samedi 25 mai 2013

Feu Georges

Philippe MEYER, Chronique du 24 mai 2013, France Culture : Hommage à Georges Moustaki.




Voici un tombeau qui ne donne pas dans les clichés habituels des éloges posthumes, et nous donne l'impression, ces quelques phrases actualisant notre souvenir des chansons d'hier, de l'avoir un peu connu, le cher Georges.

mardi 21 mai 2013

Feuilleton

AYERDHAL, Rainbow Warriors épisode n° 1, Au Diable Vauvert, mars 2013; livre disponible sur supports papier et électronique.

L'essentiel de la littérature romanesque du premier XIXe siècle, on l'a oublié, paraissait en feuilletons dans des journaux et on les lisait au café. On se demande si Internet ne relancerait pas ce mode de diffusion. L'éditeur Au Diable Vauvert publie ainsi en sept épisodes le récent roman de l'auteur à succès de science-fiction et de thrillers. Le premier était même offert gratuitement sur le site ePagine, offre dont je me suis prévalu. La présentation de l'éditeur vous apprendra tout ce que vous voudrez bien savoir sur l'ouvrage. Beaucoup d'adverbes, beaucoup d'adjectifs, des dialogues à la San Antonio prêts pour l'adaptation cinématographique, des personnalités politiques facilement reconnaissables, de l'action... que peut-on demander de mieux pour la plage que ce fast food littéraire ? L'avantage de la version électronique est que vous n'aurez pas à vous coltiner ce pavé de 523 pages. Pour moi, un épisode aura suffi... Que voulez-vous, à presque soixante ans, on ne se refait plus !

Présentation

« Mis à la retraite sur requête du bureau ovale, le général de division Geoff Tyler se voit proposé par l’ancien secrétaire général des Nations Unies de reprendre du collier à la tête d’une armée privée financée par des célébrités de toutes obédiences. Son objectif : renverser le dictateur d’un État africain, soutenir le gouvernement transitoire le temps de la rédaction d’une constitution démocratique, et permettre la tenue d’élections en bonne et due forme. Ses moyens : à lui de les définir, l’argent n’est pas un problème. Son effectif : Un encadrement d’une centaine de professionnels et 10 000 soldats dont il faut parfaire la formation. Jusqu’ici tout va bien. Il y a toutefois un détail. Cette armée est presque exclusivement constituée de LGBT. Lesbian, Gay, Bi, Trans. Alors que le mariage et l’homoparentalité pour tous font encore débat, Ayerdhal nous pousse au-delà de nos limites et nous plonge avec humour au cœur de thèmes férocement actuels : l’ingérence militaire sous prétexte humanitaire, la solidarité à l’échelle mondiale d’un groupe stigmatisé/discriminé/persécuté, la défense sans concession des Droits de l’Homme… Cette fiction plus vraie que nature interroge avec une impertinence jubilatoire. Et si l’engagement d’individus non directement concernés, aux côtés de populations persécutées, pouvait modifier le destin du monde ? Comme toujours, Ayerdhal questionne notre "nature humaine" et jamais un roman n’avait suggéré avec autant d’impact à quel point le désir de liberté et la lucidité sur les intérêts géopolitiques peuvent changer notre monde. Passionnant de bout en bout, inclassable et, surtout, drôle, Rainbow Warriors nous fait passer du sourire à la réflexion, de la cocasserie à la stratégie militaire, de la comédie à l’empathie et de l’aventure au drame, dans une jubilation constante. »

Foglia, ma gloire

Pierre FOGLIA, Communicons, La Presse, 21 mai 2013.

Je viens de comprendre ce que je dois faire pour attirer des lecteurs (ou, à tout le moins, des visiteurs) : citer Foglia. Ils me pardonneront ce titre racoleur à la Duras et à son Hiroshima, mon amour -- lequel, digressons un peu, suscita  naguère le commentaire suivant de Marguerite Yourcenar : « Et pourquoi pas Auschwitz, mon chou ? ».

