Le dernier livre d'Attali que j'ai lu remonte à 2002 et était Les Juifs, le monde et l'argent, lequel m'avait complètement séduit. Je l'ai été beaucoup moins par ce dernier essai.
Je me demande si l'ouvrage ne souffre pas d'avoir été fabriqué à la suite de conférences données par son auteur. Je dis bien fabriqué car il m'a semblé d'une inutile longueur, celle-ci découlant d'innombrable redites et de répétitions. De plus, l'auteur demande du lecteur un acte de foi en voulant se distinguer du commun des futurologues, dont chacun sait que l'avenir infirme bien plus qu'il ne confirme leurs prédictions; cette sollicitation ne s'appuie sur aucun appareil au soutien de la thèse de l'auteur, les affirmations s'enfilant qui, certes, veulent retenir les leçons de l'histoire, mais qui n'en demeurent pas moins sujettes à de nombreux « si le tendance se maintient » Inutile de préciser que cette histoire se conjugue principalement au futur et au conditionnel.
Exemple d'un raccourci étonnant :
« En 27 av. J.C., (...) Octave devient César Auguste, premier empereur. Soucieux d'éviter toute révolte aux frontières, ses successeurs matent la révolte égyptienne et font taire tous les dissidents dont, en 30, un rabbi de Jérusalem nommé Jésus, puis d'autres juifs révoltés, avant de détruire Jérusalem en 70 et d'y massacrer une fois de plus tous les juifs. Le christianisme est né. »Le christianisme, peut-on déduire, est né marqué d'un péché originel : l'antisémitisme.
J'en suis arrivé à croire que l'éditeur avait oublié la mention roman sur la couverture, l'auteur étant sans doute trop occupé pour s'en soucier. Car cette histoire ressemble fort à un « il était une fois » qui serait conjugué au futur, en d'autres mots, un récit d'anticipation.
Ces remarques préliminaires faites, qu'en est-il ?
Succinctement : quel sera le XXIe siècle ? Et 422 pages plus tard, on peut répondre, ou tout mal, ou tout bien.
J'ai dis roman. En effet, comme pour toute oeuvre romanesque, l'auteur met en place le protagoniste de l'action dans une première partie, campe le décor dans la deuxième, l'intrigue se déroulant en quatre chapitres, l'ultime traitant du cas de la France.
Le protagoniste : ce primate qui, apparu il y a sept millions d'années, est devenu l'homo sapiens -- nous. Ce volet est expédié en une vingtaine de pages.
Le décor : l'Ordre marchand, apparu sur les rives de la Méditerranée douze siècles avant notre ère qui sur « un espace de plus en plus vaste, avec des technologies de plus en plus efficaces, à la fois dans la violence, l'injustice et la splendeur, (...) installe le marché et la démocratie, la démocratie de marché. ». Ce décor est planté en moins de quatre-vingts pages et est parsemé de « leçons pour l'avenir », sortes d'axiomes du genre : « aucun empire, même s'il paraît éternel, ne peut durer à l'infini », « le lien entre la technologie et la sexualité structure la dynamique de l'Ordre marchand » ou « nombre d'innovations majeures sont le produit du travail de chercheurs payés sur les fonds publics pour chercher toute autre chose ».
Ce décor met en place une succession de « coeurs » -- Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New-York et Los Angeles -- qui emporte, à chaque fois la transformation des paysans en salariés précaires (dans les villes), la concentration de la richesse et une augmentation de la liberté pour les consommateurs, mais de l'aliénation pour les travailleurs.
L'intrigue, qui constitue le coeur de l'ouvrage, voit la fin de l'empire américain, et voit se succéder sur un siècle, celui-ci, deux vagues, l'hyperempire et l'hyperconflit avant que n'arrive, si nous sommes chanceux, l'hyperdémocratie. À terme, et en quelques mots, avant cette dernière vague, « ce n'est pas l'Afrique de demain qui ressemblera un jour à l'Occident d'aujourd'hui, mais l'Occident tout entier qui pourrait demain faire songer à l'Afrique d'aujourd'hui. ». Bref, le pire est l'avenir de l'homme, si tant est qu'il y ait un avenir...
Mais il peut y avoir un happy end, l'hyperdémocratie, où tout le monde il sera beau, tout le monde il sera gentil.
Même en France.
Si les thèses de l'auteur sont séduisantes, bien que généralement pessimistes, et marquées de quelques fulgurances, la lecture de l'ouvrage constitue tout un travail (c'est « bien de l'ouvrage », dirait-on en Nouvelle-France), notamment en raison du style qui se révèle, ma foi, un peu chaotique, et guère élégant. Guère séduisant, il requiert en outre l'adhésion à priori du lecteur qui ne pourra vérifier les sources. À mon avis, le mieux est de l'emprunter en bibliothèque et, faisant l'impasse, sur les deux premières parties, de ne lire, outre l'avant-propos, qui résume bien le tout, que les cinq derniers chapitres (et encore, celui sur la France ne présente, selon moi, que peu d'intérêt).
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