mardi 29 novembre 2011

Virilités grecques

Maurice SARTRE, Virilités grecques, in Histoire de la virilité, tome 1 : L'invention de la virilité - De l'Antiquité aux Lumières, volume dirigé par Georges VIGARELLO, Seuil, Paris, octobre 2011 (577 pages).

Plutôt que d'attendre d'avoir lu les trois tomes, j'ai décidé d'en faire le commentaire en feuilleton, ce qui, je n'en doute pas, vous tiendra en haleine pour les mois à venir.

Virilités grecques donc. Ou, comme on disait alors : andreia. Force musculaire manifestée avec courage au combat, mais avec ordre et discipline. Audace dans l'adversité et opiniâtreté face au mauvais sort -- les femmes peuvent faire preuve d'andreia. Dans la cité cependant, elle est est le fait du mâle, l'ensemble des qualités de l'homme-citoyen, et c'est dans la sphère publique qu'on peut la constater. L'éducation jouera donc un rôle majeur dans la formation de la virilité tant sur le plan « civique » que sur le plan physique.

L'éducation est, sauf pour les toutes premières années, l'affaire de la cité. L'exemple le plus connu est celui de Sparte, certainement le plus discuté par les anciens : on y encourage l'esprit de compétition et le sens de la solidarité. Il n'y a pas d'individu, tout est orienté vers le groupe. L'homme viril deviendra un citoyen-soldat; la pire honte sera pour lui de se dérober au combat, il sera déclassé aux yeux de tous pour avoir été un « trembleur ». L'éducation avait, pour les Athéniens, les mêmes objectifs, ceux-ci critiquant le fait que le système spartiate brimait la liberté individuelle et minait l'esprit d'initiative. À Athènes, l'éducation « favorise l'éclosion d'une pensée individuelle porteuse d'innovation intellectuelle... Elle dégage l'andreia de son contexte militaire et valorise d'autres aspects du comportement masculin, comme la maîtrise de la parole politique, autre forme de domination virile. »

Comme dans bien des sociétés, il convenait de marquer le passage de l'enfance à l'âge adulte, de la virilité potentielle à la virilité assumée : c'est le rite de l'initiation, la cryptie. Trois phases, selon l'auteur : « marginalisation, inversion, réintégration ». L'éphèbe doit en effet d'abord « quitter » la cité, vivre à l'écart de celle-ci pendant un certain temps. Pour ce qui est de l'inversion et des pratiques homo-érotiques comme élément constitutif de la virilité grecque, je laisse la parole à l'auteur :
« ... il convient de souligner ici deux choses : d'une part, relations sexuelles masculines et/ou travestissements s'intègrent à l'ensemble des pratiques d'inversion qui marquent la période d'initiation, d'autre part elles sont soigneusement encadrées par des dispositions légales. [...] Ni l'attirance physique ne semblent avoir part au choix d'un amant, et l'on insiste au contraire sur la nécessité de trouver un amant de rang social équivalent, et que distinguent ses qualités morales. [...] Durant cette phase, ... le jeune homme se comporte à l'inverse de ce qu'on attend de lui comme citoyen, comme si l'intégration dans le groupe des hommes devait être précédée d'un v voyage dans un autre monde où la ruse, la tromperie, la féminité étaient de règle. »
 Je ne puis me soustraire au petit plaisir anachronique d'imaginer une de nos demoiselles de Très Grande Vertu, Mlle B*** par exemple, transportée à Athènes à cette époque. Rappelons au passage que l'éromène aura entre 12 et 17 ans.

La dernière phase est la réintégration dans la cité, événement marqué le plus souvent par de grandes cérémonies publiques, dont nos graduations serait le lointain descendant.

