J'ai été ces dernières heures fort occupé. Heures qui m'ont semblé des années. Pas occupation du genre loisir, mais comme la France, et quelques autres contrées, ont subie cinq ans durant.
En un mot, j'ai achevé la lecture des aventures du brave SS Oberstrumpbannführer Dr Max Aue. Laquelle m'a, en effet, achevé.
Neuf cent pages d'une longue confession qui se résumerait par un refrain populaire : Non, rien de rien, non je ne regrette rien. On pourrait alors s'étonner que ce pavé, à peine écrit pourtant, ait fait tant de vagues dans la mare littéraire française. La concurrence était-elle si faible ?
Pour moi, je conseillerais n'importe quel ouvrage historique sur la débâcle du Reich ou, pour les oisifs informatiques, une recherche sur Wikipedia plutôt que de s'infliger cette lecture. Le masochisme a des limites, et on prend conscience du temps perdu qui aurait été avantageusement consacré à la lecture de n'importe quoi d'autre, et même des romans de la demoiselle Bombardier, c'est dire.
Résumons tout de même pour le curieux : notre apprenti SS, qui prendra du galon en cours de route, se dévouera à mettre en oeuvre la solution finale, mais sous son angle pratique et, partant, selon lui, nullement antisémite : le juif est de trop, mais il peut néanmoins être vu comme une force de travail dont le Reich saurait tirer parti. Le juif et quelque autres, comme nous l'apprendrons à l'exposé, maintes fois répété, de sa philosophie. S'il y a de la besogne à abattre, autant que l'ouvrage soit bien faite.
Pour pimenter le récit, il y aura le récit de quelques aventures homosexuelles et incestueuses, et un semblant d'intrigue policière, l'intéressé ayant, au passage, occis mère et (beau) père, négligeant toutefois deux jumeaux dont il y a tout lieu de croire qu'ils sont de lui et de sa soeur. Beaucoup de tirades sexuellos-oniriques, un zeste de scato complétant la chose.
Le brave homme, je révèle ici -- sans regret aucun -- la conclusion : s'en tire, et de Berlin en ruines, en assassinant son meilleur ami et en dépouillant celui-ci de l'uniforme qu'il avait lui même pris à une de ses victimes. La guerre engendre les héros que l'auteur peut, « frères humains », c'est sa thèse, nous aurions tous fait pareil.
Un mot, quand même, sur le comment ; je ne comprends pas comment la critique n'a pas vu les ficelles qui animent les personnages fictifs, ceux-ci se mêlant à des personnages réels, ni les retournements et rebondissements cousus de fils blancs de l'intrigue, jamais je n'aurai vu tant de deus ex machina surgir, comme autant de pantin, de cette boîte.
Moi, je regrette profondément d'avoir lu ce livre, et m'en veux de n'avoir pas mis en pratique la leçon de Pierre Bayard (voir l'article qui lui est consacré) dans Comment parler des livres que l'on a pas lus ?
Jonathan LITTELL, Les bienveillantes, Gallimard, Paris, 2006 (907 pages).
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