mardi 29 juin 2010

En réservation

Paula FOX, Les enfants de la veuve, Joëlle Losfeld, Paris, 2010 (215 pages).


Voici le roman qui m'attend, en réservation, à la bibliothèque. Paula FOX, dont j'avais beaucoup aimé, en poche, le Personnages désespérés. Excellente critique du Monde.

Noon Moon : la fin du monde est pour aujourd'hui

Percy KEMP, Noon Moon Le mercredi des Cendres, Seuil Thrillers, Paris, 2010 (428 pages).


Je viens -- façon d'écrire -- de m'apercevoir que je n'ai pas vraiment partagé avec vous ce que je pensais du roman de Percy KEMP, outre l'agacement devant le côté Monde diplo des monologues du personnage principal. S'y ajoute une certaine cuistrerie, dont le même personnage nous assomme, faisant étalage de ses connaissances, et qui cette fois, l'amènerait du côté d'Achille TALON et de son encyclopédie du savoir superficiel : était-il indispensable que le lecteur fut informé du nom de la personne qui a suggéré Pluton pour nommer en 1930 la planète récemment découverte ? Si vous ne lisez pas le roman, sachez, et vous pourrez briller en société, qu'il s'agit d'une Venetia PHAIR, nom que vous pourrez gougueuler pour la suite.

Revenons à nos moutons, et au livre. Au vrai, je dirais qu'il y a deux ouvrages dans celui-ci : le premier, une histoire d'espionnage assez ténue, où Charlie, agent secret  tente de résoudre une série d'assassinats de personnalités islamiques ou islamistes (selon le point de vue); le second un traité socio-politique sur la mondialisation et le clash des civilisations amenant un dialogue entre un otage, Zandie et Alik AGAÏEV, le commanditaire de son enlèvement, et fidèle lecteur du Monde diplomatique. Le problème principal, selon moi, est que l'assemblage des deux est plutôt bancal : le premier est d'une facture très classique, avec ses personnages caricaturaux, agent secret macho et cocaïnomane au grand cœur et ses politiques obligatoirement cyniques ou imbéciles, sans compter la dame en péril. Le tout agrémenté d'une écriture tout en clichés et de phrases toutes faites : comment peut-on dire de fondamentalistes islamistes qu'ils sont sans foi ni loi ?

Plus intéressant, en comparaison, est le dialogue entre les deux Alexandre (Zandie et Alik), en dialogue Est-Ouest. Quoique, si on me permet un peu de cuistrerie, on pourrait dire que MALRAUX est déjà passé par là avec sa Tentation de l'Occident. Admettons aussi, cousue de fil blanc, la méthode socratique à laquelle Alik a recours pour convaincre Zandie -- dans les milieux du renseignement on dirait retourner. Admettons enfin un complot visant à déclencher l'Apocalypse (avec au passage un bel hommage à La route de Cormac McCARTHY) à partir du sol américain.

Je serais de mauvaise foi si je prétendais que je n'ai pas, toutes choses égales par ailleurs (pour rester dans le cliché), aimé ce roman. Il faut savoir ne pas bouder son plaisir, c'est l'été, et ce genre de lecture est plus agréable sous la ramure que celle d'un traité d'épistémologie. Il entre dans la catégorie, selon ma tante, grande lectrice, des livres à lire sous le casque du séchoir à cheveux. Catégorie fort bien fournie, comme chacun le sait.

Un clic sur le titre de cet article vous conduira à la page de l'éditeur.

vendredi 25 juin 2010

L'Occident mondialisé

Hervé JUVIN et Gilles LIPOVETSY, L'Occident mondialisé -- Controverse sur la culture planétaire, Nouveau Collège de Philosophie - Grasset, Paris, 2010 (332 pages).

Voici ce que je lis, et comme le hasard fait -- toujours -- bien les choses, l'émission Du grain à moudre du mercredi 23 juin portait pour l'essentiel sur cet ouvrage, avec les auteurs comme invités. Le site de France Culture ayant subi, il y a quelques semaines, un profond remaniement qui l'a rendu complètement user hostile, on comme nos chers cousins savent si bien s'y prendre pour rendre fou un utilisateur, je laisserai à chacun le souci de trouver la page de l'émission, laquelle pourra être écoutée pour encore un mois.

