vendredi 31 août 2012

Résister, j'aurais dû.

Santiago H. Amigorena, La Première Défaite 

P.O.L. Paris, août 2012, 632 pages; aussi disponible sous format ePub.

L'avantage de lire -- sans le cordon de la bourse délier -- un extrait de livre, est qu'on est vite fixé. Si,  quelques pages lues, l'on accorde à l'auteur les quarante-cinq de l'extrait, c'est avec le soulagement de n'avoir pas à aller au delà. Mieux vaut se vouer à la recherche du temps perdu que de vaquer à perdre le sien. On ne délaissera donc pas Stendhal pour si peu.

On apprendra, par ailleurs, dans la présentation faite sur tel site marchand, du narrateur que : « ... pendant quatre ans [il va] traîner son accablement et sa mélancolie , les imposant à ses amis, à ses proches, jusqu'à la délivrance, enfin, à la libération. » Normal que, dans la foulée, il en fasse autant pour le public, lequel voudra bien s'apitoyer sur sa souffrance avec toute la commisération d'une Mère Thérésa des lettres, sans toutefois, pour celle qu'il s'inflige ainsi, pouvoir prétendre à la sainteté, le masochisme littéraire n'étant jamais récompensé.

Pour le style, on sera indulgent, vu les vingt ans du narrateur, l'adolescence aime les épanchements -- à la première personne --, et la douleur amoureuse lui est occasion de jouissance. Mais sur six cent trente-deux pages ? L'édition électronique, présente quant à elle, tous les irritants habituels : texte mal édité, césures mal placées, mais à cheval donné...

Ajoutera-t-on que la presse parle déjà de chef-d’œuvre, et murmure le doux et lucratif nom de Goncourt ?

Présentation :
« Le premier amour, paraît-il, n’est jamais que le prélude de la première défaite. On aime, puis on souffre. On essaie de se souvenir pour ne pas vivre, puis on essaie d’oublier – pour ne pas mourir. Mais il n’y a rien de tel qu’essayer d’oublier pour se souvenir, et rien de mieux qu’essayer de se souvenir pour réellement oublier.
» Ces quelques pages racontent l’histoire d’un jeune homme qui comprend, lentement, qu’après avoir aimé une première fois, après avoir une première fois souffert de n’être plus aimé, pour être heureux, il doit réussir à savourer la douleur et le bonheur en même temps, à chaque pas.
» Son chemin est long, plein de détours. Comment en serait-il autrement ? si l’on sait de quoi les premiers amours sont le prélude, on ignore toujours de quoi les premières défaites, à leur tour, peuvent-elles être le commencement. »


Rédigé sur mon iPad.

Citation

Attention, le tsunami livresque est sur le point de déferler sur nous :

« Je ne plonge jamais dans un roman-fleuve du premier coup, surtout en période de rentrée, j’ai trop peur de me faire emporter par les courants littéraires. »

Vincent Roca.


Rédigé sur mon iPad.

lundi 27 août 2012

Limbes II

Thierry LAGET, À des dieux inconnus, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, mars 2003 (151 pages).


Limbes ? Cette période qui s'étire depuis la date de la mort de S. et celle, encore à venir, de son inhumation. « Sans souffrance », s'agissant du séjour des justes morts avant la rédemption, pour moi, période grise, sans souffrance, mais de doute et d'incertitude. Naguère, l'affaire était bouclée en une semaine au plus; mais depuis la popularité de l'incinération, le corps escamoté, plus rien ne presse, on peut songer à l'agenda, à ce qui convient le mieux, se donner le temps de faire durer l'entrée dans le deuil. Étrange : alors qu'elle vit de plus en plus dans l'instant, l'argent c'est du temps, l'époque se donne celui de faire durer la mort, mais sans le mort.