La troisième partie de l'étude porte sur « Le mâle en son sexe », où le lecteur découvrira les critères de la beauté masculine, exprimée en art par la nudité; on notera au passage qu'un « petit sexe suggère la bonne éducation de son propriétaire. L'obscénité, selon les critères grecs, ne réside pas dans l'exposition des organes sexuels, mais dans le fait d'offrir un gland découvert ou une verge trop volumineuse comme celle des satyres de comédie. » La section portant sur la relation sexuelle est aussi très instructive :
« Pour les Grecs, l'objet du désir importe moins que la puissance de ce désir et la capacité de l'individu à lui donner satisfaction; on peut dire que la virilité consiste d'abord à satisfaire son désir. [...] Se combine en effet à cette priorité du désir une conception radicalement inégale de la relation sexuelle : celle-ci n'unit pas deux individus qui tentent de parvenir au plaisir tout en cherchant à satisfaire leur partenaire, mais bien entre un dominant et un dominé, on pourrait dire, plus brutalement, un pénétrant et un pénétré [...]. La virilité se situe clairement du côté du pénétrant. »
 La dernière partie traite enfin des relations entre le mâle et la femme, notamment en ce qui touche le dispositif matrimonial, la procréation, et la paternité. Du mariage, on attend la reproduction, ni le plaisir, ni l'amour, le sentiment ne se manifestant -- avec modération -- qu'en dehors de celui-ci, pour peu qu'il ne s'exerce pas envers une femme déjà marié, l'adultère étant fortement condamné.

Le lecteur qui voudra en savoir plus pourra aussi se reporter aux trois tomes de L'histoire de la sexualité de Michel FOUCAULT (Gallimard).

lundi 28 novembre 2011

« Je ne suis pas pareil aux autres »


André GIDE, Si le grain ne meurt in Souvenirs et voyages, Gallimard - Bibliothèque de la Pléiade n° 473, édition présentée, établie et annotée par Pierre Masson, avec la collaboration de Daniel Durosay et Martine Sagaert. Paris 2001 (250/1468 pages) -- et aussi en édition de poche.

Lire GIDE en 2011, qui le fait encore ? Que reste-t-il du Nobel de littérature en 1947 dont on disait qu'il était le « contemporain capital » ? Si son œuvre fut mise à l'Index en 1952 c'est maintenant lui qui se retrouverait aux enfers en raison de sa pédérastie. L'Algérie ne lui aura pas réservé que des découvertes touristiques, et j'imagine bien les cris offensés des nouvelles dames de Très Grande Vertu, s'il fallait que telle des ses œuvres, dont la présente, soient publiées aujourd'hui.

Paru en 1924, ce récit autobiographique couvre une vingtaine d'années de la vie de l'écrivain depuis sa petite jusqu'à ses fiançailles avec sa cousine Madeleine (Emmanuèle dans le livre) en 1895.

C'est avec beaucoup de plaisir que je retrouve le style de GIDE -- j'entame aujourd'hui le chapitre VI --, ma dernière fréquentation de celui-ci remontant à Paludes, que j'avais commenté, du temps de ma gloire radiophonique, pour marquer, à ma façon, le cinquantième anniversaire de sa mort; que l'on pourra trouver un peu vieilli avec ses passés simples et concordances des temps, mais d'une grande clarté, d'autant plus que pour l'auteur « mon récit n'a raison d'être que véridique. »
Portrait par Henry Bataille

Et sa douloureuse vérité, GIDE nous la dévoile dès la première page : la découverte du plaisir. Franchise, mais pudeur aussi, on n'est pas dans les excès de l'auto-fiction fin XXe...
« Je revois aussi une assez grande table, celle de la salle à manger sans doute, recouverte d'un tapis bas tombant; au-dessous de quoi je me glissais avec le fils de la concierge, un bambin de mon âge qui venait parfois me retrouver.
"Qu'est-ce que vous fabriquez la-dessous ? criait ma bonne.
-- Rien. Nous jouons." Et l'on agitait bruyamment quelques jouets qu'on avait emportés pour la frime. En vérité nous nous amusions autrement : l'un près de l'autre, mais non l'un avec l'autre pourtant, nous avions ce que j'ai su plus tard qu'on appelait "de mauvaises habitudes".
Qui de nous deux en avait instruit l'autre ? et de qui le premier les tenait-il ? Je ne sais. Il faut bien admettre qu'un enfant parfois à nouveau les invente. Pour moi je ne puis d ire si quelqu'un m'enseigna ou comment je découvris le plaisir; mais, aussi loin que ma mémoire remonte en arrière, il est là. »
Elle reviendront ces « mauvaises habitudes » tout le long de son enfance, le faisant même chasser de l'école. Quelques années plus tard, l'auteur connaîtra une véritable crise d'angoisse et s'écriera : « Je ne suis pas pareil aux autres. »

Le récit intéressera aussi pour son côté étude des us et coutumes : on y voit comment vit un certain milieu : la bourgeoisie protestante : les relations entre parents et enfants, avec les domestiques, l'éducation, les liens de sociabilité.