Quand au fond, j'y reviendrai sous peu. En attendant, un clic sur le titre de l'article vous conduira à la page du livre chez Grasset.

Premier retard.

Alain de BOTTON, Splendeurs et misères du travail, traduit de l'anglais pas Jean-Pierre AOUSTIN, Mercure de France, Paris, 2010 (373 pages).

Ça y est, cela devait arriver : mon premier retard à la bibliothèque. Et pour une histoire de travail encore !  Vous qui suivez le cours de mes jérémiades sur les travaux de rénovation de mon appartement,  semblable aux méandres d'une rivière amazonienne, savez qu'il m'arrive de me perdre dans les piles de livres « à lire » ou « en cours », or le livre de BOTTON a, mystérieusement, disparu de la seconde pour réapparaître à l'endroit le plus inusité ce matin. Vérification faite, je devais rapporter l'ouvrage avant-hier. Honte à moi.

J'en ai lu à peu près la moitié, lecture légère et agréable, traitement en surface du sujet, anecdotes et aventures, le tout agrémenté de photos ; pas de notes infrapaginales, ni en fin de volume; un vaste reportage, qui aurait pu être publié en feuilleton dans un revue chic; on lit, on aime, on passe à autre chose. C'est la marque de commerce de l'auteur, dont, naguère, j'avais bien aimé le Comment Proust peut changer votre vie.

Bref, rien de quoi se prendre la tête, comme on dit dans les milieux branchés.

jeudi 24 juin 2010

Nouveauté

Je viens de voir, sur la page Gallimard de Facebook, la sortie aujourd'hui d'un livre sur la fondation MAEGHT. Lieu d'art magique s'il en est, bien loin du business de l'art, que j'ai découvert en 1980, et dont je suis resté amoureux.

mardi 22 juin 2010

En effeuillant la marguerite…


Encore un billet en reprise, trouvé dans mes archives de vielles choses. Oui, c'est ça…



  • Dominique NOGUEZ, Duras, Marguerite, Flammarion, Paris, 2001 (247 pages)

 

Un ouvrage double en somme. Dans la première partie, l'auteur commente l'œuvre littéraire et cinématographique de la D. – elle est au moins au tant « la » que Callas l'est.

Dans la seconde, il livre au lecteur sa « relation » d'un quart de siècle avec elle, sous forme de journal entrepris en 1975 et poursuivi après la mort de M.D. en 1996, jusqu'en 2000.

  • Marguerite DURAS, Le ravissement de Lol V. Stein, Folio, Paris, 1964 (191 pages)

 

On retrouve l'essentiel de l'œuvre de MD réunis dans un fort volume de plus de 1700 pages chez Quarto.

Le style de M.D. est immédiatement reconnaissable, surtout vers la fin quand, peut-être, il a versé dans la caricature. On dit pour le qualifier durassien comme on dit « gothique » -- chacun sait qu'il faudrait dire « ogival », mais là n'est pas le propos et ne donnons pas dans la cuistrerie -- et comme celui-ci, celui-là a eu un période primitive, rayonnante, puis flamboyante.
 
On peut aussi dire que le style post-Goncourt est de tendance internationale, en ce que, bien au delà de la France et de la Navarre, les études durassiennes ont suscité, dans le monde des lettres, un engouement que d'aucuns diront semblable à celui engendré par le film Jurassic Park dans le reste du monde. D'où le calembour que l'on voit venir, mais dont je m'abstiendrai.

Personnages : Lol(a) V(alérie) Stein, née à S. Tahla et Tatiana Karl, amie d'enfance, oubliée, revient dix ans après le bal ; Michael Richardson, le fiancé, il ne fait rien ; Anne-Marie Stretter, elle disparait avec MR ; Pierre Beugner, le mari de TK ; Jean Bedford, 36 ans, fait partie du corps médical, il travaille dans le service de PB à l'hôpital départemental , il est le mari de LVS et l'amant de TK.

Ce que le narrateur sait de LVS, ce qu'il invente de son histoire, ce qu'il croit savoir de cette histoire. Le bal à T. Beach.

Le mensonge permanent : qui est LVS, est-elle folle ? Quelle est son histoire ? Cette histoire que toute la bourgeoisie de S. Tahla connaît ? Qui va à l'Hôtel des Bois ?

