur le homard, CuiZine 3.1 présente un échantillonnage bienvenu à la croisée des nourritures, des langues et des identités du Canada.
J'ai, mercredi, été invité à assister à une conférence donnée au Cercle des femmes universitaires de Montréal par sa rédactrice en chef, Mme Nathalie Cooke qui portait notamment sur l'évolution des émissions de télévision consacrée à la cuisine depuis les Julia Child et Jehanne Benoît jusqu'aux Martha Stewart et Josée di Stasio. Du bonbon...

jeudi 19 janvier 2012

Citation

« La question fondamentale réside bien dans la communication. En effet, la littérature repose sur un dialogue entre un auteur et un lecteur. Or, ce dialogue semble désormais menacé : par l'emprisonnement du lecteur dans la passion du divertissement, d'un côté, par l'enfermement de l'écrivain dans la citadelle de son intériorité, de l'autre. »

... la passion du divertissement. Hélas ! Il ne faut pas le condamner, certes, mais quand tout se réduit à lui, que le monde devient plat, que le monde devient petit.

Donatien GRAU, La littérature au pied du mur, Le Monde, 13 janvier 2012.


Rédigé sur mon iPad.

Castration ?

Vu cette affichette à mon centre sportif. Inquiétant.


lundi 16 janvier 2012

Citation

« Je me suis souvent demandé ce qui pousse les mortels à rester dans cette vallée de larmes, et pourquoi supporter la malédiction sans même chercher s'il ne reste pas dans ce déballage de misères quelque rogaton oublié par la bonté divine. J'en trouve bien ! semblable aux crocheteurs de poubelles qui tombent parfois sur une pomme à peine tapée, un quignon de pain, un collier réparable, une poupée de porcelaine, un recueil écorné, mais aux poèmes intacts. Suis-je donc si léger ? Il me semble qu'ainsi je me respecte, sans goût pour la rancune et le ressassement des malheurs, sans craindre l'arrêt du soleil, le hérissement et la fuite des étoiles. »

Dont acte...


Daniel BOULANGER, Clémence et Auguste, Grasset, Paris, 2000 (262 pages).

Où l'on acquiert une liseuse

Ça y est, je me suis procuré une liseuse pour livres électroniques (livrel ?), dans laquelle -- je n'ai jamais trop aimé la proposition « sur », qui me semble un peu trop calquée de l'anglais...  -- j'ai téléchargé quelques livres. J'en avais déjà quelques uns dans ma tablette iPad, mais, en raison du rétro-éclairage, je n'ai jamais trouvé la lecture, sauf pour un journal ou un magazine, très agréable pour plus de quelques minutes.
Liseuse Kobo Touch
Premiers essais concluants : à l'écran on voit le livre Après le livre de François BON, mis en ligne sur le site de publie.net le 17 janvier dernier. J'y  reviendrai : livre et liseuse.

Les hommes à la hauteur ?

Toujours le hasard. Jean-Noël Jeanneney a reçu samedi dernier dans son émission Concordance des temps (France Culture), Georges VIGARELLO, l'auteur de l'Histoire de la virilité (Seuil), dont je vous parle, en feuilleton, si j'ose dire, depuis quelques semaines. Le titre en est Les hommes à la  hauteur ? une longue inquiétude et je vous invite à l'écouter pour accompagner la lecture de ces livres.

Présentation :

« Nous ne sommes pas guidé, d’ordinaire, dans cette émission, pour le choix de nos sujets par l’actualité bibliographique, mais il arrive que certains ouvrages historiques majeurs rencontrent d’emblée des préoccupations et des curiosités contemporaines, qu’elles soient durables ou momentanées. Ainsi en va-t-il des trois gros volumes qui sont parus récemment aux éditions du Seuil et qui offrent, avec la collaboration de nombreux auteurs éminents, une Histoire de la virilité. Les trois organisateurs en sont Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello. Ce dernier est mon invité ce matin et avec lui nous allons nous pencher sur le passé d’une interrogation fort contemporaine, peut-être faut-il dire une angoisse répandue chez certains, sous l’effet des heureux progrès, en Occident, de la condition féminine. Les hommes sont-ils à la hauteur ? Leur virilité est-elle à la hauteur de ce que la société leur demande, de l’image idéale qu’ils se font d’eux-mêmes, de ce qu’en attend l’autre sexe ? La virilité serait-elle en crise ? En crise, c’est le titre du volume qui traite du XXe siècle et de notre XXIe siècle commençant.