Témoin un passage du chapitre V qui m'a fait sourire. Après la mort de son mari, la mère de GIDE décide de déménager dans un appartement moins vaste; volent à son aide parentes et amies qui lui proposent tel quartier et rue « bien », mais, transigeant à regret sur l'étage, insistent sur l'absolue nécessité que l'immeuble fût doté d'une porte cochère.
« "Ce n'est pas une question de commodité, mais de décence."
Puis, voyant que ma mère se taisait, elle [ma tante Claire] reprenait, plus doucement, mais d'une manière plus pressante :
"Tu te le dois; tu le dois à ton fils."
Puis, très vite et comme par-dessus le marché :
"D'ailleurs, c'est bien simple, si tu n'as pas de porte-cochère, je peux te nommer d'avance ceux qui renonceront à te voir."
Et elle énumérait aussitôt de quoi faire frémir ma mère. Mais celle-ci regardait sa soeur, souriait alors d'un air un peu triste et disait :
"Et toi, Claire, tu refuserais aussi de venir ?"
Sur quoi ma tante reprenait sa broderie en pinçant les lèvres. »
Transposant en ce début du XXIe siècle, on songera aux équivalents des portes-cochères... Pour moi, je me souviens de la commotion que provoqua dans ma famille, à un certain dîner de Noël, le convive qui, inconscient de sa témérité, dit qu'il préférait la viande de la cuisse à celle de l'aile, provoquant ainsi un nerveux ballet entre la salle à manger et la cuisine où l'on se précipita en foule, nous laissant lui et moi à peu près seuls à table, et interdits, pour lui faire réchauffer à la minute un peu de brun de viande; chez nous le dindon n'avait que des ailes, et j'avais oublié -- ou négligé -- de l'en informer, le regard noir de ma sœur me poursuivit pour le reste de la soirée.

samedi 26 novembre 2011

Enfances

SEMPÉ, Enfances, entretiens avec Marc Lecarpentier, Denoël, septembre 2011 (300 pages).

Il s'agit d'un album -- je ferais bien une petite parenthèse sur l'utilisation vulgaire de ce mot comme équivalent, le plus souvent, de disque « le nouvel album de ... telle vedette », sous l'influence de l'anglais, mais je vais me réserver cette déploration pour un autre jour -- un peu différent car il présente un long entretien portant pour l'essentiel sur les souvenirs d'enfance de SEMPÉ; et un recueil de dessins réalisés, sur le thème de l'enfance, tout au long de la longue carrière du dessinateur.

J'ai toujours été sensible à l’œuvre de cet auteur, à son côté doucement mélancolique. Et charmé par ses confidences un peu naïves sur une enfance qui, sans être malheureuse, n'aura pas été très heureuse pour le petit SEMPÉ, enfant adopté, et qui semble avoir souffert du désintérêt montré par sa mère autant que des bagarres entre celle-ci et son père adoptif. Je ne vais certes pas faire du Sainte-Beuve -- ni de la psychologie de cuisine --, mais comment ne pas voir dans cette enfance l'origine du « ton » de SEMPÉ. Quoiqu'il en soit, je ne me lasse pas de feuilleter de loin en loin ces beaux albums, aux couleurs un peu passées, pleins de finesse et de charme.

mardi 22 novembre 2011

Après le livre (suite)

L'article de Pierre ASSOULINE (le Monde) sur le livre de François BON :  
François Bon a déjà tourné la page

Après le livre

François BON, Après le livre, www.publie.net, janvier 2011.