Citation

Une chose que l'on peut admettre, c'est que fréquenter de grandes œuvres, se servir de son esprit, lire les ouvrages de génies, si cela ne rend pas intelligent à coup sûr, cela rend le risque plus probable.

Martin Page – Comment je suis devenu stupide

lundi 21 juin 2010

Reprise : Iegor GRAN


Iegor GRAN, Spécimen mâle, P.O.L., Paris, 2001 (342 pages).


D'aucuns sont fidèles à un coiffeur, à un fabriquant d'automobiles, voire à un conjoint. On avouera ici son attachement à un genre particulier d'entremetteurs. Professionnel devenu rare, l'éditeur est le passeur qui, aimant l'écrivain et respectant le lecteur, favorise leur rencontre. On le reconnaît à ce qu'il publie des livres et non des produits. Il y a ici notamment Les Herbes rouges, L'instant même et Les Allusifs. À Paris, il y a Paul Otchakovski-Laurens qui anime les éditions P.O.L., chez qui est publié le troisième roman d'Iegor Gran.

Un jour, «entre la journée de la femme et la fête des mères, même pas pleine lune ou jour de paie», vous vous levez, votre petite amie n'est plus là. Partie sans un mot, sans même nourrir le chat, lequel est bien incapable de se servir de l'ouvre-boîte. Troublé, avec un soupçon de remords – une petite crasse sur la conscience sans doute –, vous appelez beau-papa. Celui-ci tout inquiet se demande où sa femme est bien passée. C'est, vous ne le savez pas encore, le Jour de la Catastrophe. Celui où les femmes, toutes, jeunes et vieilles, belles et moches, ont disparu de la surface de la terre.

Il y aura évidemment de vives réactions, de la panique aussi – qui préparera le dîner et s'occupera de la lessive? À titre préventif, quelques boucs émissaires seront sacrifiés. La police enquêtera. En vain. Le temps passera, et il faudra bien gérer la situation. C'est à cela que servent les politiques (inutile désormais de dire hommes). Tout un défi pour les survivants. Car maintenant, l'homme ne se reproduira plus, sauf improbable invention génétique. Alors, il va falloir revoir la grammaire et la bible. Académies et conciles se réuniront. La pornographie sera nationalisée. La mémoire sera organisée. Les juristes, comme toujours, y trouveront leur profit. Ceux qui se souviennent, les vieillissants, n'oseront plus parler du temps d'avant le Jour de la Catastrophe. Et puis, les années passant, les femmes deviendront un mythe, comme dieux et diables, fées et sorcières. Elles sombreront dans l'oubli, au point où les jeunes en viendront à douter de leur existence.

Voilà un bref résumé de ce fabuleux roman, une belle fiction, mais pas de science, non. L'histoire d'une absence qui s'impose aux personnages – un romancier, un fonctionnaire, un inspecteur de police –, où l'on voit que ceux-ci pourront s'adapter ou, au contraire, seront anéantis par l'événement. Le roman se déroule en quatre époques sur une période de trente ans à partir du Jour de la Catastrophe et s'articule en vingt-cinq chapitres portant le nom d'illustres disparues ou héroïnes. Ainsi la Méduse, la Gorgone, Jeanne d'Arc, la Dame de pique, Minnie Mouse et Simone de Beauvoir soulignent, avec beaucoup de drôlerie, le thème et l'action de chaque chapitre.

Il y a de la fable dans cette histoire. Iegor Gran aime bien ces fabuleuses aventures ; d'ailleurs, le héros de son premier roman, Ipso facto, se trouvait, ayant perdu son baccalauréat, confronté à sa non-existence. Il mène l'intrigue d'une prose vive et fine, presque parlée, et pleine de trouvailles : «comme tous les arrivistes, Henri a le menton pointu», «la mort avait la corpulence de la reine Victoria».Et comment résister à un auteur qui, manifestement, aime tant les chats qu'il s'inquiète de leur sort au moins autant que celui des hommes ? Un pur bonheur d'intelligence et d'humour.

