vendredi 22 juin 2012

Pour qu'ils soient face au soleil levant II

John McGAHERN, Pour qu'ils soient face au soleil levant, traduit de l'anglais (Irlande) par Françoise Cartano, Albin Michel, Paris, 2003 (444 pages); titre original : That They May Face the Rising Sun, aux États-Unis, By the Lake; également disponible en Livre de Poche.

Ce n'est pas parce qu'on a loupé un livre à sa sortie qu'on va, toute honte bue, et l'apéritif aussi, se priver de partager le grand plaisir de lecture qu'il nous a donné, outre l'envie de remonter jusqu'aux sources la bibliographie de John McGahern.

Une petite communauté sur les bords d'un des nombreux lacs du County Leitrim, où chacun se connaît; petite vie d'agriculture et d'élevage; chacun se connaît et sait que les Ruttlege sont revenus au pays après un long séjour en Angleterre; les années quatre-vingt sans doute, et l'impression d'être hors du temps. Certains les aideront, d'autres se montreront méfiants -- ils ne vont pas à la messe --, voire hostiles à leur présence.

« La matinée était claire. Pas de vent sur le lac. Et un grand silence. Lorsque les cloches sonnèrent pour la messe, les coups tremblèrent sur l'eau, elles avaient le monde entier à elles. Les portes de la maison étaient ouvertes. » 

On se visite, on demande des nouvelles, on bavarde, on papote, on médit du voisin, on prend un thé, surtout un whisky, quelques sandwiches sont vite préparés. Telle est l'hospitalité, une règle de savoir vivre à laquelle on ne saurait manquer; comme toutes ces petites règles « c'est comme cela que ça se fait » érigées en code civil. De l'aide à apporter au voisin au moment des récoltes, à la vente des vaches et agneaux à la ville, à la façon dont on met en terre un mort, la tête à l'ouest, pour qu'il soit, au jour de la résurrection, face au soleil levant...

C'est aussi une histoire du retour au pays et à la terre, on se rappellera que longtemps l'Irlande aura été un pays que l'on abandonnait -- dure occupation britannique, catastrophes sanitaires, misère endémique. Et pourtant le pays, c'est le pays, pas comme l'Angleterre, où l'on n'a « jamais le sentiment d'être vraiment dans la réalité, de vivre une vraie vie. » Comme Dieu n'est jamais bien loin, même si le curé ne semble pas vraiment y croire, ne serait-ce pas comme la parabole du retour de l'enfant prodigue ? D'ailleurs, à y regarder de plus près, la plupart des personnages sont comme des enfants qui ne sont jamais partis, d'où leur méfiance face à Ruttlege : perpétuels grands frères, souvent célibataires, conformistes et craignant le qu'en dira-t-on. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ils n'ont rien de caricatural, de « rats des champs », et l'art de McGahern se manifeste dans cette habileté, mine de rien, à les faire agir et interagir dans un quotidien qui pourrait sembler empreint de banalité. Chez l'un, les nombreuses pendules de la maison sonnent irrégulièrement les heures : « Qu'est-ce qui vous presse ? N'avons-nous pas le temps devant nous ? » L'ouvrier ne vient que très irrégulièrement travailler à la construction de la grange, pourquoi s'en faire ? Vient-il enfin, quand, bucolique, Ruttlege, qui est aussi écrivain, lui déclare :
« – La façon qu'ont les chevrons d'encadrer le ciel. Les carrés de lumière sont plus intéressants que le ciel entier. Ils ont l'air plus humains, ces morceaux de ciel réduits, et puis de ce petit espace sort le ciel entier.
L'autre répond, terre à terre :
– Du moment qu'ils supportent la ferraille, c'est bon... »
De toute façon, il y aura bien un verre de whisky (ou deux) après le labeur. Et la religion, et la politique ? Mieux vaut faire le tour du lac, regarder s'envoler le héron, et voir s'il y a de la lumière chez les voisins.


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