Place, en conséquence, à la réminiscence, et, en dépit du peu d'allant, à la lecture. Deux Laget (le second, au prochain épisode), auteur doublement discret, on ne le voit pas sur les tribunes du milieu, et par son écriture. Cet amateur, et éditeur, de Proust nous ravit d'une prose délicate et érudite, je vous invite à vous abandonner à ce ravissement, pas de plus beau voyage, que ce livre fait de livres, de lecture et de lecteurs. Selma Lagerlöf -- l'a-t-on étudiée, ou simplement lue ? Baudelaire, Virgile et son tombeau, l'Arioste et tant d'autres, un libraire -- que serait la vie sans libraire ? et une bibliothèque. Sans oublier le livre lui-même -- « en tant qu'objet » pourrait-on écrire si l'on donnait dans la pompe : s'agissant d'une belle édition reliée des Fleurs du mal et de celle de la collection de poche de Gallimard :
« Si j'éprouvais un plus grand bonheur à lire Baudelaire dans le livre relié, c'est que les vers s'y comportaient différemment. Trop longtemps contenus dans leur hermétique étui, à peine libérés, ils se dilataient dans mon âme, l'emplissaient, la saturaient, la gonflaient, n'y laissaient subsister aucun interstice qui ne fût comblé d'eux. À l'inverse, trop léger, le livre de poche et son papier trop tôt jauni, trop vite cassant, exhalaient de ces vers qu'on ânonne en classe, sans les comprendre et sans les posséder, de ces strophes numérotées qui doivent s'égrener "avec le ton" sans qu'il en manque aucune. »
Voyage qui finit à Athènes avec ses temples qui n'étaient « voués à personne, ... ou plutôt dédiés à tout » des temples pour tous les cultes. Depuis les monothéismes ont sévi, avec leur dieu aussi jaloux et assassin qu'il est unique : crois ou meurs et autres hors de l'Église, point de salut. Nous avons des flammes pour les soldats inconnus, Athènes, hospitalière, avait ses autels « au dieu inconnu ». Dieu inconnu qu'utilisera le rusé Paul de Tarse pour annoncer Christ, ce dieu qu'adorait, prétend-il, sans le connaître la cité hellène.

Paul de Tarse, dont une des lettres, aux Corinthiens, sera lue pendant la messe de funérailles.

Funérailles : on redoutait le pathos, surtout pour la messe, ce fut touchant, avec les bonnes paroles pour qui a la foi, s'entend . Il n'empêche, la lecture de l'évangile de Jean sur Lazare donne à réfléchir, même au mécréant (je ne me vois pas athée, qui ne suis pas sans dieu, mais n'y crois pas autrement qu'à un mythe). Ma première mort, en quelque sorte, et mes premières funérailles, car s'agissant d'elle, il s'agissait de moi, le survivant : je deviens son tombeau (paraphrase de Malraux).

Malraux : « L'homme est né lorsque pour la première fois, devant un cadavre, il a chuchoté : Pourquoi ? ».  Très efficace le truc catholique de la vie éternelle, du corps glorieux évite de se poser cette question. Mais alors, que signifie « Laisse les morts enterrer leurs morts » (Luc 9, 59-62) ?

Moment proustien : j'aurai vécu ma matinée chez la princesse de Guermantes, connue aussi comme Le bal de têtes. Avant les funérailles à proprement parler, parents, amis et connaissances arrivent en nombre rencontrer la famille immédiate dans ce lieu de circonstance qu'est le « salon », mornement aseptisé et efficacement anonyme. Tel cousin, vu pour la dernière fois à l'adolescence, apparaît réincarné en son père, brouillant l'image du souvenir, étrange métamorphose, même la voix y est. Coïncidence, il porte le même prénom que le narrateur.

Présentation :
« J'écris pour comprendre comment la réalité se forma d'abord en moi, comment elle y prit consistance, comment elle me forma. J'écris pour que mon regard d'alors me rejoigne ici. De tous ces murs de Clermont, pas un ne m'éblouit comme ce pauvre mur décrépi, bruni, tanné, confit par les neiges, les soleils, les fumées, que je dessine en ma mémoire, au millimètre près, mais que je n'ai jamais pu retrouver sur place. L'image est à la fois négligeable et parfaite : elle doit avoir un sens. Je le cherche. »
Du même auteur : Bibliothèques de nuit et La lanterne d'Aristote

jeudi 23 août 2012

Limbes I

C'est donc ça, le travail du deuil ?