« Un persan fait ses griffes dans la gorge. L'employé Martin se lève péniblement dans la solitude verticale. L'évolution nous a bien roulés la gangrène pense-t-il en allumant la cafetière. Évolution mes glandes ! Personne n'a jamais évolué. À peu de choses près nous sommes restés des bactéries. De vilaines bactéries poilues, voilà ce que nous sommes, et l'employé Martin se voit au premier rang de la galerie, en bactérie reine il se considère, il s'applique la mortification avec une passion exquise, une dentelle de masochisme tellement il se sent la tête dans la marinade, sans doute le stress, oui le stress. La dispute d'hier avec Sylvie. »

mercredi 16 juin 2010

Noon Moon : du côté du Monde diplo.


J'ai fait allusion dans un précédant message au côté « Monde diplo » du principal protagoniste du roman de Percy KEMP. J'ai pensé à vous offrir ce petit florilège. 


« Ce peuple [les Américains] désormais ignorant a définitivement tourné le dos à la raison pour ne plus suivre que ses pulsions; il s'est détourné de la vérité pour ne plus écouter que ses préjugés. Il est de ce fait devenu une proie facile pour les démagogues, pour qui l'ignorance est pain béni. Est-ce là la liberté chérie des États-Unis ? Est-ce là leur démocratie ? » (p. 115)


« Car, si les frères ennemis républicains et démocrates différaient dans leur appréciation de la guerre (les premiers y voyant la continuation de la politique par d'autres moyens alors que les seconds envisageaient la politique comme la continuation de la guerre par d'autres moyens), tous s'accordaient à dire que la politique étrangère n'était jamais que la continuation de la politique intérieure par d'autres moyens » (p. 186).


« Lorsqu'on érige la démocratie en dogme, qu'est-ce qui la différencie encore de la théocratie ? En s'arrogeant le monopole de la vérité et en faisant de la démocratie un passage obligé hors duquel il n'y aurait ni salut ni répit, l'Amérique aura fait plus fort que le monothéisme qui, en se substituant jadis au polythéisme, a imposé le dogme là où il n'y avait que piété. » (p 209).


« … quand nous voyons les impérialistes américains, les mains noircies du sang d'autrui, se blanchir en élisant un Noir à la Maison-Blanche … » (p 284).


« Seul un intellectuel peut soutenir deux thèses contraires en même temps et continuer de fonctionner comme si de rien n'était » (p. 339).

jeudi 10 juin 2010

Cycle MODIANO

Patrick MODIANO, La petite Bijou, Gallimard, Paris, 2001 (154 pages).

Un peu las des prêches du roman Noon Moon, et souhaitant un peu de légèreté, dans la prose, sinon le sujet, j'ai décidé de reprendre le « cycle MODIANO » entrepris l'automne dernier, avant la publication de L'horizon, et interrompu par les travaux dans mon appartement. Voici d'ailleurs mon commentaire de 2001.

Nous sommes en 1967. La dame dans la cinquantaine porte un manteau jaune quand elle passe à la station Châtelet et que vous, Thérèse Cardères, que l'on appelait quand vous aviez sept ans " la Petite Bijou ", l'apercevez, dans la foule. Jaune, mais la couleur comme fanée.

Vous la suivez, c'est si facile de suivre quelqu'un dans le métro à Paris, dans la foule. Car il s'agit peut-être de votre mère, que vous croyiez morte. Il n'y a pas si longtemps, une douzaine d'années peut-être, bref : toute une vie.
Elle habite, près de Vincennes, une banlieue pauvre et triste, s'arrête au café le temps d'un kir, on la surnomme " Trompe-la-mort ", autrefois on la surnommait " la Boche " quelle ironie pour vous qui la croyiez morte au Maroc. Il y a si longtemps, une douzaine d'années peut-être. Il est loin le temps du Bois de Boulogne de votre enfance, le grand appartement vide de la rue de Malakoff et puis le petit chien, un caniche noir, qui s'y est perdu quand elle l'a promené.
« Un chien. Un caniche noir. Dès le début, il a dormi dans ma chambre. Ma mère ne s'occupait jamais de lui, et d'ailleurs, quand j'y pense aujourd'hui, elle aurait été incapable de s'occuper d'un chien, pas plus que d'un enfant. [...] Dans ma chambre j'avais peur d'éteindre la lumière. J'avais perdu l'habitude d'être seule, la nuit, depuis que ce chien dormait avec moi. [...] Ce jour-là, ma mère est allée à une soirée et je me souviens encore de la robe qu'elle portait avant de partir. Une robe bleue avec un voile. Cette robe est longtemps revenue dans mes cauchemars et toujours un squelette la portait. [...] J'ai laissé la lumière toute la nuit et les autres nuits. La peur ne m'a plus quittée. Je me disais qu'après le chien viendrait mon tour. » (pp. 113, 115-6).
En 1967, seule à Paris, à presque vingt ans, vivant de petits travaux à mi-temps, vous voilà confrontée à un passé dérobé, que vous pensiez enterré au Maroc.