Je me suis mis depuis quelques temps au livre électronique -- proposera-t-on « livrel » sur le modèle de courriel et de pourriel ? Trouvant que la tablette iPad permet une lecture très agréable des principaux journaux et magazines (pour peu qu'ils aient adopté une bonne interface), j'ai décidé de faire le saut, si j'ose dire, vers le livre. J'ai tout d'abord téléchargé des livres techniques (sur le bridge, mon autre vice...), puis quelques titres libres de droit : Le temps retrouvé, La chartreuse de Parme, les Essais de Montaigne, ainsi que la pièce Mahomet de Voltaire, ce dernier en fac-similé.

J'apprécie tout particulièrement la possibilité de télécharger gratuitement à titre de « mise en regard » les premiers chapitres ou premières pages des titres les plus populaires, ce qui nous permet de nous faire une idée sur le « produit ». Ainsi, le Limonov d'Emmanuel CARRÈRE (que je n'achèterai pas), Le rabaissement de Philip ROTH (que j'emprunterai à la bibliothèque) et le Après le livre de François BON.

Par parenthèse, vous voudrez sans doute écouter le débat entre celui-ci et Frédéric BEIGBEDER dans le cadre de l'émission Répliques d'Alain FINKIELKRAUT, lequel cette fois s'est révélé en dessous de tout lors de cette discussion.

J'ai aussi décidé d'acheter l'essai de Pierre ROSANVALLON La société des égaux depuis le site ePagine.fr. Aurais-je eu la possibilité de le feuilleter avant de l'acheter, je m'en serais abstenu. Tout comme leurs frères de papier, les livres électroniques ne sont pas tous égaux... L'éditeur de ce titre n'a, à l'évidence, jamais ouvert un ordinateur ou une liseuse électronique, il voudrait décourager la lecture qu'il ne s'y prendrait pas autrement, belle illustration de ce genre d'autisme informatique si fréquent chez les Français, dont on connait le talent à créer des sites complètement user hostile (c'est en anglais, ils comprendront...). Figurez une page remplie de  haut en bas et de gauche à droite sans la moindre marge ! Encore une chance qu'on puisse modifier la grosseur de la police... Aucune possibilité de surligner ni de prendre des notes. Faut-il blâmer l'interface d'ePagine ou l'éditeur (le Seuil) ? Par comparaison, l'interface de iBooks (dans le giron du iTunes d'Apple) offre un grand confort de lecture : témoin, on peut choisir la couleur du « papier », la police, sa grandeur, surligner, prendre des notes, effectuer des recherches dans le texte ou Internet...

Autre référence, s'agissant de François BON, son blog Le tiers livre, où vous trouverez plusieurs articles fort intéressants, y compris d'utiles conseils pour l'achat d'une liseuse.

lundi 21 novembre 2011

Sous la direction d'Alain CORBIN, Histoire de la virilité, tome 1 : L'invention de la virilité - De l'Antiquité aux Lumières, volume dirigé par Georges VIGARELLO, Seuil, Paris, octobre 2011 (577 pages).

Je suis un de ceux qu'avait marqué L'histoire de la vie privée publiée dans la collection l'Univers historique des éditions du Seuil dans les années 80. Ainsi que par celle de la France urbaine et de la France rurale. À la lecture de la présentation de l'éditeur, je serais porté à croire que cette nouvelle histoire se situera à l'intersection des sphères privées et publiques du masculin. Je m'y plonge donc avec intérêt, ayant notamment en mémoire le récent débat sur le mâle québécois.
« LA VIRILITÉ POSSÈDE UNE TRADITION IMMÉMORIELLE : ELLE N’EST PAS SIMPLEMENT LE MASCULIN, MAIS SA NATURE MÊME, SA PART LA PLUS « NOBLE ».

