vendredi 28 décembre 2012

Richard POWERS, Gains, traduit de l'anglais (États-Unis) par Claude et Jean Demanuelli, Le Cherche-midi, Paris, août 2012 (630 pages); titre original Gain; également disponible en version électronique.

Il m'arrive encore de céder au chant des sirènes littéraires -- je ne me corrige pas de ce travers--, et une critique bien tournée me poussera à me procurer l'objet vanté, car j'aime à découvrir de nouveaux auteurs, c'est à dire des auteurs que je ne connais pas. En l'espèce, c'est l'éloge de Florence Noiville, du Monde, qui aura piqué ma curiosité :
« On retrouve dans Gains cette structure en double hélice - général/intime - que Powers affectionne. Mais, cette fois, c'est l'économie qui l'intéresse. Nous suivons l'ascension irrésistible d'une entreprise de savon créée à Boston au début du XIXe siècle par la famille Clare. Powers explique comment les produits Clare ne vont pas tarder à tout envahir et pas seulement les armoires à pharmacie des Américains...
Son roman est un jeu d'écritures en partie double, où il est sans cesse question de prix, d'estimations, de dépréciation, des termes de l'échange, bref de débits et de crédits. Cours des matières premières, nombre de grandes fortunes, pourcentages de guérison... Tout est chiffre, espérance de gain. Mais quel gain ?...
Sixième roman traduit en français, Gains n'est pas un livre récent et c'est dommage. Lorsque Powers l'écrivait, en 1998, il ne pouvait imaginer la crise de 2008, les subprimes, les scandales des banques ou les turpitudes de l'industrie du tabac qui auraient rendu sa démonstration plus tranchante encore. Quinze ans plus tard, son livre reste néanmoins une peinture effarante de la société de consommation, de sa genèse et de ses dangers. Des dangers impalpables dont les victimes - nous tous - sont presque toujours des complices »
Prudent, j'ai réservé le livre à la bibliothèque, car, lecteur échaudé devient économe, et le pavé  -- 630 pages -- est arrivé quelques semaines plus tard. Las, j'en suis sorti... lessivé (ce qui est un comble pour une histoire de détersif).  Mon goût aurait-il à ce point évolué que je n'éprouve plus guère de plaisir à ces essais brillants habillés en roman ? Fût-ce, comme le mentionne Noiville, sous la forme d'une double trame narrative. Ni à ces exercices de descriptions exhaustives où rien n'est épargné au lecteur, qu'il s'agisse des règles de mise en  marché d'un produit ou du traitement contre le cancer. On tiendrait Balzac, à qui on a comparé l'auteur, pour un écrivain d'une très abstraite sécheresse. Par curiosité, je suis allé voir du côté des Spendeurs et misère des courtisanes, pour y constater que, s'il est vrai que Balzac a toujours un message, ses descriptions sont au service du récit, pas l'inverse. D'où cette désagréable impression de lire une thèse -- un pensum. D'autant plus qu'on le voit venir, l'auteur, l'auteur, avec ses gros sabots idéologiques : le capitalisme, cancer social, offre des produits -- en l'espèce du savon et d'autres produits dérivés -- qu'il faut vendre coûte que coûte; produits qui suscitent, à leur tour, un cancer chez les individus qui se les procurent. D'où vie et mort d'une entreprise et vie et mort d'une mère de famille. Encore que l'entreprise, si elle échappe au contrôle de ses créateurs, ne meurt pas vraiment... C'est donc par lassitude devant ce vérisme à peine romanesque que j'ai accéléré faisant du roman de Powers un véritable page turner, mais pas pour le motif souhaité, et fort à regret car je souhaitais de l'aimer ce livre. Je crois déceler, chez les Américains, une pente assez fort vers ce genre d'écriture sèche et didactique, qui a tout le souffre du scénario de film.

Tant qu'à donner dans l'économie, lisez plutôt l'essai de Serge Audier, Néolibéralisme (s) chez Grasset.

Présentation :
« 1830. La famille Clare crée à Boston une petite entreprise de savon. Celle-ci va évoluer au rythme des États-Unis et devenir, un siècle et demi plus tard, une véritable multinationale. Des plantes médicinales aux cosmétiques, détergents et autres insecticides, des pionniers inventifs au règne de la communication et du libéralisme, le chemin sera long et impitoyable.

1998. Laura Bodey, 42 ans, divorcée, mère de deux enfants, travaille dans l'immobilier à Lacewood, Illinois, siège des usines de Clare Inc. Sa vie va basculer et son destin converger d'une façon inattendue avec celui de la multinationale, faisant d'elle une victime révoltée par l'idée de fatalité.

Après Trois fermiers s'en vont au bal et Le Temps où nous chantions, Richard Powers ausculte l'influence du libéralisme sur la vie quotidienne et les destinées individuelles. Animé à la fois par une vision globale et une rare puissance émotive, il plonge le lecteur dans les contradictions de la société de consommation, et met en scène avec brio et tension les gains et les pertes auxquels est confronté l'humain. »

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