Pour moi, une espèce d'acédie, de lassitude que je ne saurais qualifier de douleur. Finalement, peut-être est-ce que je mets en pratique ce stoïcisme dont je me suis toujours senti proche : le passé n'est plus, le futur pas encore, investissons le présent !

Quoiqu'il en soit, guère d'appétit pour la lecture, ni pour l'écriture, quoique mes nuits soient peuplées de phrases qu'au matin je n'ai pas la force de retranscrire, mais qui s'inscrivent dans ma mémoire : on verra plus tard.

Mis de côté, donc, mais il me tombait des mains, le Michelet et son Histoire de la Révolution française, ajournant ainsi mon projet d'étude à rebours de la période 1789-1830. Il est, toutefois, intéressant de voir comment chaque époque construit son histoire; mieux : comment chaque individu le (la) fait, compte tenu de son milieu, de son éducation, des idéologies dominantes, etc. Témoin le titre du premier chapitre du Livre IX (je m'en suis tenu au procès du roi fin 1792) : Louis XVI était coupable.

Et plusieurs autres livres, refermés sitôt quelques pages lues : rien ne m'intéresse, mon attention ne peut se fixer.

Jusqu'à ce que, littéralement, un livre me tombe sur la tête, du haut de ma bibliothèque où, naturellement, il s'était perché, comme je passais devant : Le goût des chats. Reçu en décembre dernier à la Saint-Sylvestre, par quel hasard s'est-il retrouvé là sans que je le lise ? Bref, il m'a, dirait-on, sauté dessus, comme un gros matou coquin et, comme chacun le sait, on ne résiste pas aux douces séductions du chat, qui nous a si bien domestiqués, que je me suis laissé aller à l'entreprendre, d'abord quelques pages, lentement, puis un peu plus avant, notamment à l'occasion des nombreux bains qu'un fâcheux contretemps sur lequel nous, ô combien mortels, glisserons me force à prendre plusieurs fois par jour.

Plusieurs extraits de textes sur le chat de du Bellay à Yves Navarre, joliment présentés par Jacques Barozzi qui les a choisis pour la collection Le petit mercure du Mercure de France.

Parfait accompagnement pour un petit quart d'heure dans la salle de bain, d'autant que, par quel instinct, le chat Ludo tient à ce que je lui en fasse la lecture. Pour Baudelaire, le commentaire n'a pas tardé, qui parlant de son chat pense à sa maîtresse. « Fi donc, dit-il, et prend-on un steak pour la frite, une frisée, les lardons ? ». Deux observations s'imposent ici. Premièrement, je tiens le chat Ludo pour un misogyne, lui qui supporte difficilement toute présence féminine chez moi -- quelle voix aigrelette et haut perchée lui aura donc, dans l'enfance, rendue la femme infréquentable ? Ensuite, on remarquera l'audacieuse ellipse de la préposition « pour » dans sa saillie.

lundi 13 août 2012

La beauté du latin

Je suis d'une autre époque, où l'on a appris à apprécier la beauté du latin, lequel loin d'être tenu pour une langue morte, était, avec le grec, l'une des sources de notre français. Mieux, une façon de penser, car, comme toute matière, la pensée se façonne, et de s'exprimer. J'en ai retenu la concision et une certaine austérité, même si, on le voit dans ces pages, je tends à m'émanciper des rigueurs cette romaine sévérité.

Jugez en : Et nunc manet in te :  « Désormais c'est en toi qu'elle demeure » ou encore « Et maintenant elle survit en toi ».  Comme le dit Gide lui-même dans son Journal : « Sans doute "l'admirable concision du latin" laisse-t-elle "l'explicitation inévitable du français loin en arrière" ». Cette phrase, superbe, Gide l'a empruntée à Virgile pour en faire le titre de son In memoriam pour son épouse Madeleine. Et, en quelque sorte, de faire de ce bref texte le complément à Si le grain ne meurt. La phrase m'est venue à l'esprit quand, après avoir appris de son médecin, qu'elle était morte, j'ai vu, sur l'immense lit d’hôpital, la frêle dépouille de celle qui est ma mère. C'était la première fois que j'étais face à ce qui est notre inévitable fin : le cadavre. J'ai presque aussitôt compris, dans les larmes qui m'aveuglaient, l'importance de cette petite phrase : je devenais le gardien de ma mère, sa vie devenait la mienne -- comme le dit crûment la maxime juridique : le mort saisit le vif. Saisi je le fus pleinement. Par la vue, je viens de le dire. Par le symbole bien davantage. Et je sus alors, d'une certitude absolue, que la mort ne gagnerait pas, que le chagrin ne durerait qu'un temps, parce que ma mère ne serait jamais une absence puisque désormais et pour toujours, moi vivant, elle est mon présent.