» La virilité serait vertu. Elle viserait le « parfait », fondant sur un idéal de domination masculine une des caractéristiques des sociétés occidentales. Une puissance a été inventée, de la force physique au courage moral, imposant ses codes, ses rituels, sa formation.
» Tradition plus complexe pourtant, elle ne saurait en rien figer la virilité dans une histoire immobile. Les qualités se recomposent avec le temps. La société marchande ne saurait avoir le même idéal viril que la société militaire. Le courtisan ne saurait avoir le même idéal viril que le chevalier. La cour et la ville inventent des modèles décalés. Ce sont ces différences et ces changements que retrace ce premier volume, de l’Antiquité jusqu’aux Lumières, introduisant de l’histoire dans ce qui semble ne pas en avoir.
» Tradition sévère aussi, la perfection serait toujours menacée de quelque insuffisance : la force ne peut ignorer la fragilité. Reste une rupture marquante avec les Lumières : celle visant la domination elle-même. Une virilité nouvelle s’y affirme. L’ancienne ascendance est condamnée, les pères peuvent apparaître en « tyrans », alors même que rien ne conteste encore la domination sur le féminin. »

Le Roi et la Reine

Ramon SENDER, Le Roi et la Reine, (El Rey y la Reina, 1948, traduit de l'espagnol par Emmanuel ROBLÈS), dessins d'Anne CAREIL, Attila, Paris, 2009 (264 pages).

« L'homme est le roi. L'illusion de l'homme est la reine. Ensemble, ils forment la monarchie qui gouverne le monde. »
Tous les livres ne sont pas égaux. Certains ont été choyés par leur éditeur, et il me semble indiqué de remercier les éditions Attila d'offrir au lecteur de si beaux objets. Les même éditions, chez qui on retrouve Jacques ABEILLE dont Les jardins statuaires ont été ma fête estivale, nous permettent de découvrir un auteur espagnol fort peu connu en version française, Ramon SENDER (1901-1982) dont ce roman aura été ma fête de novembre, le mois des morts. J'en suis arrivé à me persuader que la lecture d'un livre bien édité est plus agréable, suis-je donc une fashion victim de l'édition ? À l'inverse, rien ne me rebute plus que d'ouvrir un livre et de sentir cette entêtante odeur d'acide qui s'en dégage, ou do. nt la typographie est négligée.

Dans un vaste palais madrilène, Madame -- la duchesse d'Arlanza -- vit dans l'innocence aveugle d'un monde où le privilège est tenu pour un acquis, monde sur lequel s'avancent de sombres nuages : la guerre civile qui s'ouvre fera s'affronter deux réalités incompatibles, rien ne pourra plus être comme avant. Et les gens de ce monde le verront sombrer dans l'irréalité d'une réalité qu'ils ne sont pas en mesure de comprendre : d'inutiles, ils deviendront superflus. Tout s'inverse, tout se pervertit.

Un matin, Madame se baigne nue dans sa piscine et invite Romulo, le portier et chef jardinier du parc du château, à entrer dans la pièce. Devant l'opposition de la camériste, Madame s'esclaffe : « Romulo, un homme ? » Apparemment anodine, cette phrase est lourde de sens, et sera le leitmotiv du roman et de la relation entre les deux protagonistes. « Qu'a voulu dire Madame ? » se demande d'abord Romulo, puis la phrase s'insinue en lui et provoque de troublants songes. Quelques temps après, le palais étant pris par les Républicains, Madame se réfugie au sommet de la tour, et Romulo se voit confier la garde des lieux. De serviteur, deviendra-t-il le sauveur ou bien le gardien, voire bourreau, de Madame ?

Présentation de l'éditeur

« Madrid, 1936. Dans la piscine de son palais madrilène, la duchesse d'Arlanza se montre nue à son jardinier, Romulo, au prétexte que celui-ci " n'est pas un homme ". Mais la guerre civile éclate sur ces entrefaites : le duo va passer la durée de la guerre face à face à l'intérieur du château, dans un huis clos aussi burlesque qu'angoissant. Entre fantômes et fantasmes, chacun se sent à la merci de l'autre, de ses pensées intimes, de ses troubles... Alors que le château est cerné par les Républicains, Romulo tente de protéger la duchesse, mais il est poursuivi par des images de nudité féminine, et des rêves tour à tour sensuels et inquiets. Il amorce, à l'instar du héros du Bourreau affable, une réflexion sur les hasards et la vérité de la vie, sur la sincérité des êtres, sur les rêves et les illusions. Ici, rien de la guerre ne paraît sérieux. Assiégés par leurs folies intimes, quand ce n'est pas par celles du dehors, les personnages du Roi et la reine ne savent plus très bien s'ils sont des hommes ou des femmes, des rêves ou des êtres de chair, des morts ou des vivants. »