Consultant de temps à autres leur nombre, qui tourne en moyenne autour de 25 par article, je vois ce nombre bondir -- doubler ou tripler -- quand je cite l'indispensable atrabilaire de La Presse, dont je ne manque moi-même plus jamais (grâce à mon abonnement au fil RSS) un seul billet. Ce qui prouve, tristement, qu'il a bien raison : de nos jours, il suffit d'agiter l'information...

Tous mes remerciements, néanmoins, aux quelques dizaines de fidèles qui suivent -- ou visitent -- mes divagations littéraires.

Et lisent.

lundi 20 mai 2013

Coup double

La chronique de Philippe MEYER, France Culture, le 17 mai 2013.




Vous prendrez bien trois petites minutes de votre Précieux Temps, lequel on le sait vaut son pesant d'or, mais que vous rapportera de thésauriser toujours plus si vous vous privez de petits plaisirs éphémères tels celui que vous procurera, je vous le promets, l'écoute de la chronique ? Pas besoin de changer de page, tout se passe ici-même : un clic sur la petite flèche, et c'est parti. Du bonbon, je vous le garantis.

Il y est question du petit récit de Didier da Silva et, pour en savoir un peu plus, rapportez-vous au texte de présentation de l'éditeur.

Didier da SILVA, Une petite forme, dessins de François MATTON, P.O.L., Paris, janvier 2011 (112 pages); versions papier ou électronique.

Du bonbon aussi que ce bref récit d'une vie de galère, on plaint l'auteur, mais il faut bien gagner sa croûte -- du beurre pour les épinards et, à l'occasion, assez de numéraire afin de se payer, pour peu qu'elle soit callipyge, telle partie charnue de l'anatomie de la crémière --, lequel donne, si j'ose dire, dans le replâtrage de romans d'amour, dont la fonction est de titiller la bourgeoise (le bourgeois aussi, car j'en connais qui explorant le nuancier de Gray se laissent volontiers émoustiller, désolés toutefois de ne pouvoir en tirer toutes les satisfactions voulues, le poids du pavé en empêchant la lecture d'une seule main) et d'enrichir les éditeurs et, si tant est qu'ils (elles) existent, les auteur(e)s. Il n'y a pas, Saint Marx, que le prolétariat qui soit aliéné, on le plaint, le cher homme, de tout notre cœur.

La lecture de ce vif opuscule vous procurera une bonne heure de plaisir à ajouter à celui découlant de l'émission mentionnée ci-dessus.

Présentation

« Le texte de Didier da Silva met en scène un personnage dont le métier, il est  "travailleur à domicile", consiste à corriger de stupides romans d'amour, et que cela déprime – on le comprend. Il se livre donc à une suite de considérations désabusées sur la vie et sa vie, pleines d'humour et d'auto-dérision, de lucidité. C'est drôle et touchant, juste, discrètement désespéré. Les dessins de François Matton qui constellent ce récit, qui parfois l'interrompent, lui font un écho très réussi, joliment dévié parfois. »

vendredi 17 mai 2013

Citation

La bêtise

Un extrait du billet de Pierre Foglia intitulé Burlington, La Presse, 16 mai 2013 :
« PÉPÈRE LA VIRGULE - Exposition au Musée des beaux-arts de Montréal, Pérou : royaumes du Soleil et de la Lune. Affiches, livre, site internet, vous êtes-vous demandé pourquoi un "S" à royaumes ?

Une lectrice, Isabelle Tanguay, a eu la curiosité d'appeler au musée. Pourquoi un "S" ?

C'est parce qu'il y a deux royaumes, lui a-t-on répondu, celui du Soleil et celui de la Lune.

Euh, comme ça, si j'écris par exemple, mon amie, mère de Louise et de Jessica, je dois mettre un "S" à mère ?

Quand les Péruviens feront une exposition sur le Québec, Québec : royaumes de la poutine et des ratons laveurs, ils devront mettre un "S" à royaume ?

Ouin... a répondu la voix au téléphone.

Vous ne verrez peut-être pas le rapport, mais ce "S" à royaumes est l'illustration de ma chronique de samedi, dans laquelle je disais freaker comme un fou sur la fin de l'écriture.

Moins à cause du "S" que du ouin. »
La bêtise...