» Pour tâcher d’y voir plus clair, il convient, comme toujours de prendre un long recul en remontant en l’occurrence jusqu’à l’antiquité gréco-romaine, matrice primordiale de notre civilisation, en passant par le Moyen-Âge et par l’Ancien Régime, où le christianisme triomphant a changé la donne et en s’arrêtant enfin sur le XIXe siècle pour lequel les auteurs parlent du « triomphe de la virilité ». Triomphe satisfait, triomphe de la suffisance, ou triomphe déjà inquiet et d’autant plus ostentatoire qu’il se sentirait menacé ? Mes chers auditeurs et aussi, en attentive connivence, mes chères auditrices, voilà le programme du jour ! Jean-Noël Jeanneney »

dimanche 15 janvier 2012

Le passager : où l'on connaît une épiphanie

Jean-Christophe GRANGÉ, Le passager, Albin Michel, Paris, août 2011 (750 pages).

Peu importe que nous soyons dimanche, la messe est dite, le train est finalement arrivé en gare aujourd'hui peu après le premier thé matutinal. La chose s'est produite aux environs de la page 700, une bonne semaine après la fête du calendrier catholique : alors que je croyais lire un roman, je vivais une série télévisée, où, si l'on veut,  Dexter rencontrerait Sherlock Holmes, avec quelques touches Da Vinci. Le découpage des chapitres correspond à celui des scènes, les dialogues permettent au spectateur de savoir où il s'en va, avec, en voix off quelques commentaires de l'auteur. Tout aussi efficace, je suis certain que les droits font déjà l'objet d'intenses négociations, tout comme la distribution des rôles (lire casting si vous êtes Français...).

Quoiqu'il en soit, je remercie l'ami qui m'a prêté ce livre, l'année 2012 a commencé, grâce à lui, de façon très divertissante.

Pour me reposer ce cet hybris, je vais m'autoriser un petit voyage bien calme le long d'un beau fleuve tranquille, la Loire :

Jean-Marie LACLAVETINE, Au pays des fainéants sublimes - Voyage en Touraine avec un ami photographe, Le sentiment géographique - Gallimard, Paris, octobre 2011 (226 pages).

Présentation :
« En compagnie d’un ami photographe, Jean-Marie Laclavetine a vagabondé durant des mois sur les routes de Touraine. Ils ont suivi le cours des rivières, longé le fleuve sauvage, arpenté les rues et les ruelles des villes royales, interrogé la riche mémoire de cette terre d’écrivains. Ils sont allés à la rencontre des « fainéants sublimes » dont parle Balzac, habitants d’un pays où le temps ne passe pas à la même vitesse qu’ailleurs. Le récit de ce vagabondage est plein d’ironie, d’anecdotes cocasses, de visions surprenantes, mais aussi de réflexions sur l’esprit des lieux, qui nous habitent davantage que nous ne les habitons.»