mercredi 9 novembre 2011

Relais

Soit la boucle suivante : je souscrit sur Internet à un abonnement à la chronique quotidienne de Philippe Meyer, mise en ligne par France Culture, la citation, le 4 novembre, par celui-ci d'un large extrait d'une des Chroniques de la Montagne d'Alexandre Vialatte sur le roman d'aujourd'hui, dans le volume 2 desquelles je retrouve le texte (chronique n° 451), dont, à mon tour, je cite quelques passages afin que vous, lecteurs, puissiez en savourer le sel grâce à ... Internet.
« On a tout essayé pour trouver du nouveau : le roman sans histoire, le roman sans personnage, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu qu'à créer le roman sans lecteur. C'est un genre connu depuis longtemps ! »
On sait, par parenthèse, que ce genre se vend beaucoup. On achète, certes, mais lit-on ?
« Je ne dis pas de mal du roman sans lecteur, il procure à l'auteur le sentiment d'avoir enfin éliminé l'impur profiteur de son œuvre : les mouches ne viennent plus sur son miel. Il s'est isolé dans son île. »
Pourtant, on sait aussi combien et comment on en parle, dans les gazettes et sur les ondes, de ces romans. Je vous renvoie là-dessus à l'essai salvateur de Pierre Bayard, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus.
« D'autres y parviennent en faisant ennuyeux comme la vie; du moins la leur [...] . Ayant choisi pour personnage central un être terne, sans grammaire, sans courage, sans humour, sans soif, sans appétit, qui aurait fait plaisir à Pascal sans faire plaisir à Gargantua, ils lui font mener une existence larvaire qu'il passe à s'attendre lui-même dans une espèce de vestibule grisâtre jusqu'à la fin du dernier chapitre où l'on apprend que, tout bien vu, il ne viendra pas. (C'est ce qui soulage : on en avait supporté un pendant trois cents pages, en aurait-on supporté deux ?) Ce qui surprend le lecteur naïf c'est la haute considération dont l'auteur, tout du long, entoure ce personnage [...]. C'est que l'auteur s'est pris pour modèle. Son personnage lui ressemble comme un frère. »
Vialatte commet ici une erreur :ce roman ne comporte généralement pas plus de chapitre que de paragraphes. Ni, pour le plus audacieux, de ponctuation.
« Il s'agissait de décourager le lecteur facile. Tous ne le sont pas. J'en connais un qui n'admet que deux auteurs : un Grec dont l'unique manuscrit a disparu en 640 dans l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, et un Persan du Ier siècle qu'on n'a connu que par ouï-dire, à la faveur d'indiscrétions. »
Voici à peu près les prédilections que certains de mes proches plus ou moins distants me prêtent -- on ne prête qu'au riches.
« Quand au français, il estime en gros qu'on ne sait plus le parler depuis 1684; juillet 1684; d'autres disent juin, il consent juillet; ce qui a suivi n'est plus que charabia. Pour des lecteurs si difficiles il faut tout de même qu'on écrive des livres; je connais une crémière du XVe qui prépare un roman qu'on peut lire à l'envers.
Toutes ces formules sont sans avenir; si distingué qu'on soit on se fatigue de l'ennui, de l'absence de talent et des romans de crémière. Je n'en dirai pas autant pour le roman sans texte. " L'avenir, vient de dire un éditeur célèbre, l'avenir est au papier blanc. " »
C'était le 24 octobre 1961. Et de conclure cette chronique, comme chacune de celles-ci, d'un impossible : « Et c'est ainsi qu'Allah est grand. »

Alexandre VIALATTE, Chroniques de la Montagne, Vol. 1 (1952-1961) et Vol. 2 (1962-1971), Bouquins, Paris, 2000.

lundi 7 novembre 2011

L'idiot et les hommes de paroles

Pierre SENGES, L'idiot et les hommes de paroles, Bayard, collection Archétypes, Paris, mars 2005 (235 pages).