Tous les matins, presque, j'écoute les trois petites minutes de la chronique de Philippe Meyer sur France Culture (pour une fois, je ne mets pas le lien, il est tard, et il me tarde d'aller me coucher et de lire quelques pages d'Un amour de Swann, alors, hop, lecteur, un petit tour de Google et tu y es, encore un effort). Il la conclut par un « Le ciel vous tienne en joie ». Vialatte, les siennes, on ne pourrait plus le faire, les fatwas se ramassant à la pelle, par « Et c'est ainsi qu'Allah est grand. ». Pour moi, j'ai souvent recours au « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » d'Aragon. Il me semble qu'il manque une chute aux textes de Foglia. Histoire de les mettre « en perspective »...

Il y a beaucoup de bêtise dans les romans Proust -- Cottard, les Verdurin... --, mais on en rit, et puis on se dit que c'est de la littérature, du roman. Foglia, c'est notre vraie vie, on ne peut pas en rire, de notre vie citoyenne. C'est pour cette raison qu'il lui faudrait une chute, Foglia, à ses textes, car la nôtre est terrible et cruelle.

Seule consolation, disait quelqu'un, je ne me souviens plus qui et n'ai pas, à cette heure, envie de chercher, on n'en sort pas vivant...

jeudi 16 mai 2013

Les cent ans du Côté

On vous aura prévenu, 2013 est l'année du centenaire de la parution du premier volume de la Recherche du Temps perdu, Du côté de chez Swann (14 novembre). Et  l'on en parlera, ici au moins autant qu'ailleurs, et peut-être même un peu plus. Ayant mis le lecteur numérique en pause, je vous informe incontinent de la diffusion, hélas unique, sur TV5, de l'émission La grande librairie consacrée à cet anniversaire. Le lien vous ouvre la page web de l'émission, mais, histoire de droits de diffusion, vous ne la pourrez regarder. Vous y trouverez toutefois les noms des invités et de leurs ouvrages, savoir Jean-Yves Tadié, Antoine Compagnon, Raphaël Enthoven et Évelyne Bloch-Dano. En revanche -- et quelle belle revanche -- on l'a trouvée sur YouTube (l'animateur, François Busnel, est toujours aussi agité à tressauter comme un cabri, on fait avec, nous avons bien Mlle Bombardier qui sévit encore...) :




Les larmes d'Ulysse

Roger GRENIER, Les larmes d'Ulysse, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, octobre 1998 (184 pages).


Le beau livre d'Akira Mizubayashi refermé, j'ai repris, dans la foulée et ma bibliothèque -- petit jeu, ici, avec une figure de style que je vous laisse le soin d'identifier, preuve que ces pages savent être ludiques  --, celui de Roger Grenier, qui remonte à quelques années, et avec autant de plaisir, tout « chat » que je soie. Tout sur le chien en littérature et pour les « gendelettres », tel serait mon gazouillis si je donnais dans la concision. Et, ma foi ! j'y donnerai, me contentant, outre ma recommandation d'usage de bien vouloir lire l'ouvrage en cause, de vous en citer le dernier chapitre :
« Et si la littérature était un animal qu'on traîne à ses côtés, nuit et jour, un animal familier et exigeant, qui ne vous laisse jamais en paix, qu'il faut aimer, nourrir, sortir ? Qu'on aime et qu'on déteste. Qui vous donne le chagrin de mourir avant vous, la vie d'un livre dure si peu, de nos jours. »

Présentation

« Beaucoup de chiens s'appellent Ulysse. Mais le chien d'Ulysse, comment s'appelait-il ? Argos. Il attend son maître dans des conditions moins confortables que Pénélope. Toujours prudent, le roi d'Ithaque, quand il aborde enfin son île, s'est rendu méconnaissable, avec la complicité d'Athéna. Et pourtant, Argos le reconnaît.
"Négligé maintenant en l'absence du maître, il gisait, étendu devant le portail, sur le tas de fumier des mulets et des bœufs où les serviteurs d'Ulysse venaient prendre de quoi fumer le grand domaine ; c'est là qu'Argos était couché, couvert de poux. Il reconnut Ulysse en l'homme qui venait et, remuant la queue, coucha les deux oreilles : la force lui manqua pour s'approcher de son maître.
Ulysse l'avait vu : il détourna la tête en essuyant une larme..."
Poséidon, avec l'esprit vindicatif qu'on connaît aux dieux, s'était en vain acharné sur Ulysse. Mais lui arracher une larme n'a été donné qu'à son vieux chien. »

mardi 14 mai 2013

Mélodie - Chronique d'une passion II

Akira MIZUBAYASHI, Mélodie - Chronique d'une passion, préface de Roger GRENIER, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, février 2013 (280 pages).

