Pas cinq cents, quatre cent quatre-vingt-dix-neuf paragraphes pour ce premier roman qui nous offre les mémoires d'un expert faussaire décidé à tourner définitivement la page et qui, ne pouvant se résoudre à s'exécuter lui-même, délègue l'acte à un collège de veuves qu'il aura préalablement séduites.
Ces veuves devront toutefois avoir une qualité : ayant occis feu leur mari, être acquittées ou innocentées par la justice ; le processus de sélection sera longuement décrit, car il n'est pas si facile pour un(e) quidam(e) de remplir la condition requise.
Ayant réfléchi à la chose, le narrateur nous livre en détail son raisonnement, il quittera la scène de ce monde en pièces détachées ; et plusieurs paragraphes seront nécessaires pour déterminer par où il convient de commencer. Il sera donc le greffier de sa propre fin, mais devra éventuellement céder la plume aux veuves ; dès lors, qui sait si ce qu'elles relatent est vrai ou inventé ?
Il faut dire que l'auteur est extrêmement soigneux dans le narré de la cérémonie : le paragraphe est bref, le style forcément incisif (on verra pourquoi), l'humour vitriolique ; il y a beaucoup de parenthèses et de crochets, et de fréquentes digressions, le lecteur étant souvent pris à témoin ou rappelé à l'ordre si son imagination divague.
Le cœur sensible n'a pas à s'inquiéter, il ne s'agit pas d'un roman d'épouvante ou " gore ". Je défie quiconque de résister au passage où un curé sans le sou ayant reçu l'humérus du narrateur le rentabilisera en en faisant une sainte relique laquelle, après avoir sauvé beaucoup de corps et d'âmes, finira dans un tiroir au Vatican...
En conclusion, une littérature raffinée - de multiples références à la littérature chinoise - et exigeante : mais dès lors qu'on choisit de ne pas vivre devant un téléviseur, ne convient-il pas de récompenser nos cellules grises par un petit effort intellectuel tout jubilatoire ?
« ... d'après les Chinois [...], les plus beaux jardins sont ceux dont il nous reste la description, mais plus une fleur vaillante ; ils soutiennent même que le plus beau jardin pourrait se passer d'avoir été, puisque seule sa trace écrite le rend sublime. »N'en va-t-il pas ainsi des êtres humains et des personnages de roman ?
Pierre SENGES, Veuves au maquillage, Verticales - Seuil, Paris, 2000 (264 pages), repris en Points-Seuil
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