Voici un livre que, je regrette de l'avouer, j'ai cessé de lire après quelques dizaines de pages. Pourtant, Pierre SENGES est, depuis des années, un de mes auteurs favoris; mais rien à faire, je n'arrivais pas à entrer dans ce livre, qui, à la lecture de sa présentation, avait tout pour me plaire. J'ai en conséquence décidé d'ajourner la lecture à plus tard, à suivre donc.

Présentation

« Tiré de son sommeil au beau milieu de la nuit, le collectionneur d'idiots prend volontiers la parole : s'ensuit la litanie des personnages recueillis au fil des années dans sa propre bibliothèque.
Il ne s'agit pas de fous, pas même de fous géniaux, artistes de la spontanéité. Il ne s'agit pas d'hommes en camisole livrés à l'admiration du sage qui considère avec bonté que la stupidité recèle une sagesse plus précieuse. Il ne s'agit pas de bons sauvages, affranchis de l'intelligence - tous les demi-héros rencontrés dans ces pages tiennent la raison en haute estime.
Ce qui leur fait mériter le nom d'idiot, en hommage au prince Mychkine, créature de Dostoïevski, c'est bel et bien leur solitude, leur étrangeté, leur bégaiement, et cette façon d'être l'intrus au sein des grandes communautés : et alors d'attirer les rires.
Ils sont aussi timides par excès de prudence ; naïfs par excès de confiance ; dubitatifs parce qu'ils méditent lentement ; maladroits parce que leur virtuosité détonne.
Pnine, Akakiévitch, Gimpel le Naïf Palomar, Schemiel et les savants distraits : en somme, cet ouvrage est moins un catalogue d'ahuris que des retrouvailles avec les amis les plus chers que nous proposent tant de livres depuis que la fiction existe. » P.S.
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vendredi 4 novembre 2011

Les jardins statuaires

Jacques ABEILLE, Les jardins statuaires, dessins de François SCHUITEN, Éditions Attila, Paris, 2010, première édition aux éditions Flammarion en 1982 (473 pages).

Est arrivé le temps, terminée la lecture, de formuler le commentaire sur ce beau, très beau roman. Qui a constitué une très agréable distraction, en ce sens que j'ai rarement, et depuis longtemps, été aussi absorbé par un roman, auquel je me suis abandonné. En un mot, je suis dans l'impression, et peine à trouver les mots de la raison pour en parler.
« Je vis de grands champs d'hiver couverts d'oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l'infini d'indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit.
J'étais entré dans la province des jardins statuaires.
...
Les voyageurs sont rares. Il y a des routes, mais on n'y passe pas. »
Peu de personnages, aucun, par ailleurs, sauf un, n'est nommé. Peu d'action non plus, surtout dans la première partie, laquelle constitue la découverte par le lecteur, tout comme le narrateur, de cette contrée où les statues poussent dans de vastes jardins. Contrée où le narrateur -- au « tempérament morose » -- arrive, on ne sait quand ni pourquoi, mais qu'il se décide à explorer et à connaître, exploration dont il entend faire un livre, ce livre-même que nous avons entre les mains. Nulle sécheresse pourtant dans cette première partie, que je qualifierais, pour simplifier, d'ethnologique. Où les habitudes -- les valeurs, dirions-nous de nos jours -- des habitants sont révélées -- mais jamais jugées.

Et puis, du temps ayant passé, le narrateur partira explorer les confins de la province et même, quoiqu'on le prévienne contre ce projet, rempli de dangers et de périls, les terres au delà des terres connues, là où vivent les Barbares, dont on sent qu'ils constituent une menace, lourde et de plus en plus présente. Au cours de cette pérégrination, il rencontrera l'amour en Vanina -- le seul personnage nommé (Il y a bien un Barthélémy, personnage fort secondaire, mais je crois qu'il s'agit d'un oubli de l'auteur) qui l'accompagnera désormais. Le narrateur connaîtra en outre une aventure périlleuse, enlevé par d'étranges Barbares, et conduit auprès de leur chef, dont il partagera un moment l'intimité, mais à qui il refusera de se lier, préférant retourner dans les jardins statuaires, porteur d'un message sinistre.