Bien sûr le vie d'un chien est bien moins longue que la nôtre, et l'on s'attache. Voici un récit de vie de deux animaux, l'un de l'espèce canine, l'autre de l'espèce humaine, et chronique d'une passion, soit celle d'une grande souffrance ouverte le 2 décembre 2009, inextinguible, et celle d'un grand amour qui a duré douze ans et trois mois, inoubliable. La passion de Mélodie, une golden retriever.

Mélodie dont on avait, furtivement, fait la connaissance dans le précédent récit de Mizubayashi, Une langue venue d'ailleurs.

Il y a : la naissance, le premier repas, la première promenade, le parc de la Philosophie, le jardin-cimetière Hyakkannon « avec ses cerisiers, ses érables et ces Cent statuettes de la Déesse miséricordieuse » et le parc de la Forêt paisible; une portée de petits chiens ; des jeux, des absences, des attentes : un regard, toujours le regard ; et puis un jour, ce jour...

Il y a : le côté musical qui nous amène de l'air de Mozart, « Ch'io mi scordi di te - Non temer, amato bene -- Que je t'oublie ? - N'aie crainte, toi que j'aime » --  (K. 505) jusqu'aux dernières mesures de l'Adagio, Sehr langsam un noch zurückhaltend (Très lent et encore retenu) de la neuvième symphonie de Mahler.

Il y a  : « Toutes les nuits du monde ne se ressemblent pas » comme  un écho au roman de Pascal Quignard, « Tous les matins du monde sont sans retour ».

Il y a : Fragments échappés du portefeuille du compagnon d'une chienne -- sept extraits du Journal.

Il y a : la fidélité ; celle du chien Hachi « transformé en statue » qui, pendant dix ans après la mort de son maître, l'attendit, tous les jours à la sortie de la gare de Shibuya ; celle d'Argos, le seul à reconnaître Ulysse à son retour à Ithaque : « Là donc était couché le chien Argos tout couvert de poux. Alors, quand il reconnut Ulysse qui était près de lui, il agita sa queue et laissa retomber ses deux oreilles ; mais il n'eut pas la force de venir plus près de son maître. Celui-ci, à sa vue, se tourna pour essuyer une larme [...]. » ; celle de Bobby, qui, au camp de concentration, reconnaissait l'humanité déniée par les bourreaux : « Et voici que, vers le milieu d'une longue captivité [...] un chien errant entre dans notre vie. Il vivotait dans quelque coin sauvage, aux alentours du camp. Mais nous l'appelions Bobby, d'un nom exotique comme il convient à un chien chéri. Il apparaissait aux rassemblements matinaux et nous attendait au retour. Sautillant et aboyant gaiement. Pour lui -- c'était incontestable -- nous fûmes des hommes »; celle, enfin, du couple du film Les visiteurs du soir transformé en statue de pierre et don le cœur « triomphant du Temps » continue de battre depuis 1942.

Il y a : le chien du tableau de Goya du Prado, qui me fait penser à la Winnie de Oh les beaux jours de Beckett, minuscule tête émergeant du sable, seule présence infime mais capitale dans le vide absolu de la toile ; et son grand œil noir dirigé vers le haut.