Un peu plus tard, je suis revenu au texte de Gide :
« J'ai beaucoup pensé à elle, ce soir; sans d'abord me souvenir qu'elle était morte. Tout à coup je me suis dit : mais elle n'est plus là; et l'intérêt que je prenais à vivre cette minute a fait défaut soudain; il me semblait que, l'éclairage intérieur brusquement éteint, ma vie perdait sa transparence. Tout me devenait indifférent, à quoi je ne  pourrais plus la faire participer. »

André Gide, sur la mort de Madeleine, Carnet gris, in Notice de Et nunc manet in te, Souvenirs et voyages, Bibliothèque de la Pléiade - Gallimard, Paris, 2001.

jeudi 9 août 2012

Et nunc manet in te

Suzanne Vézina Bisaillon




1927-9 août 2012
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Rome, avec ou sans Woody

Marco LODOLI, Îles, guide vagabond de Rome, traduit de l'Italien par Louise Boudonnat, La fosse aux ours, Lyon, 2009 (218 pages).

Avec la convalescence, revient le goût de sortir de chez soi et, à défaut de voyage, le cinéma constitue une occasion idéale de dépaysement : sortir de chez soi, et aussi sortir de soi : Malraux, c'est bien, mais l’introspection artistique, point n'en faut abuser, sauf à davantage inquiéter ceux de notre entourage prompts à s'émouvoir du moindre cumulus, surtout s'il est du genre congestus, dans notre ciel affectif.

L'annuel Woody Allen aura été la parfaite occasion de dépaysement, avec une intrique effervescente comme un bon proseco, et des vues, de carte-postale certes, mais sous une si belle lumière ambrée, qu'on s'y verrait aussitôt, si, évidemment, on n'avait à s'y rendre... Depuis un bon quart de siècle, on se répète, d'une année à l'autre, que ce n'est pas son meilleur, que depuis Manhattan et Purple Rose of Cairo, il ne fait que se répéter, on y va néanmoins, dût-on refuser d'admettre en public qu'on en a tiré un subreptice plaisir.

Et, de retour à la maison, la lecture de quelques uns des brefs chapitres du guide que nous a offert, il y a quelques années déja, Marco Lodoli, nous permet de prolonger, mais grâce aux mots, l'aventure de la plus belle manière qui soit. Un guide, que je n'ai jamais tout à fait rangé dans ma bibliothèques, où il voisinerait avec le Voyage d'Italie de Dominique Fernandez, ce beau dictionnaire amoureux, mais dépourvu du moindre plan ou carnet d'adresse, et sans les obligatoires !!! et autres *** des usuels du tourisme de masse. On le lit lentement, en y butinant, sans se presser. Peut-être voudra-t-on agrémenter la lecture d'une pérégrination par Internet, à la recherche d'une ou deux photos ou d'un repère géographique, mais ce n'est pas indispensable.