Dérobé, ce passé ? Alors que vous vivez dans le même hôtel, près de la place Blanche où votre mère a vécu un temps, avant d'être connue sous le nom de comtesse Sonia O'Dauyé, elle qui s'appelait Sonia ou Suzanne Cardères, et maintenant Mme Boré. Cet hôtel se trouve d'ailleurs dans la même rue qu'un club de nuit, Le Néant, où elle aurait dansé, votre mère, dans une revue obscure, avant de disparaître ?

D'autres personnages évanescents, les Valadier, Véra et Michel et leur petite fille - oui, une petite fille en dissimule une autre, toujours le passé qui revient comme si... -, la grande maison vide au 70 du boulevard Maurice-Barrès, qui longe le Bois de Boulogne.

Dans le Paris de votre dépression, un regard se pose sur vous ; sans rien vous demander en retour, quelqu'un vous aide, vous écoute, s'inquiète de votre santé et met sa main douce sur votre front pour que vous dormiez, là ,sur votre lit, du côté de l'ombre. Pourtant, ces médicaments qu'on vous a procurés vous les avalez un soir, vous la Petite Bijou, pour vous défaire de ce passé obsédant et toujours élusif, mais vous vous réveillerez néanmoins, parce que, tout compte fait, le caniche noir ne s'est sans doute pas perdu.

Il y a les lieux chez Modiano, un Paris sans couleur sur quoi tranche le jaune d'un manteau usé, mais il aussi le temps, le détail d'une époque : les biscuits Lefèvre-Utile, les annuaires du téléphone, le pneumatique, le métro, le Réseau ; un voyage dans le temps (celui de ma jeunesse, rappelez-vous gens d'ici l'Exposition universelle de 1967).

C'est ainsi, votre malheur finira bien par finir, mais, pour nous, pas le plaisir de lire et de relire votre histoire, la Petite Bijou.

Hégémonie culturelle


Percy KEMP, Noon Moon, Seuil Thrillers, Paris, 2010 (429 pages).

Savez-vous ce que c'est que l'hégémonie culturelle ? Il s'agit du consentement spontané donné par le peuple aux grandes orientations politiques et sociales dictées par le groupe dominant. Ce consentement s'explique par le prestige et la légitimité dont bénéficie ce groupe. Cette hégémonie est telle que celui-ci n'a que rarement à faire usage de la violence pour maintenir sa domination : la plupart du temps l'hégémonie lui suffit.


Vous reconnaissez un peu dans cette description les principes qui semblent gouverner notre monde ? Il s'agit pourtant de la théorie d'Antonio GRAMSCI, un communiste italien (1891-1937).


Vous pouvez maintenant retourner à votre téléviseur pour suivre la Coupe du Monde.


Moi, je retourne au roman de Percy KEMP – j'en suis à peu près à mi-parcours – que je lis souvent avec agacement, parfois avec plaisir; agacement pour le ton un peu cuistre de tel protagoniste, l'aspect caricatural de tel autre et surtout le côté « téléphoné » de l'intrigue; plaisir pour la façon, assez appuyée certes, dont est développée la critique de notre époque. Mais, las, ôtez l'intrigue, et il ne vous reste qu'un essai politique.

J'y reviendrai.



mardi 8 juin 2010

Autre reprise : SPIELBERGER

Christophe SPIELBERGER, Touché, Seuil, Paris, 1999 (173 pages).

L'auteur m'ayant fait parvenir son Superbe de toitu et autres récits, publié chez parfois.fr, je suis retourné à son premier roman, du moins le premier de lui que j'ai, naguère encore, lu; voici les notes que j'avais, il y a dix ans, rédigées.

Pour causer branché, je dirais de ce roman qu'il déménage : déconcertant, abracadabrant et invraisemblable (à tout prendre, pas plus qu'un discours politique).

Voici l'histoire d'une famille, comme il est en tant, c'est à dire qu'elle est unique ; une famille qui comme tant d'autres a des secrets qui, l'alcool aidant, se dévoilent au chapitre 12, vers la page 155.

