lundi 13 juin 2011

Le neuf se fait attendre


Arthur BERNARD, Le neuf se fait attendre, Éditions cent pages, Grenoble, octobre 1995 (186 pages).


Les hasards de la vie offrent au passant d'ici-bas entre les aléas du quotidien des plaisirs qui le rendent supportable; certains petits, on songera à la première gorgée de bière, et d'autres de conséquence, ne craignons pas le mot, la petite mort. J'en connais un que je qualifierais de « ni-ni » -- on me dit pessimiste --, ni minime, l'occasion est trop belle, ni considérable, plaçons haute la barre , bref un plaisir médian : la phrase de mon libraire : « J'ai un livre qui devrait vous plaire ».

L'objet de la recommandation est un roman d'Arthur BERNARD, dont Wikipedia et même Google troublent à peine la discrétion, et qui date de 1995. Une découverte d'autant plus heureuse qu'elle vient rajeunir la moyenne d'âge de mes auteurs vivants, dont l'effectif compte beaucoup d'octogénaires et nonagénaires. À septante ans, quoi : une jeunesse ! Mon deuxième Grenoblois, avec Pierre SENGES.

Les deux premiers chapitres me confirment l'avis du libraire : nous sommes dans la légèreté. Du côté de Daniel BOULANGER et Roger GRENIER. Et comme il s'agit de piquer votre intérêt, allons-y de quelques extraits :
« La notairesse portait dans la rue des jupes au-dessus du genou et au-dessous de son âge sous un manteau long fendu, le long et le court quel aller-retour, une dialectique ! […] en plus elle avait des idées avancées ! »
Ce n'est pas du ZOLA pour la description, on donne dans l'ellipse; remarquez cet au-dessus et cet au-dessous; à la limite du zeugme, mais fort efficace, et cela dit tout : vous voyez la dame, la reconnaissez. Et la douce assonance. Peut-être aurait-on pu faire l'économie des points d'exclamation.

Et aussi, dans la foulée de la définition du tourisme d'il y a quelques jours :
« Si l'on voyage c'est pour la ressemblance plus que pour le dépaysement, c'est pareil avec les bébés, ces vies nouvelles dans le commerce, ils sont toujours un portrait tout craché, quelqu'un de la famille, l'un ou l'autre côté. »
Pour longue qu'elle soit, la phrase pétille de grâce avec ses virgules, le sens faisant en l'espèce le liant que la construction semble dissimuler. On flirte avec la sentence, la maxime, et cela vous brise le cliché du tout craché.

Vivement le chapitre trois.

Merci, cher libraire.
Présentation de l'éditeur :
« Charles Lièvremont, un fondé de pouvoir installé dans un appartement trop vaste pour lui seul, héberge un soir Victor Coeurderoy, intérimaire sans domicile fixe, rencontré à la sortie d'une séance de cinéma. Les deux nouveaux amis s'entendent bien et sans qu'ils aient à se le dire, Coeurderoy devient le compagnon de vie de Liévremont. Avenue Signorelli, leur existence s'écoule avec la régularité d'un fleuve tranquille. À la manière d'un Bouvard et d'un Pécuchet -en moins, beaucoup moins ambitieux- les deux acolytes élaborent des projets de voyage qui n'aboutiront pas, font des rencontres ensemble, partagent tout, sauf l'intimité qu'ils savent préserver dans un respect naturel et réciproque. À la lecture de ce roman, on se surprend à penser que c'est peut-être ça, l'amitié... Rien d'extraordinaire n'arrive dans ce récit d'une belle camaraderie au charme un peu désuet. Pourtant, on ne quitte pas le livre avant la fin. L'anodin est au centre du roman d'Arthur Bernard et le romanesque au coeur de ses personnages. »


Rédigé sur mon iPad.


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