Il y a : Céline et Bessy, sa chienne, avec son « style » : « Oh, j'ai vu bien des agonies... ici... là... partout... mais de loin pas des si belles, discrètes... fidèles... ce qui nuit dans l'agonie des hommes c'est le tralala... l'homme est toujours quand même en scène... le plus simple... » ; et Claudel aussi : « tous les animaux sont morts, il n'y en a plus avec l'homme. »

Il y a : une bien mauvaise expression qui dit « une vie de chien », et à ce compte, pourquoi pas dire « une vie d'homme » : sommes-nous mieux lotis ? Pour tout cela, blâmons Descartes, et sa « machine », regardons plutôt, comme le fait l'auteur, du côté de Montaigne. Et de Rousseau aussi, sans doute. Ça c'est pour le côté philosophie du livre, où l'on pourra, ou non, suivre l'auteur, surtout s'agissant de « l'état de nature, du règne du droit naturel », de la liberté et de quelques réflexions plus ou moins heureuses.

Il y a : un livre beau.

Présentation

« Dans un placard dont on a fait un sanctuaire ne ressemblant en rien à un sanctuaire et qui abrite discrètement quelques âmes inoubliables et inoubliées, il y a une petite boîte en bois laqué pour le thé en poudre. Elle contient une toute petite portion des cendres de mon père que j’avais prélevée dans son urne avant qu’elle ne fût mise en tombe. Lorsque j’ai préparé cette boîte mortuaire il y a déjà dix-huit ans, j’ai osé prendre une pincée de miettes d’os pour en goûter. Bientôt, je crois que j’en ferai autant pour Mélodie dont je garde toujours l’urne près de moi sur l’emplacement exact de son matelas. Je me procurerai une autre boîte en bois laqué pour y mettre quelques cuillerées de poudre d’os et une partie de l’omoplate ou d’une côte. Le reste sera répandu dans le jardin ou ailleurs pour retourner à la terre. »

dimanche 12 mai 2013

Vanité

Louis-Ferdinand CÉLINE, Lettres à Henri Mondor, Le Cercle de la Pléiade - Gallimard, Paris, mars 2013 (170 pages).

Les éditions Gallimard viennent de faire imprimer 2 000 exemplaires hors commerce sur Rives Vergé, réservés aux membres du Cercle de la Pléiade, de ce qui constitue l'édition originale des lettres de Céline à Henri Mondor. J'en ai dit quelques mots dans l'Apostille n°24.

Beau papier en effet que ce Rives Vergé, belle composition : un vrai livre à l'ancienne !

Vanité, vanité : celle des grands hommes, mais des petits aussi, pas d'illusions là dessus, surprendra toujours. Les premières lettres voient Céline, encore dans son exil danois, communiquer avec le Dr Henri Mondor, lui aussi chirurgien et homme de lettres, qui se propose de l'aider à faciliter son retour. Quelques années plus tard, revenu en France, Céline fera tout pour entrer de son vivant dans la Pléiade, du moins ses deux premiers romans, le Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Mondor accepte de signer la préface, que de récriminations contre les atermoiements reprochés à Gaston Gallimard... Le volume ne paraîtra finalement qu'en 1962.

Intéressant, et important, passage, en post-scriptum, sur son « style » :
« L'essentiel, je crois, tout au moins il me semble !... il m'a semblé !... L'origine de cette façon, de ce style un petit peu nouveau... du petit « truc »... La tradition veut qu'au « début était le verbe » : je dis non ! « au début était l'émotion » ! L'amibe qu'on effleure ne parle pas, elle se rétracte, elle est émue... Notre parler est beaucoup trop verbeux à mon sens et nos écrits... [...] La toute petite nouveauté du « Voyage » est peut-être cette façon de retrouver l'émotion du langage parlé à travers l'écrit... Le fond, l'histoire à mon sens, importe peu, je ne suis que styliste tout au moins j'ai essayé de l'être. Évidemment, il faut un fond, une histoire, hélas ! je le regrette, mais il le faut ! Je n'ai pas éludé, triché... [...] Quant à la vocation littéraire, je ne l'avais pas du tout... j'avoue... j'étais médecin, je le suis encore... Il parait que je sais faire tourner les tables, tant s'en vantent et ne savent pas ! Mais pour cela dois-je aimer faire tourner les tables ? que non ! don et vocation sont deux choses... espèce de chroniqueur je suis devenu par l'effet des événements. Cette petite malice de style horripile bien des personnes... je ne vais point pour cela me comparer à Cézanne ou Van Gogh... ces gens que j'horripile ont peut-être raison... »

Post-scriptum qui n'a rien à voir :

Aux abonnés du blog :

Depuis quelques temps, je tiens sur une nouvelle « page » du blog, nommée Apostilles, ce que je pourrais pompeusement appeler des carnets, où je verse, audace, outre des notes un peu plus personnelles « sur » la lecture et les livres, quelques récits que je m'enhardis à commettre.

