mercredi 15 décembre 2010

Indignation

Philip ROTH, Indignation, traduit de l'anglais (É.-U.) par Marie-Claire PASQUIER (titre original Indignation), Du monde entier - Gallimard, Paris, septembre 2010 (195 pages).


Voici un roman de ROTH qui m'a, si j'ose dire, pris de court. Par sa relative brièveté certes. Et aussi parce qu'il m'a semblé assez différent des quelques ouvrages précédents, où les héros étaient des hommes vieillissants confrontés à la maladie et, assez directement, à leur propre fin.

Ici, Marcus MESSNER, est un jeune homme de dix-neuf ans, dominé par un son père, un boucher casher qui vit à Newark, dans le New Jersey, et dont le commerce -- nous sommes au début des années cinquante -- résiste mal à la concurrence des nouveaux supermarchés d'alimentation. Pour échapper à une atmosphère familiale étouffante, il décide de poursuivre ses études dans au Winesburg College, en Ohio. Il le fait aussi, et peut-être surtout, pour échapper à la conscription militaire qui le conduira en Corée, où il est certain qu'il périra. Le succès scolaire devant, selon lui, lui permettre d'accéder aux rangs plus élevés de la  hiérarchie et, partant, d'éviter le combat : il se voit donc condamné à réussir.

Et pourtant, rien n'est simple pour lui en dépit de son zèle et de ses efforts : si le roman est l'histoire de son apprentissage de la vie américaine, et de ses valeurs morales, il est avant tout, selon moi, le récit de son aliénation progressive. Ici, ROTH prend le contrepied de tout ce que l'on sait -- ou croit savoir -- des Trente Glorieuses. Peu d'espoir dans ces pages, guère de monde meilleur, matériel ou spirituel, que la grisaille d'une vie médiocre :
« Ma tâche ne consistait pas seulement à plumer les poulets, mais à les vider. On leur ouvre un peu le cul avec un couteau, on plonge la main, on attrape les viscères et on les extirpe. Je détestais faire cela. Écœurant, dégoutant, mais il fallait que ce soit fait. C'est cela que j'avais appris de mon père, et que j'avais aimé apprendre de lui : que ce qui doit être fait, on le fait. »
À défaut de réussir brillamment ses études, c'est à une autre boucherie, non moins sanglante et dégoutante, que Marcus est promis : celle de la guerre de Corée. Bel et radieux avenir ! Et pourtant, il aura travaillé d'arrache-pied Marcus, mais hors ses études, il ratera tout, ne parvenant pas à s'intégrer à la vie du collège, sa vie sexuelle même, et amoureuse, constituera pour lui un humiliant échec.

Le lecteur sera sans doute, comme je l'ai été, surpris, à mi-parcours du livre, par la révélation, par Marcus lui-même, qui est le narrateur, d'un fait le concernant qui vient bouleverser la lecture du roman, et que je vous laisse découvrir. À partir de cette révélation, je me suis senti comme prisonnier, sachant ce fait, comme Adam et Ève ont su après la tentation, du piège tendu par l'auteur. À dire le vrai, je ne m'en suis pas remis, et mon plaisir de lecture en a été affecté. En sera-t-il de même pour vous ?

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