Historie de la virilité : l'univers barbare

Bruno DUMÉZIL, L'univers barbare : Métissage et transformation de la virilité in Histoire de la virilité, tome 1 : L'invention de la virilité - De l'Antiquité aux Lumières, volume dirigé par Georges VIGARELLO, Seuil, Paris, octobre 2011 (577 pages - pp 112 à 137).
Entre le Monde antique et le Moyen Âge ou, pour simplifier, le retour de la virilité poilue et, ce qui nous semblera paradoxal, chaste : « l'homme véritable est désormais celui qui sait brider sa libido ». L'homme viril sera représenté en guerrier, pourtant il ne saurait être une brute dans une société clanique où le mariage sera le « socle de la paix entre familles rivales ». Je vous donne la conclusion de ce chapitre :
« De la Germanie primitive aux lendemains de l'an mil, les caractères héroïques se sont ainsi subtilement modifiés. Lors de sa rencontre avec Rome, l'Occidental idéal a perdu son poil, gagné en culture et intellectualisé la beauté de ses traits. Puis, au matin de l'ère carolingienne, il est monté à cheval, ce qui, fatalement, l'a éloigné de ses livres. Au Xe siècle enfin, la femme a cessé de pouvoir être un grand homme; ce statut est réservé au chevalier, dont on attend qu'il soit à la fois un combattant, un héritier et un géniteur, c'est à dire qu'il constitue un maillon dans la chaîne de la noblesse. Et le christianisme ? Il est difficile de dire s'il a transformé le modèle masculin ou si ce sont les hommes qui l'ont modelé à son image. Prouesse et largesse constituent en effet l'essence de l'activité du guerrier barbare, puis le cœur de la morale chevaleresque; mais ces deux vertus sont aussi à la base du modèle occidental de sainteté, que tout homme peut espérer imiter mais dont la femme reste tacitement exclue. »

jeudi 12 janvier 2012

Le rabaissement : amours potagères

Philip ROTH, Le rabaissement, traduit de l'anglais par Marie-Claire PASQUIER (The Humbling 2009), Du monde entier - Gallimard, Paris, septembre 2011 (128 pages).

Le commentaire de ce nouveau roman de ROTH me pose un problème de conscience. De nos jours, on dirait plus volontiers « d'éthique », dès lors qu'il n'est plus guère question de ces bonnes vieilles notions d'honnêteté et de probité, lesquelles ont été englouties par ce vocable qui, venu du Grec, a transité par l'Anglo-saxon changeant au passage de sens et est devenu le cache-sexe de tout politique qui se respecte (il est bien le seul à le faire), lui qui ne peut plus guère qu'être transparent.

Dilemme terminologique, car, au deuxième acte de ce roman qui en comporte trois, le protagoniste tombe successivement en amitié puis en amour avec une jeune femme qui n'a d'inclination, à l'horizontale, que pour ses semblables. Or, il y a parmi l'audience de ce carnet des lecteurs/trices que la terminologie habituelle -- qu'on retrouvera horresco referens dans la présentation de l'éditeur -- offense, ou pis encore chagrine, ce qui fait que, voulant éviter un surcroît d'émotion à mon rare, mais si distingué, public, j'ai résolu, à l'initiative du même ami qui m'a suggéré le très ferroviaire Le passager de Jean-Christophe GRANGÉ, et dont fertile est l'imagination ainsi qu'ardent l'esprit, de recourir à une pudique métaphore potagère, laquelle préviendra l'offense, mais semblera obscure au reste de ce bon public. Je vous prie donc de vous rapporter à l'article Je ne suis pas une laitue damascène pour l'explication.

Fort de ce préambule, je pourrai en toute quiétude traiter du roman lors d'un prochain article.