Connaissez-vous le quartier de via Prato Falcone  ? Suivons l'auteur :
« Il y a des îles qui se tiennent secrètes et silencieuses camouflées dans l'indifférence de la ville, recluses derrière une coquille qu'elles se gardent bien de rompre. Bien sûr, elles pourraient de temps à autre agiter une banderole pour se faire remarquer, ... publier un dépliant en couleurs qui vante leur charme, mais elles savent d'instinct que ça ne colle pas. Elles préfèrent continuer à faire semblant de rien et laisser courir le monde insouciant à côté d'elles. Pour ma part, j'ai souvent un peu honte de les pointer du doigt, j'ai l'impression de violer tant de réserve.
» Le petit quartier de via Prato Falcone pourrait en être l'exemple typique, un espace tout à fait hors du commun... Il se réduit à une poignées de maisons des années vingt à proximité du Tibre, un peu sous le niveau de la route juste avant le croisement  avec viale Angelico. Les voitures font sans le voir le tour de ce hameau tranquille d'un autre âge... Les chiens et les enfants traînent sans crainte de se faire faucher dans les petites rues, un bout de campagne y pointe encore son nez, un hectare vert et sauvage où l’œil devient plus clair et l'air se fait plus pur. Les gens d'ici ont un visage différent des autres Romains, les sourires s'épanouissent facilement et il est possible de faire un brin de causette comme dans ces villages où les heures cheminent d'un pas plus lent. On est à cinq minutes de la piazza del Popolo, mais probablement que, si j'habitais ici, je n'y irais pas souvent, je préférerais m'acheter une chaise longue pour me délecter de la clarté tranquille du jour, puis de l'incandescence du crépuscule. »
On s'y rend ?

Et pour un poursuivre le voyage dans le temps, pourquoi pas quelques pages des Promenades dans Rome de Stendhal ?

Présentation :
« La Rome vagabonde de Lodoli n'appartient à aucun guide touristique : c'est une ville d'îlots de beauté et de poésie qui émergent d'un dimanche pluvieux, ou d'un après-midi ensoleillé, mais que seul un œil clairvoyant est capable de saisir.
» On pourrait ajouter mille facettes à cet autre visage de Rome: le cordonnier sans âge de la via San Martino ai Monti, le fronton de San Giovanni dei Fiorentini que les gueules-de-loup pourpres et les câpriers chevelus transformaient en jardin au printemps, la trattoria de la via Attilio Zuccagni Orlandini où l'on mange les meilleurs gnocchis du monde...»

mercredi 8 août 2012

Lazare

André MALRAUX, Le miroir des limbes - II La corde et les souris - VI Lazare in Œuvres complètes III, Bibliothèque de la Pléiade - Gallimard, Paris, 1996 ( 1428 pages).


« J'ai été atteint d'une maladie du sommeil... »

Tel est l'incipit de Lazare, ultime segment du Miroir des limbes de Malraux. J'y suis revenu, ma première lecture remonte si ma mémoire est bonne -- mais l'est-elle jamais, l'âge venant ? aux début des années quatre-vingt, à l'occasion d'une grippe estivale dont la violence m'a brutalement terrassé et laissé à toutes fins utiles incapable de vaquer aux moindres activités quotidiennes. On pourra se surprendre, et imaginer que, malade, j'aurais de plus distrayantes lectures, mais si Proust demeure mon vade-mecum littéraire, j'ai toujours trouvé chez Malraux, que l'on ne lit plus guère et qui repose, on le regrette, sur une tablette poussiéreuse de la boutique aux poncifs, l'idéal viatique des jours de grisaille. Lazare, c'est celui qui est revenu... J'accompagne aussi ces moments de Bach par Gould, propice à la méditation.

Écrite à la suite d'une hospitalisation, en 1972, à la suite d'un malaise, il s'agit d'une réflexion sur la Mort -- celle qui hante l'être humain, pas le trépas -- et, peut-être, Malraux le croit-il alors, sa dernière œuvre. La Mort est présente, on le sait, dans toute l’œuvre de Malraux. Est-ce Sartre qui aurait dit que Malraux vivait appuyé sur la mort comme d'autres sur la cheminée ? Tout comme l'Art, cet anti-destin. Mais ici, c'est par la maladie que la Mort pourrait arriver, pas celle dont il était coutumier dans ses combats de la Guerre d'Espagne et de la Résistance, où, à la suite d'une perte de conscience, il se découvre un « je-sans-moi », plus Malraux, mais un corps malade, qui sera un cadavre : rien face au Temps.  Il s'étonne toutefois de ne pas souffrir :
« Nous appelons maladies mortelles les maladies dont on meurt; comment appeler celles dont on pourrait mourir ? Une maladie qui n'a de nom que pour les médecins semble une énigme, quand elle échappe à la souffrance qui a un nom pour tout le monde. En face de cette menace informe, mon sentiment le plus constant est la stupéfaction. »
Pourquoi ne pas trouver réconfort et force dans la réflexion de qui nous a précédé en destin, nous dont le seul avenir est l'austère silence de l'urne, limité à la durée de la concession -- rien, au cimetière, ne se périme plus rapidement que la perpétuité --, et faire nôtre sa quête : «  Je cherche le point crucial de l'homme, où le mal absolu s'oppose à la fraternité. » On aura aussi inventé des dieux pour cela, mais je ne participe pas de cette école.