Sur abonnement, vous ne recevez par courriel que les textes des Scolies, soit la page principale -- dite d'accueil. Si l'envie vous prenait, ou la curiosité, de lire ces notes, vous devrez ouvrir Les cendres et le plumeau dans votre fureteur puis, sous le titre, cliquer sur l'onglet « Les apostilles ».

Merci de votre fidélité,

C. B.

vendredi 10 mai 2013

Gatsby le magnifique

Francis Scott FITZGERALD, Gatsby le magnifique, in Romans, nouvelles et récits (2 tomes n° 581 et 582), Bibliothèque de la Pléiade - Gallimard, traduit de l'anglais par Philippe Jaworski, Paris, septembre 2012 (1648 et 1792 pages); il existe plusieurs autre éditions papier, audio ou électroniques.

Grand amateur de nouvelles, je me laissai tenter, il y a quelques mois, par l'édition de la Pléiade et plongeai directement dans un des œuvres les plus connues de Fitzgerald et, du moins à titre posthume, la plus populaire, le court roman Gatsby le magnifique. L'autre raison fut l'imminente sortie de l'adaptation qu'en a fait Baz Lurhmann, dont la bande annonce me fit redouter le pire, dont il est largement capable, surtout en 3D, mais ne digressons pas.

Devenu un classique, étudié et commenté, le roman est victime de la malédiction du tardif intérêt et, comme son auteur, des lieux communs rabâchés : un ouvrage dont on parle, mais qu'on ne lit pas d'un auteur à la réputation sulfureuse, alcool, sexe et tout ce qu'il faut pour titiller les gazettes. La « pléiadisation » confère par ailleurs un statut particulier à l'élu de la collection : nul n'entre pas impunément à demeure au Musée...

Qu'on se détrompe, il s'agit ici d'une œuvre encore bien vivante, et dont, je l'avoue, je ne soupçonnais pas l'effet qu'il produirait chez moi. Notamment par son traitement et son style. Et c'est un roman profondément américain fait d'oppositions : le vrai et le faux, les apparences et la réalité, la côte Est et l'Ouest, le raffinement et la vulgarité, le vieil argent et le parvenu, le passé et l'avenir, sans parler des personnalités des personnages, très souvent doubles.

Le style : Fitzgerald a composé son roman en réaction au réalisme des ouvrages en vogue à l'époque, appelant de riches images visuelles ou sonores (Voir le passage cité dans l'Apostille Vingt-Sept). La structure : l'histoire de Gatsby nous est racontée par un narrateur qui ne l'aime pas beaucoup :
« ... [Gatsby]... représentait tout ce pour quoi j'éprouve le mépris le moins affecté qui soit. Si la personnalité est une suite ininterrompue de gestes réussis, alors il y avait chez lui quelque chose de somptueux, une sensibilité aiguë aux promesses de la vie, comme s'il était relié à l'une de ces machines complexes qui enregistrent les séismes à dix mille kilomètres de distance. Cette réactivité [...] était une prodigieuse disposition à l'espoir, une aptitude au romantisme dont je n'ai jamais rencontré l'équivalent chez quiconque, et que je ne retrouverai sans doute jamais. »
De quoi s'agit il au juste, avec ce Gatsby ? Il est riche, donne de somptueuses fêtes, mais cette richesse ? Nous sommes en 1922, les années folles, les années jazz, peu de temps après la guerre, qui a laissé des traces vives chez ceux qui ont combattu, mais lui, y a-t-il seulement été ? D'où vient-il, sa famille ? Et qu'attend-il de Daisy, si mal mariée à Tom, son très wasp et forcément antisémite époux, et qu'il semble vouloir séduire ? Tout cela sous les yeux, bleus et gigantesques, du docteur T. J. Eckleburg, dont la rétine mesure un mètre de haut : « Ce sont des yeux sans visage qui vous regardent derrière une paire d'énormes lunettes jaunes posées sur un nez inexistant » -- on l'aura deviné, un énorme panneau publicitaire sur la route de West Egg où se passe l'action.