Présentation :
« Avec ce roman, Philip Roth poursuit sa méditation sur la vieillesse, la mort et la sexualité , seule capable de rendre à l’être vieillissant un semblant de vigueur. Simon Axler est l’un des acteurs les plus connus et les plus brillants de sa génération : une gloire célébrée jusque dans les provinces reculées. Il a maintenant 65 ans, il a perdu son talent, son assurance, la magie qui, tel Prospero, dans La Tempête, le faisait vivre. Axler n’arrive plus à croire en ses rôles, en lui-même, en la vie qui s’en va. Il se regarde être un acteur, un mauvais acteur de surcroît. Ce sentiment d’extériorité le mène à la dépression ; sa femme le quitte, son public aussi, et son agent, un vieillard de 80 ans, ne peut plus rien pour lui, pas même le convaincre de retourner en scène. Obsédé par le suicide, Axler entre à l’hôpital psychiatrique, ce qui accroît son impression d’échec et d’humiliation. Mais Axler va rencontrer, coup de théâtre, une jeune lesbienne, Pegee, qui pourrait être sa fille (il a été très proche de ses parents, acteurs eux aussi, mais acteurs ratés) ; elle va lui inspirer une passion érotique et, ainsi, le ramener à la vie, au sexe, le seul remède. Cependant, loin d’avoir transformé Pegee comme il le croyait, loin d’avoir été son Pygmalion et de l’avoir comblée, Axler s’est nourri d’illusions, creusant ainsi son propre malheur. Car Pegee, l’amoureuse des femmes, reste surtout fidèle à un père possessif. Un roman fort et intense, surprenant, audacieux, comme tout ce qu’écrit Roth.»

mardi 10 janvier 2012

Le passager : où l'on rend les armes

Jean-Christophe GRANGÉ, Le passager, Albin Michel, Paris, août 2011 (750 pages).

Avec la métaphore du chemin de fer à l'esprit, j'ai avalé hier les deuxième et troisième parties du roman de GRANGÉ, rendant les armes, c'est à dire l'essentiel de mon sens critique, et enfilé les chapitres les uns après les autres; la locomotive du thème principal fonce à toute vitesse, même si elle peut s'égarer dans les aiguillages des histoires secondaires.

L'auteur ne fait plus dans la dentelle, mythologie, perte d'identité, laquelle est au moins double, relents de complot -- pour une fois, pas juif, mais catholique et bourgeois, et de Bordeaux s'il vous plait, c'est dire qu'on est entre gens biens. Et ratisse large : armement illicite, industrie des produits chimiques, l'industrie pharmaceutique et ses pilules magiques, torture, et j'en passe, puis nous fait explorer les bas-fonds de Marseille, la lie du peuple et les égouts mêlés, et touche, enfin,  à la folie et à l'art, le second n'étant authentique que s'il est lié à la première. Le lecteur passera outre quelques effluves homophobes et antisémites, cela va avec le genre.

Je vous ai parlé hier d'une structure en poupées russes, quelle clef apparaît dans la deuxième partie ? matriochka. En plus, attention à ne pas manquer l'indice, le protagoniste s'appelle désormais Janusz -- à une lettre près, on a le dieu Janus des Romains, à la double tête; puis Narcisse -- il devient alors artiste peintre, allez savoir ! Revient en leitmotiv (aurai-je les Walkyries demain ?), une douleur « point lancinant au fond de l'orbite gauche » et l'image d'un corps de femme nue et pendue, Anne Marie Straub.

Toujours à suivre, mais je commence à avoir hâte d'arriver à destination.

lundi 9 janvier 2012

Citation

Entendu pendant l'émission Le masque et la plume : « X avait fait un très mauvais premier film qui était absolument détestable; alors, ça, c'est beaucoup mieux, c'est à dire, il arrive à l'insignifiance. » Ça vous enfonce Homier-Roy. Rédigé sur mon iPad.

Le passager : où l'on tourne les pages

Jean-Christophe GRANGÉ, Le passager, Albin Michel, Paris, août 2011 (750 pages).

Il n'y a pas, en français, de métaphore équivalente à celle de page turner. On doit se rabattre sur les adjectifs passionnant ou captivant, ce qui n'est pas, à l'évidence, du même sel. J'oserais la métaphore suivante : un livre, comme le train, à grande vitesse. Quelques pages à petite vitesse pour quitter la gare, puis installé dans la rapidité au gré des chapitres brefs, j'ai franchi la première partie en moins d'une journée, trajet à peine interrompu pour la prise de notes en vue de la rédaction du présent commentaire et, parfois, du dictionnaire pour vérifier tel mot d'argot.