Ne nous y trompons pas, rien de lugubre dans cette réflexion, qui s'articule autour d'une conversation -- un dialogue sans doute largement fictif, mais néanmoins plein de vérité -- avec un  médecin, où le lecteur qui n'est pas familier avec celle-ci un condensé de l’œuvre  malraucienne. Sans oublier quelques chats, dont celui du Cheshire, incontournables hôtes de passage...

lundi 6 août 2012

Rentrée

On peut donc, depuis quelques semaines, se procurer un recueil, en version électronique (ePub sans DRM), offert par l'éditeur Christian Bourgois qui, sur près d'une centaine de pages, nous propose des extraits des nouveaux romans de quatre de ses auteurs, soit Linda Lê, avec Lame de fond, Toni Morrison, avec Home, Keith Scribner avec L'expérience Oregon et enfin Enrique Vila-Matas avec Air de Dylan. Le tout sous le titre, excusez du peu, Rentrée littéraire automne 2012. Et on nous y annonce la date de mise en vente (en France, cela va de soi) desdits ouvrages, et on nous donne, outre quelques notes biographiques, des extraits des critiques qui ont accueilli la publication en langue originale ou une entrevue avec l'auteur.

Formule intéressante, un peu, je crois l'avoir déjà dit, comme les bandes annonces au cinéma.

Mais encore ?

Outre le fait qu'ils sont publiés par un même éditeur, les ouvrages du recueil n'ont rien en commun. Je dirais même que la lecture successive des extraits de Keith Scribner et de Toni Morrison, cruelle pour le premier, illustrent à la perfection la différence entre un produit et une œuvre littéraire. L'expérience Oregon se vendra, connaîtra un grand succès, et il y a fort à parier que les droits d'adaptation au cinéma ou à la télévision ont déjà été retenus par quelque grande société de production; tout est parfait dans ce roman, n'y manque aucun adjectif ni adverbe, le lecteur y voit tout, y entend tout, chaque dialogue est à sa place, assez d'information pour renseigner le moins informé, le sujet d'actualité avec la juste d'ose d'insécurité et de bien-pensance. Comment en irait-il autrement, l'auteur enseignant le creative writing à Stanford... Bref, la perfection dans l'ennui : autant attendre la version télévisée avec son lot de stars plastifiées. Par comparaison, lisez trois paragraphes de Home de Toni Morrison, et vous serez happés par l'histoire, par la violence atroce de la ségrégation raciale; d'emblée vous êtes dans la littérature, et vous savez que la lecture de ce roman vous amènera ailleurs. Vivement, donc, le 23 août.

Je lirai peut-être le Vila-Matas, que j'ai déjà fréquenté il y a une dizaine d'années, mais dont j'ai fini par me lasser. Cette note tirée de Wikipedia illustre bien la raison de cette lassitude :  « L’œuvre de Vila-Matas apparaît comme un exercice virtuose et ironique, où l’auteur, tel un funambule confronté au vide d’une « littérature qui parle de littérature », s’installe dans une véritable mise en abîme peuplée d’êtres réels ou fictionnels sur lesquels planent les anges tutélaires de Larbaud, Bove, Walser, Kafka... ». Virtuosité certes, mais exercice quand même, et ces jours-ci, je préfère me promener du côté de Stendhal plutôt que de Flaubert : un peu plus de vie, un peu moins d'art pour l'art... Pourtant, il y a quelques chose qui m'attire dans ce côté Hamlet du roman, de la fascination pour l'échec du héros...