Tom et Daisy brillent... Gatsby est attiré, il se perdra :
« C'étaient tous deux -- Tom et Daisy -- des insouciants, ils cassaient les choses et les êtres, puis allaient se mettre à l'abri de leur argent, ou de leur prodigieuse insouciance, ou de ce qui les liait l'un à l'autre, et ils laissaient à d'autres le soin de nettoyer les saletés qu'ils avaient faites... »
Histoire banale, sans doute, du parvenu d'origine obscure, et que le vrai monde qu'il a la prétention de vouloir pénétrer finira par détruire. Mais le propre de la littérature, ce n'est pas de raconter des histoires, mais une manière de les raconter. Et avec Gatsby, Fitzgerald a très bien su comment raconter.

Lire et relire.

samedi 4 mai 2013

Dans la maison

François OZON, Dans la maison, scénario de François OZON, France, 2012 (lien Facebook).




Je viens de retrouver, ce soir, l'émerveillement que, de plus en plus rarement, le cinéma peut provoquer. Ce que François Truffaut avait réussi pour le cinéma avec La nuit américaine et pour le théâtre avec Le dernier métro, François Ozon le fait pour la littérature avec Dans la maison. Avec en plus une histoire de mœurs bourgeoises à la Chabrol, perversion et tout.

Tout fait sens dans ce film, l'image et le texte (celui qui est parlé, comme celui qui est lu) s'appuient l'un sur l'autre comme cela ne se fait plus. Le spectateur passe, comme dans un jeu de poupées russes, de la scène que les personnages vivent « dans leur vie » à celle qu'ils jouent au gré de ce qu'écrit le jeune protégé -- il a un don -- du personnage principal, professeur de littérature, M. Germain (tenu par Fabrice Luchini). Il leur arrive aussi d'intervenir en tant qu'eux-même dans le récit fictif. Ça c'est du cinéma : du faux qui fait du vrai en jouant du faux qui imagine du vrai. C'est comme dans un livre : le spectateur veut savoir comment ça va finir : comme quoi, avec de la littérature et une toute petite histoire, on peut aussi créer du suspense (et pas que fabriquer des briques pour émoustiller le bourge à la E. L. James -- lequel produit poursuivra, comme il se doit, sa carrière de navet au cinéma).

Du vrai cinéma, où l'image dit quelque chose. Ainsi au premier plan, M. Germain est assis, dans le lycée Gustave-Flaubert, dos à une large baie vitrée ouverte sur un vaste espace vide -- rien; au dernier plan, il est assis dans un parc face à un ensemble domiciliaire fait d'une multitude de fenêtre donnant sur des intérieurs où des personnages s'agitent -- il peut y voir autant de réalités et imaginer autant d'histoires, de scenarii : on est du côté d'Alfred Hitchcock avec Rear Window. Que dire des miroirs placés au fond des pièces devant lesquels les personnages vivent/jouent ? Certes le professeur nous récite un peu de Lafontaine, à la Luchini, comme il se doit, mais il sera assommé par un gros livre : le Voyage au bout de la nuit, lui qui a passé l'été à lire du Schopenhauer !

En plus, un coup de griffe coquin à l'art actuel.

Luchini tout en subtilité, enfin « dirigé »; Kristin Scott Thomas et Emmanuelle Seigner à la « peau douce » filmées comme par Truffaut, encore.

J'ai rédigé ce texte dans la hâte sitôt la projection terminée... Les repentirs viendront plus tard, en apostilles, mais l'enthousiasme pour le film ne faiblira pas (je n'ai pu m'empêcher de revoir aussitôt quelques scènes...) : on ne tombe pas en désamour d'une telle œuvre.

Maintenant, sortez, allez au cinéma... je vais, pour moi, poursuivre en rêve.