Je l'avoue de bon gré, je suis entré dans l'histoire, mais on ne s'y trompera pas, ce n'est que cela : une histoire, il n'y a pas d'écriture. Certes la construction prend le lecteur -- comme on prend un otage --, lequel avance comme dans un labyrinthe; comparaison qui n'est pas gratuite, l'auteur ayant recours à la mythologie pour habiller les meurtres que tentera d'expliquer le protagoniste principal, l'OPJ Anaïs Chatelet (officier de police judiciaire), le mythe du Minotaure pour la première partie.

Le thème est simple : la fugue psychique (ou fugue dissociative) dite « syndrome du voyageur sans bagage » -- à ne pas confondre avec le syndrome amnésique rétrograde... :
« Il arrive qu'un homme, sous la pression d'un fort stress ou d'un choc, tourne le coin de la rue et perde la mémoire. Plus tard, quand il croit se souvenir, il s'invente une nouvelle identité, un nouveau passé, pour échapper à sa propre vie. C'est une sorte de fuite, mais à l'intérieur de soi. »
Ceci posé, qu'on se gardera d'oublier pour la suite des choses, on s'embarque dans un jeu de poupées russes. Pour le reste, tous les ingrédients sont réunis pour que prenne la mayonnaise. À ce point que l'on imagine sans difficulté le film qui sera tiré du livre, ou plutôt la série télé en six épisodes. Les personnages principaux sont peints à la truelle et ont chacun des traits nécessaires pour faire rebondir l'intrigue : des solitaires « avec bagage » marginaux; les personnages secondaires sont, justement, secondaires, on n'insistera pas. Style minimal : tout se passe à l'imparfait; dialogues abondants; on songe à ces tours à anonymes, ces blocs de verre bleuté sans architecture ni grâce, si fréquents dans nos villes : l'efficacité prime.

Oui, c'est efficace -- je parle de la première partie, et il n'y a aucune raison de bouder son plaisir, c'est très comfort food : le Saint-Hubert de la littérature, une affaire de sauce brune.

En tout cas, il m'a inspiré force métaphores pour vous le présenter. Pour l'heure, la deuxième partie est bien entamée : il est beaucoup question de clochards, avec force détails qui horrifieront le bourgeois.



samedi 7 janvier 2012

La cause des livres

Vous avez une semaine pour écouter Mona OZOUF parler, sur le site de France Culture, de lecture et de littérature (notamment), dans l'émission d'Alain FINKIELFRAUT, à l'occasion de la parution de son livre, chez Gallimard, La cause des livres.
« La littérature nous pourvoit en dons que nous n'avons pas. »

dimanche 1 janvier 2012

Jean-Christophe GRANGÉ, Le passager, Albin Michel, Paris, août 2011 (750 pages).

L'année 2012 commence par une suggestion de lecture faite par un ami lors d'une vive discussion sur « mon genre de lecture », le mal est fait, rien n'y changera désormais, je ne recommande que des livres difficiles. Las ! Cet ami, donc, me parle de GRANGÉ, dont il suit, depuis quelques temps les romans, avouant son faible pour les bons thrillers; et, selon lui, celui-ci est d'une redoutable efficacité. Accepterait-il de me le prêter ? Oui, le pavé, car à ma surprise c'en est un de 750 pages -- et l'on moque mes interminables prousteries... -- est donc depuis hier soir -- un prêt de la Saint-Sylvestre -- sur ma table de travail, et je m'apprête à le commencer.

Vérification faite, le public semble avoir davantage apprécier ce nouvel opus du journaliste devenu romancier que la critique; mais l'un et l'autre regrettent la longueur qui plomberait l'intrigue.  Je vous en reparle sous peu, car tous s'entendent pour dire qu'il est impossible de le lâcher.

Une manière différente de commencer l'année, que je vous souhaite bonne et heureuse.

Présentation :
« Je suis l'ombre. Je suis la proie. Je suis le tueur. Je suis la cible. Pour m'en sortir, une seule option : fuir l'autre. Mais si l'autre est moi-même ? ... »