Pour moi, la grande qualité du roman tient en la façon dont le récit du narrateur -- de ce qui constituera son livre -- engendre une poésie pleine d'intensité et évocatrice d'atmosphère qui évoluent imperceptiblement d'une sérénité curieuse, voire amusée, devant la découverte des us et coutumes des habitants des jardins à une inquiétude lancinante devant la menace de plus en plus obsédante des Barbares et de l'imminence de la guerre, et peut-être, aussi, d'une fin du monde. Poésie, oui, je ne puis dire mieux.

Ni d'histoire, ni de science-fiction cependant, car peu importe l'irréalité du lieu et de l'époque. Rien non plus de l'habituel -- si populaire, et banal -- bazar pittoresque du passé reconstitué ou du futur fantasmatique. Seule la subtile imagination de l'auteur parvient, grâce notamment à la sobriété d'un style pourtant éminemment poétique, à la complète séduction du lecteur; c'est l'imaginaire à l’œuvre.

De la littérature, c'est rare.

jeudi 3 novembre 2011

Divan viril (laid) et confortable.

J'ai trouvé ce lien sur la page Facebook d'un copain. Il me semble utile de partager avec vous cette petite annonce, laquelle est fort bien tournée ma foi. Par parenthèse, il est vraiment très viril ce canapé.

Divan viril (laid) et confortable


mercredi 2 novembre 2011

L'enfance aux livres - Retouches

« Pour autant que je me souvienne, Les malheurs de Sophie auront été mon livre primordial. »

Lu dans Si le grain ne meurt d'André GIDE :
« La littérature enfantine française  ne présentait alors que des inepties, et je pense qu'il [le père de l'auteur] eût souffert s'il avait vu entre mes mains tel livre qu'on y mit plus tard, de Mme de Ségur exemple -- où je pris, je l'avoue, et comme à peu près tous les enfants de ma génération, un plaisir assez vif, mais stupide... »
Ce souvenir remonte, pour GIDE, au milieu des années 1870. Mais le retour sur le sentiment éprouvé à la lecture des livres de la russe comtesse date de beaucoup plus tard quand l'auteur travaillera à ce qu'il voulait être ses mémoires. Le livre, d'ailleurs, ne parût qu'en 1920, mais ne fut accessible au grand public que vers 1926 -- je me fie à la Note sur le texte de Pierre MASSON qui a établi l'édition de Souvenirs et voyages de la Pléiade.

Je demeure encore intrigué par le périple effectué, en un siècle, par ces inepties publiées sous le Second Empire depuis la bonne société française jusqu'à la petite bourgeoisie du Canada français. Je me souviens maintenant de mon effroi au récit des saignées par application de sangsues et des nombreux châtiments corporels infligés aux enfants, que dire de mon étonnement à la vue des illustrations, et de ma découverte de la différence entre le vocabulaire de l'écrit et celui de la conversation. Ainsi, à l'école, ai-je été repris pour avoir utilisé le mot colère comme adjectif -- je n'avais évidemment pas vérifié dans le dictionnaire, utilisé par une comtesse, de surcroît née Rostopchine, ce mot, pourquoi l'enfant sage que j'étais en aurait-il contesté l'usage ? C'est sans doute de cette époque que date ma dilection pour les mots sortis d'usage ou vieilles, ou pour les constructions désuètes, que, plus tard, j'entretiendrai par la fréquentation de SÉVIGNÉ ou SAINT-SIMON. Il n'empêche que j'avais été fort contrarié par cette correction qui, en quelque sorte, me révélait la faillibilité de la maîtresse d'école, une religieuse se tromper, ne bénéficiait-elle donc pas d'une parcelle de l'infaillibilité papale, et se montrer injuste à mon égard.