Synopsis

« Claude Garcia, un jeune lycéen passionné par l'écriture, remet à son professeur, M. Germain, le récit de sa visite dans la maison de son ami Rafa, auprès de la famille de ce dernier. De plus en plus indiscrets, les récits sont bientôt suivis par d'autres, alors que Claude se rapproche de plus en plus de la mère de son ami, Esther. Devant cette démonstration de talent littéraire, mais aussi devant le malaise causé par cette intrusion presque indécente, M. Germain donne des conseils au jeune auteur, et se découvre même une passion pour ses récits. Une passion que partage d'ailleurs sa femme, une galeriste en préparation d'une importante exposition. »

vendredi 3 mai 2013

Citations

Estime de soi.


« On serait bien heureux si on pouvait s’abandonner soi-même comme on peut abandonner les autres. »

Mme du Deffand in Roger GRENIER Le veilleur, Gallimard, 2000

« Il suffit de peu de chose pour réveiller le mépris de nous-mêmes qui continuellement sommeille en nous, et quand cela se produit, il n’est pas de crétin, de crapule avec qui nous ne contractions dans notre for intérieur une alliance contre nous-mêmes. »

Arthur SCHNITZLER in Roger GRENIER Le veilleur, Gallimard, 2000

«… les idées se fatiguent, ou nous fatiguent. »

Roger GRENIER, Le veilleur, Gallimard, 2000

Mélodie - Chronique d'une passion I

Goya, Le chien, Musée du Prado

Akira MIZUBAYASHI, Mélodie - Chonique d'une passion, Préface de Roger GRENIER, L'un et l'autre - Gallimard, Paris, janvier 2013 (280 pages).

Ce tableau de Goya, Le chien, m'a bouleversé dès la première fois où j'en ai vu la reproduction sur une pochette de disque -- une version des Folia ; et le trouble est toujours demeuré aussi vif sans que je ne puisse me l'expliquer. Dame, je suis surtout « aux chats ».  Il n'empêche...

Cette image constitue le frontispice du récit de Mizubayashi que, mettant fin à mes récentes incertitudes littéraire, j'ai décidé de lire aussitôt. Avec, en parallèle, celui de Roger Grenier, Les larmes d'Ulysse, dont je constate qu'il manque à ce blog.

Preuve -- non, espoir -- que je ne présente pas que des livres « pour la tête » --  comme on m'en a encore fait, hier le reproche (mais on me taquine beaucoup...), l'intéressé se reconnaîtra .

Présentation

« Dans un placard dont on a fait un sanctuaire ne ressemblant en rien à un sanctuaire et qui abrite discrètement quelques âmes inoubliables et inoubliées, il y a une petite boîte en bois laqué pour le thé en poudre. Elle contient une toute petite portion des cendres de mon père que j’avais prélevée dans son urne avant qu’elle ne fût mise en tombe. Lorsque j’ai préparé cette boîte mortuaire il y a déjà dix-huit ans, j’ai osé prendre une pincée de miettes d’os pour en goûter. Bientôt, je crois que j’en ferai autant pour Mélodie dont je garde toujours l’urne près de moi sur l’emplacement exact de son matelas. Je me procurerai une autre boîte en bois laqué pour y mettre quelques cuillerées de poudre d’os et une partie de l’omoplate ou d’une côte. Le reste sera répandu dans le jardin ou ailleurs pour retourner à la terre. »



Mutatis mutandis

Citation et question

« La radio ne nous a pas faits plus sots, mais la sottise est devenue plus sonore. »
Jean Rostand.

Ne devrait-on pas actualiser pour la télévision ?

Et puis, oui, je l'avoue, j'avais envie de vous placer un « mutatis mutandis«  au moins une fois, souvenir de mon temps passé de rédacteur de lois.

Citation



Roland Dubillard, Carnets en marge, Gallimard, 1998.


« Je n'ai jamais rien écrit de valable qu'à partir du réel, réel rendu neuf ; réel dépoussiéré de ce qui le rend morne ; réel un peu décalé pour accuser le trait, poussé à des extrémités conformes à sa nature ; réel redevenu réel, après les traitements débilitants de l'habitude, paresse, conformisme, réel tiré du tombeau comme Lazare ressuscité, et, de ce fait, plus vivant que nature .»
Comme Lazare...