Cendre a trente ans, et est chauve comme une planète. Elle est fille de Marcel et de Renée et mariée à Franz, son cousin ; mais Marcel aime les garçons, c'est à dire qu'il aimerait bien Franz, mais il se rabat sur l'alcool et la photographie, ce qui permet de fantasmer à bon compte.

Il y a aussi un éphémère petit frère, dont le sort aurait bien intéressé l'assistance publique et toutes les bonnes âmes, sans compter le bon docteur Freud, mais grâce au ciel nous sommes dans un roman inhospitalier pour les bons sentiments.

Cendre partit un jour de la campagne « Quelle est belle la vallée », – vallée d'une campagne dont on ne saura rien, à quoi bon déjà que c'est pas la ville, et pourtant omniprésente – mais le voyage sera parsemé de catastrophes et d'aventures cruelles.

L'attention du lecteur est sollicitée par le récit parallèle, mais comme en sens inverse, de ces aventures et de l'histoire de la vie de Cendre, depuis sa naissance jusqu'à ses trente ans, jusqu'à la conclusion du roman.
Ces aventures sont vécues comme une re-naissance : Cendre n'est-elle pas appelée trentenaire ou femme re-née au Glossaire  annexé au roman ? Pourtant on meurt beaucoup dans ce roman, à pied, en train, en ville, sous la table ou même d'usure de la vie.

Au détour, on apprendra que Franz joue un autre rôle dans le roman que celui de baiseur athée converti au mysticisme et à l'alcool après avoir succombé aux avances pressantes de Marcel, qui n'a d'yeux – et autres organes – que pour lui.

Un indice, ici, ce n'est pas un Marcel qui serait le Narrateur…

Le roman fini – plus vrai que la réalité, pour notre plus grand bonheur de lecteur –, on se rappellera que la littérature ce n'est que des mots dans un certain ordre assemblés, c'est aussi un souffle, un style : l'auteur les a, en dépit de quelques maladresses.

Pour moi, j'ai revu, en tournant les pages, le meilleur Christiane ROCHEFORT et, chez nous, le Réjean DUCHARME des débuts et aussi, le Gaétan SOUCY de La petite fille qui aimait trop les allumettes.
Oui, un roman pour renaître de ses cendres, tout comme le phœnix de la légende.

Voir : http://www.spielberger.net et, sur http://www.00h00.com
On part, nouveau roman, accompagné d'un clip vidéo et le Manifeste contre le roman d'élevage, que l'on trouve sur son site :
1. Contre les histoires dont on devine la fin au bout de vingt pages.

2. Contre l'autobiographie déguisée, dont on a le culot d'essayer de faire un genre sous le terme décourageant d'« autofiction ».

3. Contre le réalisme racoleur, où des personnages insipides nous font croire que leur existence présente un intérêt.
4. Contre l'érudition historique, à travers laquelle des premiers de la classe tentent de pallier leur manque d'imagination.

5. Contre le copier-coller, où l'on confond « avoir du style » et « posséder un ordinateur ».

6. Contre le confort éditorial, où l'usage veut que l'on se conforme à la « couleur maison ».

Retour sur SENGES

Pierre SENGES, Essais fragiles d'aplomb, Verticales, Paris, 2002 (150 pages).

 
Commencer l'été , c'est à dire la saison des reprises, par un livre qui parle de la chute, bizarre, vous avez dit bizarre. C'est comme commencer un livre par la fin. En l'espèce, qui veut la fin veut les moyens, or la fin de ce billet est de vous parler de la chute. Me donnant les moyens de ma fin, je vous parlerai d'aplomb de la verticale à vous qui me lisez à l'horizontale, je ne parle pas de position – encore que – mais de mouvement oculaire, car, comme chacun sait, le français se lit de gauche à droite, nous ne sommes pas au Japon et ne pratiquons pas le boustrophédon.
 
Bref. La lecture du récent opus de SENGES m'a donné envie de revenir sinon au point de départ, du moins un peu en arrière.

