jeudi 18 janvier 2007

Qui suis-je ?


Pierre Senges, Sort l'assassin, entre le spectre, Verticales, Paris, 2006 (91 pages)

Quand tout un chacun, à cette question, songe à son petit tas de secrets et essaye de se composer une identité, le héros de Pierre Senges, lui, répond ainsi :

« J'ai été Macbeth -- je le sais, j'ai été Macbeth : j'ai senti sur le crâne plusieurs heures durant, ou plusieurs années, le poids d'une couronne de bronze aux rebords anguleux qui semblaient m'éperonner. »

Je me demande si, avec cet incipit, Senges n'a pas égalé le fameux Être ou ne pas être. En tout cas, il me semble qu'on peut difficilement faire mieux.

L'argument est à la fois simple et complexe : ou bien celui qui s'adresse à nous, lecteurs, est celui qui, pendant dix-sept ans, a régné sur l'Écosse, ou bien il est un comédien qui reprend le rôle de Macbeth dans la pièce de Shakespeare. Ainsi, il est Macbeth, mais lequel, il ne le sait pas.

S'il est roi, n'est-il pas aussi comédien, puisqu'il a usurpé le pouvoir du monarque légitime, et s'il est acteur, ne joue-t-il pas, avec au moins autant de crédibilité qu'un politicien contemporain, la comédie du pouvoir ?

N'est-il pas, dans l'une ou l'autre hypothèse, dans la théâtralité du spectacle ? C'est à nous, lecteurs, de choisir et, partant, de lui donner une identité qu'il ne peut de lui-même trouver.

« Ça restera entre vous et moi -- oracles imparfaits, je ne sais lequel de nous se fera de l'autre l'idée la plus juste. »

Au passage, il convoque Néron, « cet homme (qui) a su maîtriser sans effort à la fois la tyrannie et la pitrerie, c'est à dire à la fois l'Empire et les arts du cirque ».

Il serait facile de recourir à la métaphore des poupées russes pour décrire le roman; mais ce serait aussi faux, car il y a toujours une ultime poupée. Or ici, il n'y a que le vertige de l'insoluble énigme du Qui suis-je ?.

Après La réfutation majeure, réfutation de l'existence de l'Amérique, Essais fragiles d'aplomb, éloge de la chute, Ruines-de-Rome, roman terroriste vert et Veuves au maquillage, roman d'un suicide à la découpe, Senges fait brillamment la preuve de la puissance de la littérature.

Éblouissant.

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