Pour ce qui est de Linda Lê, et de son cadavre narrateur...






dimanche 5 août 2012

La révolution de l'amour

Luc FERRY, L'invention du mariage d'amour et de la famille moderne, France Culture, le dimanche 5 août 2012.



C'est une discussion que j'ai souvent, presque toujours à la grande surprise de mes interlocuteurs, et encours leur désaccord, à l'affirmation que le mariage d'amour est d'une invention récente et, comme on le dit en philosophie, un « discours » construit, une idéologie.

mercredi 1 août 2012

Les dimanches de Jean Dézert

Jean de La Ville de Mirmont, Les dimanches de Jean Dézert 

Éditions ePagine, juillet 2012 (101 pages); sous format ePub sans DRM.

Les retours de vacances ne sont pas sans surprise, où rentré le lundi matin d'une belle semaine à la campagne, les pieds dans l'eau et la Restauration à la main, l'on passe sans transition presque de la chaise longue au lit, la grippe s'étant invitée sans prévenir. C'est une toute autre chaleur qui nous y condamne, nous coupant non seulement du monde, mais aussi, pour cause de fatigue, du livre, ce qui, en un sens, est bien pis.

C'est quand même avec joie que j'ai accepté, d'un clic, l'offre de téléchargement gratuit de la librairie ePagine qui, ainsi, se lance, et fort joliment, dans l'édition de livres électroniques. Je vous garantis quelques heures de belle lecture, et de promenades dans un Paris d'il y a un siècle, en compagnie de ce très anonyme Jean Désert, petit fonctionnaire, et libre à vous de voir si nos mœurs bourgeoises ont si changé en dépit de l'irruption dans notre quotidien ces mille objets techniques dont nous ne pouvons plus nous passer. Y compris, faut-il le rappeler, une bonne liseuse...

Voilà une prose comme je les aime, simple et fine, belle petite histoire urbaine qui, par sa chute, nous amène du côté de la nouvelle. Chose certaine, bien éloignée de tous les pavés estivaux usuels...

Présentation de l'éditeur :
« Peut-être parce qu’il n’a pas cherché à « faire carrière » en littérature, Jean de La Ville de Mirmont, mort au front en 1914 à quelques jours de son vingt-huitième anniversaire, est aujourd’hui beaucoup moins connu que Louis Pergaud, Alain-Fournier ou Charles Péguy, victimes eux aussi de la Première Guerre mondiale. Et pourtant, pour tous ceux qui l’ont lu, Les Dimanches de Jean Dézert figure parmi les romans les plus surprenants du début du XXe siècle. Remis au goût du jour par Bernard Grasset en 1929, puis redécouvert par Michel Suffran dans les années 60, il a traversé le temps, passant de bouche à oreille et de main en main.

» C’est dans les années 90 que j’ai repéré ce roman dont la douce ironie et la politesse du désespoir m’ont rappelé certains personnages d’Emmanuel Bove, ou encore le Bartleby de Melville. Quant à l’écriture simple voire minimaliste de ce livre, la « singulière banalité » de Jean Dézert, le lyrisme discret et le regard distancié de l’auteur, je les ai vus d’emblée comme précurseurs de l’œuvre de Robert Pinget ou des premiers romans de Jean-Philippe Toussaint.

» Alors que je travaillais à la librairie Les Sandales d’Empédocle à Besançon, je conseillais souvent aux clients de partir à la rencontre de Jean Dézert, ce jeune homme solitaire, cet employé sans épaisseur ni fantaisie, qui a toutefois une passion dérisoire dans sa vie ordonnée : attendre le dimanche et, en suivant les prospectus publicitaires amassés la semaine, traverser le Paris de la Belle-Époque, à pied ou en métro, en tramway à vapeur ou en train électrique. De Saint-Michel à la rue de la Gaîté en passant par la Gare du Nord, Jean Dézert fera toutes sortes d’expériences et rencontrera sur son chemin une fantasque jeune fille qui viendra bousculer ses notions et ses habitudes... Je n’en dirai pas plus. Je vous laisse maintenant entrer dans la chambre au plafond bas de la rue du Bac et rejoindre la communauté des « dézerteurs » ! »