Le voyage implique le trajet, fût-il virtuel. Aussi les Essais fragiles de Pierre SENGES – justement publié aux éditions Verticales – nous invite à délaisser l'horizontalité et à prendre un peu de hauteur, afin de considérer, bien d'aplomb, la verticalité qui, de haut en bas, nous attire, humains, vers la terre, dissipant au vol, si j'ose dire, l'imposture de tous les tête-en-l'air qui, écervelés, rêvent de s'y envoyer…

« Les hommes et les femmes qui, depuis Icare jusqu'à la Grande Guerre, n'ont pas cessé de tomber, parfois à plusieurs reprises, ne cherchaient pas à connaître l'ivresse du vol, ni déjouer ses mystères, mais testaient la gravitation, et tombaient pour de bon, parce qu'ils le voulaient bien. »

 
Une brève histoire des Chutes à vol d'oiseau, où la verticale s'oppose à l'horizontale, en une époque toute consacrée à l'élévation et à la gravité. Depuis les archaïques Icare et Tarpéiens jusqu'à l'Âge d'or, évidemment à Paris, les années folles de la Tour (dite d'Eiffel) – la Belle Époque – de 1889 à 1913. Année de l'interdiction des « expérimentations » où, l'Histoire elle-même se fait grave, un certain Einstein mettait à mal la théorie de la gravitation par sa théorie d'un espace courbe et d'un temps relatif ; allait suivre la Grande Guerre, tout en horizontale, avec sa « ligne bleue des Vosges » et ses funestes tranchées. Exeunt les hommes d'aplomb.

  « Les Essais fragiles parlent d'hommes d'aplomb, ou à verse, ou à pic – aussi : de vertigineux, de précipités, d'abîmés : tous ces noms désignant selon les époques et les circonstances les hommes et les femmes qui ont voulu faire de la physique à pieds joints, sur le tas, conjuguant la théorie et l'épreuve. »



Un vrai-faux essai, à la fois réellement érudit et résolument absurde dans son implacable logique. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Qu'importe, nous sommes en littérature. Pourtant, rien de linéaire dans ce style qui nous mène, semant des notes au bas des pages comme Petit Poucet, de parenthèses en tirets et d'incises en deux points vers l'inéluctable point de chute.
 
Je qualifierais le style de « Langue en joue », traduisant littéralement l'expression anglaise « tongue in cheek ». C'est que Pierre SENGES la possède bien sa langue, le malin, et son sujet, et nous possède de même avec un je-sais-quoi de perversité ludique.
 
Pour mémoire, je rappellerai que ce jeune écrivain est attiré par ce qui finit. Veuves au maquillage, son premier roman, racontait notamment un suicide amoureux par amputations minuscules, Ruines-de-Rome, le deuxième, une apocalypses inversée où un jardinier adventice semait, comme l'auteur ses noms de plantes, la fin du monde, subrepticement, en cultivant la nature. Pas à un oxymore près, admettons. Il y aurait de l'Alceste en ce Grenoblois que je n'en serais pas surpris, et quelque violence rentrée à l'égard de son semblable, qui le pousse à souhaiter, littérature aidant, la fin de celui-ci – Grenoble n'est-elle pas la ville de France la plus analysée ?

mardi 1 juin 2010

De la fuite dans les idées

Percy KEMP, Noon Moon Le mercredi des Cendres, Seuil Thrillers, Paris, 2010 (428 pages).
Alain de BOTTON, Splendeurs et misères du travail, traduit de l'anglais pas Jean-Pierre AOUSTIN, Mercure de France, Paris, 2101 (373 pages).


Si je connais le second notamment pour son agréable Comment Proust peut changer votre vie et son L'art du voyage dont on peut dire qu'ils sont d'une lecture agréable comme on dit de quelqu'un qu'il est d'un commerce agréable, je ne connais le premier que par la critique qui en a été faite.

http://www.france24.com/fr/20100209-percy-kemp-auteur-noon-moon-thriller-espionnage-vanit%C3%A9s-musee-maillol-dupont

Je poursuis avec autant de délectation les Études de silhouettes de Pierre SENGES. Je suis, pour le moment, à la quatrième lecture du Ma place tout au fond de l'atelier était toujours plongée dans le noir;...J'en reste sans voix. Serais-je au XVIIe, et de sexe féminin, j'en aurais des vapeurs. Vous ai-je dit tout le bien que je pensais de ce petit livre et recommandé de le commander chez votre libraire ?

Un clic sur le titre vous conduira à la page de Noon Moon.